Recensions

Marxisme anglo-saxon : figures contemporaines. De Perry Anderson à David McNally, sous la dir. de Jonathan Martineau Montréal, Lux éditeur, coll. « Humanités », 2013, 427 p.[Notice]

  • Guillaume Durou

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La nébuleuse marxiste n’est pas quelque chose d’unidimensionnel. Les nombreuses dissensions au sujet de l’oeuvre originale de Marx créent un éparpillement des exégètes. Si bien qu’il est d’usage d’appréhender les théories un peu comme un spectre où les positions oscillent entre le chaud et le froid et de les classer en fonction de leur « température », pour emprunter l’idée d’Ernst Bloch. Il y a de ces intellectuels qui ont su lire et digérer des pages, parfois quelques lignes de Marx pour par la suite développer de puissantes réflexions qui ont fait école ou aspirent à le faire. Plus spécifiquement encore, il existe un marxisme français, tout comme un marxisme allemand ou japonais, avec leurs auteurs spécifiques et leurs débats et leur réinterprétation. On retrouve donc des marxismes chez qui subsiste une parenté d’esprit ou encore une influence commune. C’est le cas de penseurs de langue anglaise, trop longtemps dérobés au public francophone. C’est dans cette optique qu’il faut souligner l’effort important de Jonathan Martineau et de ses collaborateurs. Marxisme anglo-saxon a le mérite d’offrir une synthèse de pensées très diverses dans un seul ouvrage. Il présente en effet une introduction aux réflexions les plus vivantes du marxisme anglo-saxon. Bien sûr, certains ouvrages de ce genre existaient déjà. Pensons à The British Marxist Historians de Harvey J. Kaye (1995, Palgrave MacMillan) ou à The Anglo-Marxists : A Study in Ideology and Culture d’Edwin A. Roberts (1997, Rowman and Littlefield), pour ne nommer que les plus connus. Mais aucun n’a fait l’objet d’une traduction française. Les auteurs publient donc chez Lux Éditeur le tout premier ouvrage francophone sur le marxisme anglo-saxon. Et c’est tout en leur honneur. Rappelons d’emblée que ce livre n’aborde ni une pensée ni une école, mais bien des penseurs avec un « certain degré d’homogénéité » et dont le corpus couvert ne se limite pas à un seul pays ou une discipline (p. 11). On l’aura compris, les textes de ce recueil concernent l’ensemble des sciences sociales et engagent des dialogues constants entre eux. Les désaccords théoriques, les nuances conceptuelles, etc. marquent l’esprit de la plupart des présentations. Afin de donner une certaine structure, le livre a été découpé en trois parties : « La New Left anglaise et ses débats », « Repenser Marx, repenser la société », puis « Histoire, théorie, pratique ». Dans le but de respecter l’esprit de l’ouvrage, nous croyons nécessaire d’aborder chacun des chapitres et d’introduire brièvement les penseurs qui y sont discutés. Le premier chapitre, signé par Frédérick-Guillaume Dufour et Jonathan Martineau, examine l’oeuvre de Perry Anderson. On y découvre le précurseur d’une sociologie historique dont le marxisme est une variante proche du courant orthodoxe (p. 58). Loin d’être un auteur poussiéreux, Anderson a apporté beaucoup au développement intellectuel de la gauche britannique. Ce chapitre ne manque pas de souligner sa contribution cruciale à la New Left Review, épicentre savant du marxisme. Xavier Lafrance traite quant à lui du monument Edward Palmer Thompson, considéré comme un des pères des cultural studies, et critique sévère d’Althusser en France. L’auteur lui rend bien justice en présentant Thompson sous la lumière du militant, du théoricien et, surtout, de l’historien, auquel il consacre la moitié du chapitre (p. 85). Anderson et Thompson occupent à eux seuls la première partie de l’ouvrage. On comprendra facilement pourquoi. Il est donc inutile d’insister davantage au sujet de leur ascendant considérable sur les courants intellectuels de gauche. Le géographe américain David Harvey, sans doute l’un des marxistes actuels le plus cités en sciences sociales, fait l’objet d’un troisième chapitre très condensé qui inaugure la deuxième partie …