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Alors que, dans un premier opuscule, Danic Parenteau présentait aux Québécois la pratique sociale républicaine du Québec (2014), il s’adresse cette fois aux acteurs du mouvement indépendantiste pour rattacher le dessein du pays à naître à une réflexion stratégique misant sur le républicanisme, dit autrement, sur « la souveraineté par le peuple et pour le peuple ».
Il s’avère plutôt facile d’adhérer à la proposition de l’auteur de se tourner vers la « voie républicaine ». En effet, dans la mesure où la forme politique du pays Québec a été peu esquissée, ce que Parenteau rappelle, il semble approprié de s’y pencher sérieusement. En outre, les modèles politiques des États indépendants étant peu nombreux à se marier à une société démocratique, le déploiement du républicanisme comme manière d’être sociale et politique apparaît somme toute intuitif.
L’ouvrage se décline en quatre chapitres. Le premier propose une présentation plus académique du modèle républicain, l’auteur le définissant à partir de deux formes, dont la première renvoie à un régime politique où la souveraineté du peuple est revendiquée. Ce régime est mis en opposition avec le régime monarchique qui privilégie la souveraineté du monarque. L’auteur insiste davantage sur la seconde forme du modèle républicain, qu’il nomme « républicanisme » et qui recouvre une conception du social et du politique opposée cette fois au libéralisme anglo-saxon. Les différences fondamentales entre ces deux représentations sont ensuite exposées. D’un côté, le républicanisme reconnaît le peuple et sa liberté, il associe le pouvoir à la volonté collective du peuple, il promeut l’intérêt général et la laïcité, il valorise de même la vertu civique, notamment par le biais de l’éducation. D’un autre côté, le libéralisme anglo-saxon privilégie les libertés individuelles, il fixe des limites à l’exercice du pouvoir afin de protéger les droits individuels, il assure la coexistence des intérêts particuliers et préfère le sécularisme ; il adopte enfin une conception juridique de la citoyenneté et de l’éducation.
Au second chapitre sont abordées les difficultés stratégiques du mouvement indépendantiste. La première de ces difficultés consiste en l’effritement depuis 1995 de l’alliance des forces politiques progressistes et nationalistes – alliance née dans les années 1960. Les progressistes se désengagent donc de l’option indépendantiste, préférant d’autres luttes politiques, telles que celle contre le néolibéralisme ou celle écologiste. Les nationalistes optent quant à eux pour une plus grande neutralité du discours indépendantiste. Une deuxième difficulté naît du désintérêt à l’égard de la critique du régime canadien, tant dans son caractère monarchique que parlementaire. La stratégie fondée sur le « tout-référendum » constitue une troisième difficulté, en particulier en raison des défaites de 1980 et de 1995, de même que de l’évolution du contexte politique. Désormais le référendum, brandi comme une menace, sert davantage la cause de ses adversaires, précise l’auteur ; par ailleurs, la recherche des « conditions gagnantes » relègue ses partisans à une position d’attente inconfortable.
Au troisième chapitre, Parenteau propose l’instauration d’un projet indépendantiste fondé sur un républicanisme à la québécoise. Il invite plus précisément à « repenser les fondements théoriques de l’indépendance du Québec sur la base de l’expression de la volonté du peuple québécois, dans une démarche de réappropriation collective de ses institutions politiques » (p. 137-138). Il rappelle que le peuple n’occupe qu’une place négligeable au sein de la stratégie indépendantiste actuelle, où la prise de pouvoir est devenue une fin en soi. Le renouvellement du discours sur l’indépendance passe ainsi par la refonte de l’alliance entre progressistes et nationalistes autour d’une valorisation de l’idéal d’intérêt général, renvoyant à l’esprit coopératif ayant marqué le modèle économique québécois tout en favorisant une mise à distance du libéralisme anglo-saxon canadien. De même, la voie républicaine permettrait de renouer avec « la grande politique » en valorisant le statut de citoyen et en accordant à ce dernier davantage de pouvoir. Le tout, enfin, s’accompagnerait du rejet de la conception actuelle, gestionnaire et élitiste, du pouvoir.
L’argumentaire de Parenteau culmine en une proposition de démarche constituante au quatrième chapitre, celle-ci devant permettre d’aller au-delà de la stratégie référendaire en engageant le peuple. Rappelant que l’édifice constitutionnel canadien a été imposé au peuple québécois tout en niant implicitement sa souveraineté, l’auteur souligne l’importance d’une démarche constituante dans l’exercice de réappropriation populaire des institutions politiques avant même l’indépendance. Une telle démarche s’avère « un outil de mobilisation puissant au service de la cause indépendantiste » (p. 193) qui brise l’apathie et l’attente dans lesquelles les Québécois s’inscrivent. Selon Parenteau, les Premières Nations auraient à occuper un rôle particulier pour assurer « une reprise en main de leur propre destin politique » (p. 191).
La forme succincte de cet ouvrage présente un intérêt en ce qu’il facilite un débat public sur les possibilités offertes par la voie républicaine et sur les manières de renouveler « l’incarnation institutionnelle de la souveraineté du peuple » (p. 25) au Québec. Pour nous, cet ouvrage aura stimulé une réflexion de philosophie pratique sur la complexité de la mise en oeuvre des temporalités républicaines, inscrites tantôt dans la permanence, tantôt dans la fluidité, tantôt dans la rupture. Nous proposons ci-dessous de brèves réflexions sur le Québec, reposant sur la tradition arendtienne du politique.
La question de la permanence des institutions républicaines n’est pas banale. On peut même considérer qu’elle représente un noeud important dans la théorie. Dans « L’idée de république dans la Révolution française » (Le Cahier, no 1, 1985) Myriam Revault d’Allonnes rappelle ainsi que la république engage l’inscription de l’action et du conflit dans des institutions politiques aptes à renouveler le peuple ad vitam aeternam. Le républicanisme prend donc au mot cette aptitude à la création et à l’action pour en faire une attitude partagée et à partager dans un espace défini, mais pour un corps politique agissant à l’infini. Autant le conflit et la division sociale, par l’instabilité politique qu’ils suscitent, sont des obstacles à l’institutionnalisation d’une république à long terme ; autant l’apathie citoyenne, qui caractérise bien souvent le Québec, menacerait également sa reconduction, année après année. Il résulte de cette difficulté que si de nombreux pays ont adopté un régime républicain, peu peuvent se vanter d’être à la hauteur de ses principes. Les Québécois voudront-ils se munir d’un nouveau régime politique qui risque de se vider de sa portée sociale et politique, comme bien d’autres ? Il nous semble qu’une voie républicaine devrait être plus ambitieuse et offrir l’institutionnalisation d’espaces pour qu’au-delà de la démarche constituante le peuple se renouvelle dans l’action et le conflit. Les Québécois, comme d’autres nations, savent s’exprimer sous le mode de la défiance – par le biais des médias et des pouvoirs de surveillance, par exemple –, mais ils ont encore tout à apprendre en ce qui a trait à l’institutionnalisation de modes formels de participation et de délibération par le conflit visant la reconduction du peuple et de sa république.
Comme nous le suggérons plus haut, si la permanence d’une république se présente comme un enjeu, c’est que celle-ci engage une temporalité fluide, marquée par la marche de la vie civique : tantôt lente, tantôt rapide ; tantôt ample, tantôt resserrée ; mais toujours en mouvement. À ce titre, la tradition républicaine ancrant le corps politique dans un territoire donné, plusieurs penseurs de la république auront cherché à figer les traits de ce corps politique au sein de récits faisant l’éloge d’une patrie constituée de citoyens semblables par leurs traits culturels. Au Québec, le rappel des discordes entre progressistes et nationalistes par Parenteau, visibles lors de la proposition de la Charte des valeurs québécoises en 2013, met en lumière les risques de solidifier l’identité nationale par le biais d’attributs culturels distants d’un projet politique. Il nous semble que les récits du peuple à instituer doivent rappeler son caractère inachevé, ceux-ci gagnant à miser sur les similitudes forgeant le peuple en marche, mais, tout autant, sur l’intention politique partagée qu’il porte. L’auteur suggère ainsi que la mise en valeur de l’idéal d’intérêt général favoriserait une nouvelle synthèse des enjeux sociaux et identitaires (p. 160). Nous ajoutons que la tradition de mobilisation civique des forces progressistes gagnerait à s’allier à la sensibilité des nationalistes à l’égard du corps politique afin d’oeuvrer à rallier cette mobilisation autour d’un dessein politique collectif.
Notons enfin que, comme le républicanisme s’allie étroitement aux moments fondateurs, sa temporalité s’avère également marquée par la rupture, la création et le surgissement. La fondation d’un pays par le biais d’un soulèvement populaire – pacifique ou non – relève ainsi du moment républicain par excellence en ce que l’action politique y est à son comble. Mais l’action politique pouvant mener à un pays ne saurait être motivée par autre chose que par une insatisfaction profonde face à l’état normal des choses. Aussi, même si Danic Parenteau rappelle dans L’indépendance par la république que « le projet politique […] doit apparaître essentiel » aux citoyens du Québec, son propos ne permet guère de concevoir comment cette nécessité historique apparaîtra. Cela étant, on peut penser que les possibilités d’alliance, de dialogue public et de prise en charge collective engagées par la voie républicaine pourraient participer à rendre visible cette nécessité historique.