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Dans la plupart des sociétés occidentales, le développement durable et le débat public sont devenus des passages obligés du processus de planification territoriale. Le pari que fait cet ouvrage stimulant, rassemblant des contributions de chercheurs québécois et français, est d’explorer la nature et la portée des changements que ces deux « impératifs » ont provoqués dans les pratiques d’aménagement. Renouveler l’aménagement et l’urbanisme pose ainsi un regard critique sur la mise en oeuvre de cette planification plus ouverte et plus démocratique qu’on a tour à tour qualifiée, dans le sillage de théoriciens comme John Forester ou Patsy Healey, de « délibérative », « collaborative » ou « transactionnelle ».
L’ouvrage est divisé en trois sections de généralité décroissante. La première partie, intitulée « Planification territoriale et métropolitaine », propose des repères théoriques permettant de mieux saisir les contributions subséquentes en les situant dans l’histoire de la planification régionale québécoise (Marc-Urbain Proulx), dans le « foisonnement de dispositifs participatifs » survenu en France depuis les années 1980 (Franck Scherrer), ou en les mettant en relation avec les phénomènes de métropolisation des grandes villes (Louis Guay). Prolongeant cette dernière réflexion, Nicolas Douay interroge pour sa part la relation entre la métropolisation des institutions publiques et l’évolution des dispositifs de participation, à partir du cas de la Communauté métropolitaine de Montréal. Il souligne les difficultés de la dernière génération de structures à s’imposer comme de véritables « arènes de négociation », un constat qui rejoint celui de Proulx sur l’évolution récente de la planification territoriale québécoise.
La deuxième partie de l’ouvrage, « Villes et débats publics », rassemble des contributions qui interrogent les processus de planification à partir des dispositifs de participation publique censés les alimenter. Pour Florence Paulhiac, ces dispositifs auraient permis de mobiliser une expertise publique plus vaste et de désamorcer en amont les conflits dans l’élaboration des plans de déplacements urbains dans trois grandes villes françaises : Lyon, Lille et Grenoble. Mario Gauthier propose un examen plus général de l’évolution des mécanismes de participation à Montréal, montrant comment ces mécanismes auraient permis de « traduire le concept de développement durable en termes concrets ». Comme Paulhiac, il constate l’émergence d’une « culture de la participation », cela en dépit de la vulnérabilité des dispositifs participatifs aux fluctuations politiques. Le chapitre du commissaire Jean Paré, de l’Office montréalais de consultation publique, bonifie cette analyse d’une perspective de praticien. Marie-Odile Trépanier et Martin Alain s’intéressent quant à eux aux effets de la réorganisation municipale québécoise du tournant des années 2000 sur la participation des citoyens de la ville de Montréal aux enjeux d’aménagement. Ils se montrent sceptiques à l’égard de la redistribution de dispositifs participatifs auparavant centralisés au profit des échelons infra-local et supra-local, questionnant la capacité de la société civile à suivre ce déplacement (encore incertain) de la prise de décision. De son côté, Gérard Beaudet adopte une posture plus critique, déplorant dans son chapitre sur l’institutionnalisation des mécanismes de protection du patrimoine montréalais une « attitude clientéliste » des pouvoirs publics, caractérisée par une recherche abusive de consensus et qui aurait engendré une « neutralisation des débats ».
Les trois contributions de la troisième partie, intitulée « Les projets urbains », présentent des exemples concrets de projets ayant intégré – à des degrés divers et avec un succès variable – les principes du développement durable et de la participation. Marie-Hélène Bacqué et Yankel Fijalkow proposent une comparaison transatlantique fort éclairante des processus de requalification de deux quartiers populaires, l’un à Paris, l’autre à Boston. Ils y constatent notamment un certain « émiettement participatif » qui repose sur l’institutionnalisation de procédures « socialement et ethniquement sélectives » que s’approprieraient les nouvelles couches moyennes, cela dans les deux pays. Dans les deux derniers chapitres, l’examen des débats entourant la réalisation de grands projets autoroutiers par le ministère des Transports du Québec (MTQ) (Ludwig Desjardins), ou de ceux sur le réaménagement du Vieux-Port de Montréal par le gouvernement du Canada (Sabine Courcier), permet d’extirper la réflexion de l’échelon municipal pour interroger la portée réelle du débat public dans des instances traditionnellement moins ouvertes à la participation des citoyens. Si le résultat s’avère relativement concluant dans le cas du gouvernement fédéral, l’ouverture du MTQ au débat public n’arriverait généralement qu’en fin de processus, lorsque le sort des projets est déjà « verrouillé » par des choix techniques complexes.
Dans son ensemble, l’ouvrage dresse un portrait fin et fort utile des transformations récentes de l’aménagement et de l’urbanisme. Il permet de saisir à la fois l’ampleur et l’ambiguïté de ce « tournant participatif », ne manquant pas d’en souligner les multiples lacunes : l’accès souvent inégal aux arènes de participation, leur possible détournement par des acteurs plus favorisés ou mieux organisés, leur instabilité.
On pourra toutefois reprocher à l’ouvrage une trop grande insistance sur Montréal. La métropole québécoise apparaît en effet surreprésentée par rapport aux villes plus petites, et même par rapport à la ville de Québec, qui ne sont que rarement évoquées et dont les particularités auraient pu mieux faire ressortir la spécificité des cas analysés. Les différences entre les dispositions juridiques propres à Montréal et celles découlant de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme sont bien évoquées dans la deuxième section de l’ouvrage, mais on ne sait au final que peu de choses sur la mise en pratique de ces dernières sur l’ensemble du territoire québécois. On regrettera par ailleurs la présence somme toute assez ténue du monde anglo-saxon – en particulier celle du Canada anglais pourtant voisin – dans les différentes contributions. En ce sens, l’ouvrage aurait profité sinon d’un recours systématique à la comparaison, au moins de points de repère plus variés permettant de mieux contextualiser le cas québécois et, de ce fait, de mieux justifier la comparaison France-Québec. Le chapitre de Bacqué et Fijalkow fait d’ailleurs ressortir l’utilité d’un tel élargissement géographique.
À défaut de trouver dans cet ouvrage l’exégèse d’un véritable renouvellement de l’aménagement et de l’urbanisme, chercheurs et praticiens y puiseront assurément des pistes théoriques et empiriques solides afin d’alimenter le débat sur l’aménagement et l’urbanisme, au Québec comme ailleurs. Renouveler l’aménagement et l’urbanisme arrive donc à point. Il est à espérer que les réflexions stimulantes qu’il rassemble sauront insuffler une fécondité analytique nouvelle à des concepts trop souvent galvaudés par leur usage politique.