La Ve République française est avant tout caractérisée par sa stabilité institutionnelle. Sa durée étonne, la Constitution de 1958 ayant subi pas moins de 24 modifications depuis son entrée en vigueur. Sous la direction de Marc Chevrier et Isabelle Gusse, La France depuis de Gaulle – La Ve République en perspective s’attache à détailler en quoi, malgré les mutations qui l’ont traversée, la Ve République relève avant tout de la continuité. Les contributeurs retracent ainsi de manière plus ou moins explicite l’héritage de sa fondation tel qu’il transparaît aujourd’hui et qu’il semble impossible de dissocier de la figure du général de Gaulle. L’ouvrage se démarque par l’admirable cohérence qu’induit l’interaction constante des chapitres qu’il recoupe et la profondeur des interrogations qu’il suscitera immanquablement. Bastien François s’attache à démontrer que le présidentialisme auquel on associe la Ve République relève bien plus d’une pratique, celle du fait majoritaire, que d’un type de régime (p. 24). Il s’agit d’une anomalie par rapport aux objectifs des fondateurs de la Ve République, dont le fonctionnement devait préserver le pouvoir gouvernant des aléas de la démocratie parlementaire. L’architecture constitutionnelle élaborée afin de « réduire le rôle d’un Parlement jugé structurellement instable » abrite aujourd’hui un paradoxe personnifié par « un président de la République tout puissant […] et s’appuyant sur une majorité parlementaire à sa dévotion » (p. 39). Les facteurs ayant favorisé cet état de fait resteront néanmoins un angle mort de l’analyse. Pour Antonin-Xavier Fournier, si la prééminence du président lui permet d’influer au premier chef sur le fonctionnement de la diarchie, le premier ministre conserve un certain nombre de pouvoirs qui, en période de cohabitation notamment, peuvent faire en sorte de rétablir l’équilibre. Si l’auteur note que « le retour de la cohabitation est loin d’être une hypothèse farfelue » (p. 59), une fragmentation de la droite dont les signes avant-coureurs se multiplient y serait certainement pour quelque chose et mériterait d’être plus amplement étudiée. Marc Chevrier analyse quant à lui le concept de « contre-démocratie » et son application à la Ve République. Les réformes principales de la Constitution, bien qu’elles montrent parfois d’apparentes visées contre-démocratiques, ne sont en fait qu’un moyen de consacrer de manière pérenne la prééminence du pouvoir présidentiel (p. 87). La manière de distinguer ces objectifs qui paraissent intrinsèquement liés aurait toutefois pu être exposée avec davantage de clarté. Carolle Simard permet ensuite de lier ces considérations des hautes sphères du pouvoir gouvernant au niveau local en étudiant les principales réformes administratives consécutives à l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 (p. 100) : la territorialisation et la réforme budgétaire de 2001. Elle vise ainsi à déconstruire la vision répandue d’une France réfractaire aux réformes, tout en soulignant l’attachement des Français à la notion de service public. Cet apparent particularisme doit cependant être questionné à la lumière d’une transition quasi consensuelle vers un paradigme transnational de gestion de l’action publique axée sur les résultats dont la teneur idéologique est rapidement laissée de côté. Les contributions d’Isabelle Gusse et de Catherine Saouter s’attachent à approfondir le symbolisme qui entoure la fonction présidentielle, inauguré par de Gaulle, et qui marque si profondément la Ve République. Gusse s’intéresse au contrôle médiatique exercé par celui-ci, qui est en fait conséquent avec une transition entamée sous la IVe République. Saouter approfondit le lien entre les trois déclinaisons de la figure du général – le Grand Homme, l’Homme historique et l’Homme-monument – et la manière dont s’articule aujourd’hui la mémoire collective reliée à cette figure avec la représentation qu’ont les Français de leur identité nationale. …
La France depuis de Gaulle – La Ve République en perspective, sous la dir. de Marc Chevrier et Isabelle Gusse, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2010, 314 p.[Notice]
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Stéphanie Martel
Département de science politique, Université de Montréal
stephanie.martel.1@umontreal.ca