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Indubitablement, cet ouvrage est une réponse aux idées reçues qui façonnent l’image peu reluisante dont jouit la politique en général dans la société. En effet, les auteurs, Raymond Hudon, professeur titulaire de science politique à l’Université Laval, et Christian Poirier, professeur adjoint à l’Institut national de la recherche scientifique – Urbanisation Culture Société, livrent un plaidoyer pour l’activité politique en présentant son évolution et en soulignant son caractère pacificateur dans les conflits inéluctables, voire indispensables à toute société démocratique. Dans ce livre à portée pédagogique mais qui s’adresse également à tout citoyen s’intéressant à la chose politique, Hudon et Poirier développent leurs arguments autour de trois grandes parties qui font respectivement référence à la politique, aux acteurs de la politique et enfin aux conditions auxquelles elle s’exerce.
Dans la première partie qui regroupe les deux premiers chapitres, les auteurs s’adonnent à un exercice de conceptualisation de la politique. Le premier chapitre est l’occasion pour les auteurs de mettre en perspective l’importance de la politique dans le sens où elle permet, par le compromis, de négocier les conflits sociaux et politiques qui surgissent de la « diversité et de la divergence des intérêts » (p. 58) dans la société. Après une riche revue de littérature, ils finissent par définir la politique comme une « activité sociale qui, partant de la reconnaissance de la diversité, vise l’intégration ordonnée des différences grâce à la négociation de compromis entre acteurs désireux de convertir leurs rapports conflictuels en procédures de gestion méthodique de leurs désaccords » (p. 53). Dans le deuxième chapitre, Hudon et Poirier soulignent que les rapports conflictuels dénotent aussi des relations de pouvoir entre acteurs. Ils définissent le pouvoir comme cette « capacité d’un acteur à réaliser ses intérêts propres dans le cadre de relations avec d’autres acteurs » (p. 75). La fonction de la politique de réglementer les conflits politiques qui sont issus des rapports d’inégalité nécessite deux choses essentielles. D’abord, une structuration des intérêts à travers une organisation, c’est-à-dire un cadre collectif de défense des intérêts particuliers. De plus, le rapport entre organisations cherchant le compromis est régi par une reconnaissance et une légitimité mutuellement acceptées. Ensuite, l’action politique doit s’exercer autour d’une « institutionnalisation » et d’une « constitutionnalisation » (p. 86). L’institutionnalisation est une transformation évolutive d’un mouvement vers une entité mieux structurée, mieux intégrée et surtout jouissant d’une plus grande reconnaissance. Elle assure donc la légitimité des différents acteurs politiques tout en leur conférant de nouvelles responsabilités dans le maintien de l’ordre social. La constitutionnalisation quant à elle assure la légalité des actions des acteurs par l’émission de règles et de lois.
Dans la deuxième partie qui comporte six chapitres, Hudon et Poirier s’intéressent à la nature et à la forme des principales forces politiques en allant de la moins institutionnalisée (mouvement social) à la plus institutionnalisée (l’État). En effet, du chapitre 3 au chapitre 8, les auteurs passent en revue respectivement les mouvements sociaux, les classes sociales, les groupes d’intérêt, les élites, les partis politiques et enfin l’État. Chacune de ces forces politiques fait l’objet d’une analyse tant dans sa représentation que dans son rapport avec les institutions et avec les autres acteurs politiques. Premières formes d’illustration du conflit comme relation entre dominants et résistants, les mouvements sociaux situés souvent à la marge du processus institutionnel (mouvements étudiant, féministe, altermondialiste, entre autres) et les classes sociales se caractérisent par leur virtualité, contrairement aux groupes d’intérêt, aux partis politiques et à l’État qui représentent une forme plus concrète de l’action politique. Chacune de ces forces politiques est en mutation tant dans sa nature que dans ses actions et participe à l’expression des intérêts particuliers et communs dans un cadre bien défini et bien réglementé, donc participe à la bonne gestion du conflit en société et à la consolidation de la démocratie.
Dans la dernière partie regroupant les chapitres 9 à 12, Hudon et Poirier ont choisi d’aborder quatre aspects qui semblent influencer non seulement l’activité politique, mais aussi les forces politiques, à savoir « la technocratisation, la médiatisation, la mondialisation et la judiciarisation » (p. 309). Des mouvements sociaux à l’État, toutes les forces politiques ont souvent, même toujours, recours à la science et à la technique pour justifier (par rapport aux autres forces politiques et à l’opinion publique) leurs actions dans la réalisation de leurs intérêts. Cette technocratisation, c’est-à-dire « cette tendance à prendre le savoir et la technique comme fondements de la légitimité des décisions » (p. 315), a fini par attribuer une place prépondérante aux experts non seulement dans le débat social, mais aussi au sein des forces politiques, comme le montre notamment la place des technocrates dans l’appareil étatique. S’ils reconnaissent une grande capacité d’influence aux médias à travers leur fonction première qui est d’informer, Hudon et Poirier ne considèrent pas qu’ils constituent un quatrième pouvoir, car ils n’ont pas « l’autorité de la décision politique » (p. 344). Ils croient que les médias « médias contribuent tout de même à la propagation de l’idéologie dominante du marché et, ainsi, ils font écho aux relations de pouvoir en société plus qu’ils ne les créent » (p. 348). Malgré leur caractère de plus en plus commercial qui a fini par transformer la politique en spectacle, les médias, à l’image des nouvelles technologies de l’information et de la communication comme Internet, représentent un acteur important de la démocratie, notamment du fait qu’ils constituent un espace d’expression et de reconnaissance pour les forces politiques. Concernant la mondialisation, Hudon et Poirier s’opposent à l’idée selon laquelle elle serait à l’origine de la marginalisation des États. Plutôt qu’une absorption de l’État par la mondialisation, l’imbrication du national et de l’international illustre une évolution de l’État, évolution qui trouve ses racines dans les changements qui s’opèrent au sein de l’État-nation. Quant à la judiciarisation, sous le sceau de la démocratie et des droits de l’homme, elle tend de plus en plus à devenir l’interaction qui gère les différends en société, au grand dam de la politique. En effet, dans la défense de leurs intérêts, les acteurs politiques ont de plus en plus recours au processus judiciaire, au détriment de la négociation et du compromis. Le judiciaire gagne en prépondérance sur le législatif et, par conséquent, c’est l’équilibre démocratique qui se trouve menacé.
Richesse et pertinence sont les deux mots qui illustrent le mieux cet ouvrage. D’abord, richesse et pertinence au niveau bibliographique. À la fin de chaque chapitre, les auteurs présentent une bibliographie avec un nombre impressionnant d’auteurs. Ce livre permet à tout étudiant de se familiariser avec les grands auteurs et les grandes théories de la sociologie politique. Richesse et pertinence ensuite dans les idées et dans la tentative de réhabilitation de la politique. Ce livre s’inscrit aussi dans l’actualité politique, que ce soit au Canada ou dans d’autres grandes démocraties. Raymond Hudon et Christian Poirier ont signé un ouvrage de référence en science politique, qui plus est en français, et c’est certainement ce qu’a voulu témoigner l’Association canadienne de science politique en lui décernant le prix Donald-Smiley 2012 du meilleur livre publié en français sur un sujet traitant de la politique ou du gouvernement au Canada.