L’origine militante de la perspective intersectionnelle est désormais connue (Bilge, 2010 : 47 ; Jaunait et Chauvin, 2013 : 286) et c’est au courant le plus radical du féminisme africain américain de la fin des années 1970 (Dorlin, 2012 : 13) que l’on doit d’avoir impulsé une véritable rupture au sein de la théorie critique en mettant en exergue « l’imbrication » des différents systèmes d’oppression (Combahee River Collective, 2000). Si celle-ci était déjà au coeur des revendications des militantes abolitionnistes du milieu du dix-neuvième siècle, en témoigne le fameux discours de Sojourner Truth, ce n’est qu’à partir des années 1980 que la nécessité de penser cette « imbrication » parvient à s’imposer dans le milieu universitaire. Les pionnières (Rich, 1979 ; Davis, 1981 ; hooks, 1981 ; Hull et al., 1982) soulignent alors notamment le dilemme politique auquel les féministes noires se trouvent de facto confrontées en raison de la tendance prédominante à la mise en concurrence des luttes féministes et antiracistes, tout en pointant le racisme des unes et le sexisme des autres. Concrètement, et pour le dire comme bell hooks, De manière parallèle, des juristes – telle Kimberle Crenshaw (1989, 1991) qui passe pour être la première à avoir parlé d’« intersectionnalité » – font des constats semblables dans le cadre d’analyses critiques du droit ; par exemple, pour prouver qu’une femme noire a été victime de discrimination, il lui faut démontrer qu’elle en a été victime soit en tant que femme, soit en tant que Noire, mais que les traitements discriminatoires attribuables à la cumulation de ces deux caractéristiques (de Noire et de femme) ont tendance à se « faufiler entre les mailles du filet ». En d’autres termes, ce concept d’intersectionnalité s’est présenté d’emblée comme une critique des catégories essentialistes et homogénéisantes qui sont celles-là même de la domination – « les Noirs », « les femmes » (Yuval-Davis, 2006 : 199) – et s’oppose de manière conséquente à la tendance à uniformiser indûment les expériences vécues de celles-ci (Grillo, 1995 : 19 et suiv. ; Hancock, 2007 : 65). Ce numéro spécial fait suite au colloque organisé par le Centre d’études sur le droit international et la mondialisation (CÉDIM) les 17 et 18 mai 2012 sur le thème « L’intersectionnalité et les études internationales » et regroupe certains des textes des présentations qui y ont cherché à donner des clés pour interpréter l’articulation des différents systèmes de rapport de pouvoir dans la société internationale ou transnationale. Plus particulièrement, une question centrale, dans au moins trois de ces textes, concerne le lien entre, d’une part, les différents rapports sociaux de subordination et les catégories d’analyse permettant de décrire la place des individus dans ceux-ci et, d’autre part, l’identification des subjectivités ainsi que l’utilisation de l’agentivité qui sont essentielles à la mise en place de stratégies de résistance. Devenu un véritable paradigme (Bilge, 2010 : 60), le concept d’intersectionnalité s’est érigé en concept clé dans tous les débats qui traversent la réflexion sur l’oppression et les conditions d’émancipation. En vertu de son propre flou théorique (Peñafiel, dans ce numéro), le concept d’intersectionnalité recouvre cependant des tensions, sinon des analyses conflictuelles de la dynamique des rapports de pouvoir ou des systèmes d’oppression, d’où les débats qui se poursuivent et se renouvellent sous ce thème. Un premier débat, ontologique, concerne la nature de l’objet d’étude. Plus précisément, de quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’intersectionnalité ? Sirma Bilge précise ainsi les enjeux de la discussion : Pour certaines (dans les premiers articles de Crenshaw par exemple), l’exercice consiste essentiellement à mettre en relation des catégories renvoyant à une identité …
Parties annexes
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