Recensions hors thème

National-bolchevisme et néo-eurasisme dans la Russie contemporaine. La carrière militante d’une idéologie, de Véra Nikolski, Paris, Éditions mare & martin, 2013, 420 p.[Notice]

  • Sébastien Parker

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L’ouvrage de Véra Nikolski est puisé d’une thèse soutenue en 2010 portant sur deux mouvements de jeunesse radicaux en Russie, le Parti national bolchévique (NBP) et l’Union eurasiste de la jeunesse (ESM). L’objet de cet ouvrage est d’analyser les « conditions internes » à la société russe qui permettent d’expliquer l’émergence des idéologies nationalistes lors d’un « moment de crise » et leur diffusion subséquente dans le champ politique (p. 54). Pour ce faire, l’auteure se penche tant sur les parcours des « producteurs et promoteurs » de ces idéologies, dont Alexandre Dugin et Édouard Limonov, que sur la « crise » du nationalisme russe faisant émerger « un nouveau contexte intellectuel et politique » (p. 65). Nikolski tente, par ailleurs, d’exposer une triple énigme : l’existence même des « idéologies » en tant que « national-bolchévisme » et « eurasisme » au sein de l’espace public post-soviétique ; l’étonnante labilité de cet ensemble d’idées et leur adaptation aux changements au sein du champ politique russe ; la multiplicité des usages possibles des « idéologies » qui « utilisent un fond d’idées partiellement identiques » (p. 33). Dans la première partie de l’ouvrage, Nikolski mobilise le cadre conceptuel de Michel Dobry pour démontrer que le processus historique qui est survenu en URSS témoigna d’une « crise multisectorielle » et d’une situation de « fluidité politique » (p. 65). Cet outillage conceptuel particulièrement dense lui permet à la fois de remettre en question les travaux sur les transformations des sociétés post-soviétiques et de relativiser l’usage du discours de la transitologie. Comme elle le mentionne, « au lieu d’une évolution vers le modèle politique occidental, et donc d’une convergence du cercle du ‘pensable’ […] on y voit apparaître une structuration du champ politique sensiblement différente » (p. 182). L’auteure nous invite alors à repenser cette période selon deux considérations majeures. D’une part, que l’ensemble de la période allant de 1985 à 1993 témoigne d’une crise multisectorielle alors qu’elle est marquée « par l’indétermination absolue », par « le phénomène de réévaluation des ressources » et par la « redéfinition du pensable » (p. 93-94). Cette période de flottement et de forte fluidité politique en amont et en aval de la « formalisation d’un nouvel ordre politique » (p. 91) incite l’auteure à penser que cette conjoncture a permis une plus grande circulation des acteurs et des idées entre les différents secteurs de la société. Ainsi, la période de conjoncture fluide « apparaît comme une condition de possibilité de l’entrée d’outsiders en politique, mais aussi, par voie de conséquence, du passage de théories marginales au statut d’idéologies » (p. 94). D’autre part, comme le démontre de façon très adroite Nikolski, toute crise n’apparaît pas dans le vide, mais a des antécédents historiques qu’il faut restituer afin de saisir l’ampleur des changements. L’auteure tente ainsi de souligner que la redéfinition du clivage entre les démocrates/libéraux et les national-patriotes née de la crise permet une grande reconversion des acteurs déjà investis dans le champ nationaliste et entraîne la multiplication des structures et des réseaux nationalistes existants. Par ailleurs, la prise en compte de l’histoire « longue » du champ nationaliste russe permet aussi, et il s’agit sans doute de l’un des points forts de l’ouvrage de Nikolski, de considérer les effets marquants des reconfigurations politiques lors du moment de crise, notamment dans la diffusion des thèses du champ nationaliste au sein de la population et dans la sphère politique (p. 147). Dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteure aborde la socialisation intellectuelle de Dugin et le processus de politisation de sa théorie. L’étude …