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Dans Qui t’a fait roi ? Légitimité, élections et démocratie en Afrique, Guy Rossatanga-Rignault, politiste et juriste, professeur à l’Université de Libreville, revient sur l’universalité de la démocratie. La difficile implantation de la démocratie en Afrique permet à l’auteur, à partir d’un arrière-plan historique global, de comprendre l’élection en Afrique. L’objet de cet ouvrage est le délitement de l’universalisation de la démocratie électorale. Pour comprendre cet effritement, l’auteur revient sur un postulat souvent affirmé : l’Afrique se trouve en démocratie importée. Or, sa position est de concevoir la démocratie non pas comme un état, une nature de la société, mais bien plutôt comme une construction qui n’est possible que si la greffe tient compte des dynamiques du dedans et du dehors. La démocratie comme un accomplissement à l’oeuvre en Afrique sans les Africains expose dès lors le modèle de l’élection importée à un échec.
Le livre en s’intéressant à l’idée d’universalité de la démocratie prend appui sur les travaux de Pierre Rosanvallon (2006, 2008) sur la contre-démocratie, de Tzvetan Todorov (2012) sur les ennemis intimes de la démocratie, de Guy Hermet (2011) sur l’illusion démocratique et de Marcel Gauchet (2002) sur la démocratie contre elle-même. Rossatanga-Rignault demande : comment est-il possible d’autodiffuser la démocratie en Afrique en niant la spécificité de l’âme africaine alors que le processus est fondamentalement un construit et non un donné ?
Cette interrogation d’ensemble le conduit à exposer de manière globale dans les deux premiers chapitres les considérations préliminaires sur la légitimité et l’élection à partir d’une tentative de déconstruction de l’illusion universaliste de la démocratie, devenue un totem et perçue comme le terreau d’un nouveau messianisme ayant atteint son apogée avec la guerre en Irak. Ainsi, l’auteur aborde la question du processus de légitimité et de légitimation du pouvoir par les élections. S’appuyant sur des exemples d’échec et d’enlisement démocratiques en Afrique, il tire un bilan mitigé suscitant plusieurs interrogations : la démocratie électorale est-elle un véritable progrès politique pour l’Afrique ? Est-elle adaptée au contexte culturel actuel du continent noir ?
La réponse à ces questionnements l’amène dans le premier chapitre à se placer dans la perspective wébérienne pour interroger la démocratie électorale à partir de la légitimité charismatique, traditionnelle et légale-rationnelle. Pour lui, aucun pouvoir ne recouvre véritablement la totalité de l’une de ces formes de légitimité. Dès lors, aucune d’entre elles ne saurait être disqualifiée a priori. Cette affirmation est accréditée par la pensée de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord – communément nommé Talleyrand –, politicien royaliste, homme d’État et diplomate français, connu pour son cynisme et son opportunisme : l’illégalité et l’illégitimité d’un régime politique peuvent absolument évoluer dans le temps. Cette caractérisation se confirme, pour Rossatanga-Rignault, dans le deuxième chapitre : la crise universelle de la démocratie électorale, tantôt raillée tantôt célébrée, parfois teintée d’angélisme ou d’ironie.
Le troisième chapitre revient sur ce que le vote traduit en Afrique en termes des dynamiques du dedans, notamment quand les ethnies revendiquent la meilleure part du gâteau démocratique national, menaçant ainsi l’équilibre ethno-démographique dès lors que la minorité sociologique peut s’ériger en majorité politique et inversement.
Dans le quatrième chapitre, Rossatanga-Rignault nous renseigne sur les formes générales et les fondements du pouvoir traditionnel en Afrique grâce à l’imbrication des liens entre pouvoir, parenté et terre. Mieux, il considère la vision traditionnelle du monde comme fondement de la sacralité du pouvoir traditionnel africain. Pour illustrer son propos, il prend l’exemple de la tradition politique d’un peuple du Gabon, les Mpongwè ; il tente de signaler l’existence, au sein des sociétés africaines ante-coloniales et contrairement à la vision répandue, de modèles démocratiques de légitimation du pouvoir. Ainsi il lit l’histoire selon une temporalité où le passé, le présent et l’avenir s’entrechoquent.
En guise de conclusion, Rossatanga-Rignault démontre l’impossible importation vers le Sud du modèle électoral propre au Nord. Il est clair et parfois très normatif sur cette question récurrente de la greffe du pluralisme en fustigeant implicitement l’Occident et en versant parfois dans un afrocentrisme assumé. Pour lui, le débat sur la légitimité issue des urnes mérite d’être mené, notamment par des intellectuels africains. Mais il conteste la manière de lire la démocratie en Afrique sous le prisme occidental sans tenir compte de l’avis des peuples africains à qui cette démocratie universelle est destinée.
Sa démarche est bienvenue, et ce, à double titre. D’une part, parce que la démocratie comme ferment de l’histoire du progrès social génère de la désespérance, comme le montre la disqualification progressive des politiques et des élites démocratiques. D’autre part, sur un plan plus théorique, parce que les travaux essentiels sur la démocratie de ces dernières décennies se sont davantage préoccupés des questions du triptyque des droits de l’homme, de la société civile et de la gouvernance. Ils ne se sont pas arrêtés sur celle liée à sa survivance, là où les transitologues voient des démocratisations inachevées et les autoritologues, dont Juan Linz, diagnostiquent des consolidations autoritaires.
On l’aura compris, cet ouvrage a un double objectif : revenir sur les fondements de la démocratie électorale et ainsi montrer les vicissitudes d’une démocratisation mal greffée dans un continent, victime d’une perspective excessivement occidentale. Il s’agissait donc de replacer la démocratie électorale dans le contexte africain afin de mieux pouvoir en comprendre les spécificités. Du reste, Guy Rossatanga-Rignault est très clair : le chercheur du temps présent est, de fait, pris dans les actualités ; il est sollicité pour prendre part au débat public. Ainsi, la publication de cet ouvrage, alors qu’il occupe les fonctions de conseiller spécial du président gabonais, n’est pas anodine. L’élection en Afrique, notamment la dernière élection présidentielle gabonaise contestée, étant au coeur des actualités, ce politiste et juriste propose de penser l’actualité de l’élection africaine. Délaissant le ton de la dénonciation, le juriste manie celui de l’ironie, de l’humour, voire de la science-fiction, ces choix d’écriture étant un indice d’une mise à distance de l’événementiel. La méthode comparative qu’il a bien fait de choisir, notamment avec le cas de l’élection de George W. Bush aux États-Unis, fait ressortir une vérité par contraste sur la transparence électorale. Cette méthode est classique et vise à aider les intellectuels africains à prendre du recul à l’égard de débats trop afro-africains.
Tout en proposant des ouvertures originales sur le devenir de la démocratie dans les pays du Sud, ce livre prend parfois les accents d’un plaidoyer pour une nouvelle école de pensée africaine, débarrassée des vérités absolues sur la prétendue universalité de la démocratie. Cette réflexion se base sur deux principes : 1) l’occidentalisation de la démocratie ne peut pas servir de référence absolue pour évaluer les trajectoires politiques de l’État en Afrique ; 2) la compréhension des logiques politiques de l’Afrique peut servir à comprendre les situations actuellement observables en Occident en fécondant la modernité universelle à partir de l’âme africaine. Une des limites de cet ouvrage est que la question de la surveillance des pairs ou peer review mise en place dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) n’est pas évoquée, alors qu’elle permet de comprendre aisément sans de longs développements comment, avec cette sorte d’agence de contrôle entre les dirigeants africains, on donne insidieusement du pouvoir aux comptables, passant de la légitimité électorale à une légitimité de type technocratique. La démocratie électorale est ainsi concurrencée de l’intérieur par d’autres formes de légitimités d’essence tout aussi démocratique. Il n’en demeure pas moins que Qui t’a fait roi ? Légitimité, élections et démocratie en Afrique s’imposera comme un travail universitaire important, susceptible de trouver aisément sa place dans le champ des sciences sociales.
Parties annexes
Bibliographie
- Gauchet, Marcel, 2002, La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard.
- Hermet, Guy, 2011, « L’illusion démocratique », dans Bertrand Badie et Dominique Vidal (sous la dir. de), Nouveaux acteurs, nouvelle donne. L’état du monde 2012, Paris, La Découverte, coll. « État du Monde ».
- Rosanvallon, Pierre, 2006, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil.
- Rosanvallon, Pierre, 2008, La Légitimité démocratique, les théories de l’intérêt général, Paris, Seuil.
- Todorov, Tzvetan, 2012, Les ennemis intimes de la démocratie, Paris, Robert Laffont.