Résumés
Résumé
Les élections législatives de 2009 mettent en évidence au Mexique une transformation des règles pragmatiques de la compétition politique ainsi qu’un problème de représentativité. À travers le cas « Juanito », d’abord élu représentant de l’arrondissement d’Iztapalapa dans le District fédéral puis destitué de son poste, cet article propose d’analyser comment cette transformation participe aux problèmes de gouvernabilité qui se présentent dans cette circonscription. La destitution d’un candidat démocratiquement élu questionne le principe de libre élection de représentants par des citoyens. Cela a des effets directs sur l’exercice du gouvernement en remettant en cause la légitimité du nouveau dirigeant. À l’origine on retrouve, d’une part, l’utilisation politique du droit par les protagonistes comme stratégie pour sortir du conflit politique et, d’autre part, le développement d’une « politique de pactes ». Dans quelles conditions a lieu cette destitution ? Comment les acteurs parviennent-ils à se servir d’une diversité de recours juridiques pour faire tenir leurs promesses ? Quels sont les effets de l’exercice de ces pratiques pour le gouvernement d’Iztapalapa ? Ce sont des questions auxquelles cet article se donne pour objectif de répondre.
Abstract
The 2009 legislative elections in Mexico shed light on a transformation of pragmatic rules of political competition as well as a representative problem. This can be reflected through the “Juanito” case in Iztapalapa. He had been elected as representative of this district and was then removed from his position. This paper seeks to examine how this transformation participates in the governability problems of this district after the elections. The dismissal of a democratically elected candidate questions the principle of free election of representatives by citizens, a principle that is largely defended in democratic contexts. This situation has direct effects on the exercise of government since the legitimacy of the new representative can be questioned. At the start of these practices, on the one hand, we identify a political use of law by protagonists of this conflict as a strategy to resolve a political conflict. On the other hand, we recognize the development of a “policy of pacts.” In what conditions does the dismissal take place? How do the actors mobilize an array of legal appeals to make each other keep their promises? What are the impacts of these practices on the Iztapalapa government? The main purpose of this paper is to provide answers to these questions.
Corps de l’article
Plus de 20 ans se sont écoulés depuis le début du processus de démocratisation au Mexique. La transformation du régime politique hérité de la révolution mexicaine a entraîné une rupture avec plus de 70 ans de pratiques et de représentations politiques. Les élections de 2009 dans ce pays ont mis en évidence un contexte politique marqué par un scénario de conflits de « représentativité » qui trouvent leur origine dans la transformation des pratiques liées à la compétition politique. À ce propos, le très récent cas de Rafael Acosta Ángeles, connu sous le nom de « Juanito », élu maire de l’arrondissement d’Iztapalapa[2] dans le District fédéral, puis destitué de son poste par sa propre démission en raison du pacte conclu avant l’élection, met en évidence comment « ‘le droit’ se trouve […] ‘bricolé’ par les politiques » (Gaxie, 1989 : 210). Ce cas remet en question le principe d’élection des représentants, caractéristique de toute société prétendument démocratique. Dans le même temps, il met en lumière la tension entre légalité et légitimité qui peut être génératrice de conflits de gouvernabilité.
Plus spécifiquement, l’élection du maire d’Iztapalapa questionne la légitimité que procure l’élection. En d’autres termes, la majorité des voix, per se, attribue la légitimité à un candidat (Juanito), qui avait négocié au préalable sa démission, dès le lendemain de son élection, au profit d’un candidat virtuel (Clara Brugada). Toutefois, dans les mois qui ont suivi l’élection, un conflit éclate après le refus de Juanito de présenter sa démission. Dès lors, la Mairie en tant qu’instance représentative et ses citoyens se trouvent dans l’incapacité de prévoir qui les gouvernera, ouvrant ainsi la possibilité d’un conflit d’« (in)gouvernabilité ». Au centre de ces pratiques on distingue les partis politiques, d’une part, et des institutions et des acteurs, d’autre part, tous détenteurs d’attributions juridiques et représentatives à différents niveaux, même si ce conflit est d’autant plus visible lorsque l’on porte le regard sur ce qui se passe au niveau local[3]. Dans ce travail, nous resterons attentif aux liens existants entre ce conflit et ce qui se passe alors au niveau national. En effet, d’après Jacques Lagroye (1993 : 180), il existe une certaine intrication du local et du national pour ce qui touche les pratiques mises en oeuvre par les acteurs, car « la construction incessante du ‘local’ résulte de quantité de processus » (voir aussi Sawicki et Briquet, 1989).
Cette préoccupation n’est pas nouvelle pour la sociologie : elle renvoie à la question de la production de la légitimité par la légalité et ses procédures ou à la manière dont sont acceptés les résultats qui découlent des procédures[4]. Le cas Juanito est particulièrement emblématique du fait qu’il soulève, en plus de cette problématique, la question du rapport entre celle-ci et l’enjeu de la gouvernabilité dans des sociétés dites démocratiques et normées par des droits. Tel qu’il a été largement discuté par des spécialistes mexicains et étrangers, le processus de démocratisation au Mexique détient une spécificité l’empêchant d’être complètement expliqué par l’une des écoles de pensée du changement de régime (autoritaire vers une démocratie) de la fin du vingtième siècle (Meyer, 2005 ; Loaeza, 2008 ; Aguayo, 2010). De ce fait, Reynaldo Ortega (cité par Aguayo, 2010) définit la démocratisation du Mexique comme une « transition dilatée »[5], alors que Soledad Loaeza (2008) propose de la penser en termes de « transition par transaction »[6].
Dans ce contexte, les récents travaux d’Héctor Fix-Fierro et Sergio López-Ayllon (2001), qui portent précisément sur l’analyse du rapport entre légitimité et légalité, proposent de penser ce rapport comme un conflit « à partir des conditions juridiques de la légitimité et à partir des conditions politiques de la légalité »[7]. En d’autres termes, si les acteurs doivent tenir compte de la règle, ils « peuvent le cas échéant la contester, chercher à la contourner à leur profit, ou encore s’efforcer de la faire évoluer en s’adressant aux autorités habilitées à produire le droit : retour à la ‘demande’ de droit » (Lochak, 1989 : 6). Selon cette perspective analytique mêlant droit et politique, il s’agira dans cet article d’appréhender comment les acteurs investis du cas Juanito font un usage politique du droit et d’analyser les effets de cette pratique. En ce sens, prenant en considération qu’au centre de cette problématique se révèle le développement d’une « politique de pactes » en raison d’un conflit de délibération au sein des partis politiques (Lefebvre et Roger, 2009), le regard analytique mobilisé ici sera celui de « la politique […] ‘saisie par le droit’ » (Chevallier, 1993 : 7)[8]. La victoire à la majorité des voix confère-t-elle une légitimité à un candidat qui ne représente pour les citoyens qu’un moyen d’être représentés par leur candidat virtuel ?
Nous introduirons dans l’analyse la question de la « gouvernabilité » comme dimension directement affectée par la tension entre légalité et légitimité. Cette dernière est entendue ici comme :
le degré auquel une unité politique est susceptible d’être gouvernée. Dans la relation de pouvoir qui constitue l’unité politique comme telle, c’est en particulier le degré auquel les autorités sont en mesure d’exercer un pouvoir de commandement sur les choses et sur les hommes, notamment le degré auquel elles obtiennent l’obéissance ou le consentement[9].
Gaxie, 1996 : 249
Les matériaux empiriques mobilisés pour cet article sont le résultat d’un dépouillement de la presse nationale (le Reforma et l’Universal) et internationale (le País et le New York Times), de juin 2009 à avril 2010[10]. Le choix de la période est fait en fonction de la durée du conflit. En ce qui concerne le choix des journaux, nous avons tranché en faveur des journaux nationaux à plus grand tirage, car c’est dans ces journaux que l’on trouve le plus grand nombre d’actualités sur la ville de Mexico. Dans le souhait de neutraliser, dans la mesure du possible, le biais introduit par l’utilisation des articles de presse comme source principale, nous avons cherché non seulement à les diversifier en dépouillant également la presse internationale, mais nous nous sommes également efforcé de confronter ces informations aux travaux scientifiques produits sur les acteurs investis dans cette histoire (dont les partis politiques et les institutions publiques). Cet article comprend deux parties. Dans un premier temps, il sera question de tracer notre cas d’étude qui servira de cadre de construction à notre objet afin, dans un second temps, de parvenir à saisir la manière dont les acteurs ont mobilisé le droit et la politique pour résoudre les tensions entre légalité, légitimité et gouvernabilité dans un cadre de compétition politique façonné par l’esprit démocratique.
L’histoire d’un candidat vainqueur délégitimé par l’élection elle-même : Juanito à Iztapalapa
Au Mexique, la démocratisation s’est centrée sur la « question électorale » et non pas sur l’idée de quête de justice ou de dénonciation de violations des droits comme au Chili (Garretón, 1995, 2003) ou en Argentine (O’Donnell, 1999). Contrairement aux autres pays d’Amérique latine où l’enjeu, pour les partisans de la démocratie, est d’obtenir le retour des procédures électorales, il y a toujours eu des élections au Mexique sous le régime autoritaire[11] du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI)[12] à la tête du gouvernement de 1929 à 2000, mais ces élections étaient de nature frauduleuse. Les questionnements relatifs au régime sont donc adressés en termes de « confiance » dans les institutions publiques constituées et contrôlées par le PRI-État. De ce fait, la régularité électorale[13] et le changement institutionnel marquent la voie à suivre pour transformer le système politique (Loaeza, 2008 ; Aguayo, 2010). C’est dans le cadre des transformations institutionnelles qu’est fondé en 1990 l’Institut fédéral électoral (IFE)[14] et que les réformes des lois électorales prennent une dimension inconcevable jusqu’alors. On peut citer, d’une part, le cas de l’importante réforme de 1977 au cours de laquelle est adoptée la première « Ley Federal de Organizaciones Políticas y Procesos Electorales » [Loi fédérale des organisations politiques et des élections] et, d’autre part, celle de 1996, qui réforme profondément la première mouture de l’IFE. L’ensemble des réformes qui ont eu lieu depuis permet d’avancer que ce processus de changement politique a été également accompagné d’une « transition juridique », pour reprendre l’hypothèse de Héctor Fix-Fierro et Sergio López-Ayllon[15]. Cette transition juridique facilite plusieurs changements du système juridique qui se sont révélés très significatifs. Les transformations institutionnelles ne concernent pas seulement les institutions liées aux questions électorales, mais touchent également d’autres domaines du système politique mexicain. C’est dans le cadre de ces réformes que voient le jour certaines institutions qui ont pour but de répondre aux demandes sociales orientées par le processus de démocratisation[16].
Tous ces changements contribuent à écrire l’histoire du Mexique démocratique. En ce sens, les récentes élections de 2009 dévoilent l’existence de pratiques liées à la compétition politique qui semblent s’opposer aux prétendus principes démocratiques, à savoir « la libre élection des citoyens de leurs représentants », et mettent en cause la légitimité de l’élection elle-même. À ce titre, le conflit qui s’est déclenché dans l’arrondissement d’Iztapalapa relatif à l’élection de son représentant est révélateur. Malgré la victoire électorale de Juanito, son élection est remise en question par les citoyens et par les acteurs politiques eux-mêmes. C’est pourquoi les conditions dans lesquelles cette élection s’est déroulée sont contestées, dès le moment de l’élection interne des candidats au sein des partis politiques et jusqu’à quelques mois après le scrutin. C’est un poste d’observation de la manière dont les acteurs politiques se servent des recours juridiques pour détourner les lois en leur faveur, dans le seul objectif de mettre fin à un conflit politique résultant d’un pacte engagé avant l’élection et obéissant notamment à un conflit de délibération des candidats au sein d’un parti politique, le Parti de la révolution démocratique (PRD)[17]. Toutefois, la portée de ce conflit dépasse le cadre et l’intérêt particuliers des partis politiques, en se transformant en conflit mettant en jeu la gouvernabilité d’une circonscription.
On fait comme si on y allait ensemble !
« Dans aucune circonstance nous ne soutiendrons une candidature illégitime, c’est une question de cohérence politique et morale », déclare le secrétaire général du PRD, Manuel Oropeza, le 13 juin 2009, lors de l’annonce faite par le Tribunal électoral du pouvoir judiciaire de la fédération (TEPJF)[18] d’invalider l’élection du candidat comme représentant de l’arrondissement d’Iztapalapa de ce parti (Universal, 13 juin 2009). Cette décision intervient moins d’un mois avant la tenue des élections intermédiaires. Elle désigne Silvia Fragoso comme nouvelle candidate au poste de maire d’Iztapalapa pour le PRD. C’est ainsi que commence l’histoire de Juanito, au moment où les instances internes du parti, face à leur incapacité à résoudre le conflit surgi à la suite de la contestation des résultats de l’élection interne du candidat pour cet arrondissement, font tout d’abord appel à l’intervention du Tribunal électoral du District fédéral[19]. Pour certains partisans, l’élection a fait l’objet de pratiques « frauduleuses ». Le Tribunal ratifie cependant les résultats de celle-ci et déclare Clara Brugada comme candidate. Cette décision est mal acceptée par les militants du parti qui soutiennent l’autre candidate, Silvia Oliva, dont le cas est référé ensuite à l’instance fédérale supérieure : le TEPJF. Ce dernier prend une décision polémique contrairement à ce qui s’est produit dans le passé : au lieu d’annuler l’élection et de permettre au parti de décider à l’interne qui serait son candidat, le TEPJF décide de destituer l’instance interne du parti et de réaliser une évaluation de l’élection pour décider lui-même qui sera le candidat ou la candidate (Reforma, 12 décembre 2009). Comme nous l’avons précisé plus haut, le Tribunal plaide en faveur de Silvia Oliva Fragoso, en soutenant l’avance de cette dernière sur sa rivale, Clara Brugada, par 771 voix. Silvia Oliva se présente finalement comme la candidate du PRD à la représentation de l’arrondissement d’Iztapalapa, même si, d’après l’IFE, près de 1400 bulletins de vote étaient déjà imprimés au nom de Clara Brugada. Cette situation est attribuable à la décision tardive du Tribunal et aux délais très courts avant le jour de l’élection (Universal, 13 juin 2009).
Les différents groupes et courants qui appuient Clara Brugada au sein du parti, notamment le courant de l’ancien candidat du PRD à la présidence du Mexique en 2006, Andrés Manuel López Obrador, prennent une décision qui paraissait jusqu’alors presque inimaginable : ils vont désormais faire campagne en faveur du candidat du Parti du travail (PT)[20] à cet arrondissement, Juanito. Le PT est un parti proche de la gauche mexicaine et du groupe d’obradoristes[21]. Établir un pacte pour en fin de compte soutenir un autre candidat ne semble pas être une pratique nouvelle dans la vie politique. Toutefois, l’accord conclu par le groupe obradoriste, l’Unión Popular Revolucionaria Emiliano Zapata (UPREZ – Union populaire révolutionnaire Emiliano Zapata)[22] et d’autres forces du PRD dans le cas d’Iztapalapa, apparaît particulier pour plusieurs raisons[23]. L’annonce du pacte est faite publiquement par l’ancien candidat à la présidence lui-même à l’occasion d’un meeting qui s’est tenu sur l’esplanade de la Mairie d’Iztapalapa. López Obrador explique que lorsqu’Acosta aura remporté l’élection, il recevra l’investiture en tant que maire devant l’Assemblée du District fédéral, ainsi que l’exige la loi. Juanito démissionnera ensuite et Obrador demandera à Marcelo Ebrard (qui a été élu chef du gouvernement du District fédéral alors qu’il était candidat du PRD[24]), de proposer Clara Brugada comme nouvelle maire afin que l’assemblée locale puisse ratifier sa désignation. « Il est préférable de lutter plutôt que de nous soumettre. » C’est par ces mots que l’ancien candidat à la présidence conclut son intervention lors de ce meeting (Universal, 17 juin 2009). Jusqu’ici, tout paraît parfaitement réfléchi, calculé, comme s’ils étaient en train d’imaginer et d’écrire le scénario d’un film dans lequel les citoyens jouent le rôle de figurants.
À partir de ce moment, Andrés Manuel López Obrador et Clara Brugada commencent, dans l’arrondissement, une série de 33 meetings de soutien à la candidature de Juanito. Ils font des visites dans les quartiers, appelant à voter pour le candidat du PT. Lors de ces meetings, les pérédistes (partisans du PRD) distribuent des tracts sur lesquels apparaît un bulletin de vote où le logo du PT est rayé. Parmi les slogans que l’on entend au moment des campagnes de soutien à Juanito, citons : « À Iztapalapa, le vote pour le PT, c’est le vote pour Clara Brugada. Votez ainsi, même si le nom de Clara Brugada apparaît également sur le logo du PRD » (Universal, 20 et 21 juin 2009) ou encore « Allons voter pour le PT le 5 juillet[25]. »
Néanmoins, cette campagne, qui se révèle très surprenante, ne se passe pas sans contraintes et fait l’objet de vives critiques de la part de plusieurs acteurs politiques, parmi lesquels le Parti social-démocrate (PSD)[26]. Ce dernier décide de déposer une plainte auprès du Bureau du procureur spécial chargé du contentieux électoral (FEPADE)[27] contre Andrés Manuel López Obrador et le PT (Universal, 22 juin 2009). La Constitution mexicaine énonce dans ses articles 5 et 36 section IV que l’exercice des postes électifs est obligatoire. Ne pas exercer les fonctions en tant qu’élu est sanctionné, au titre de l’article 38 section I, par la suspension des droits et prérogatives, ainsi que par la prison, selon l’article 261 du Code pénal du District fédéral. La destitution d’un poste électif ne peut avoir lieu seulement quand l’Assemblée le décide et cette décision doit être fondée sur l’un des graves motifs signalés par le Statut du gouvernement du District fédéral. Emilio Rabasa Gamboa, dans une tribune publiée dans l’Universal, met l’accent sur la manière dont Obrador compte pouvoir imposer Clara Brugada comme maire après la démission de Juanito :
Marcelo Ebrard ne peut pas donner l’ordre à l’Assemblée à propos de la candidature de Clara Brugada, car il s’agirait d’une violation constitutionnelle à la suite d’une démission illégale. Et il prendrait le risque de devoir faire face à un procès politique pour violation de la Constitution, comme le prévoit l’article 110 de la Constitution relatif à la responsabilité des fonctionnaires. Dans ce cas, la sanction est la révocation du poste et l’interdiction de travailler dans les services publics.
Universal, 25 juin 2009
Insister sur les contraintes juridiques qui s’imposent à la proposition d’Obrador pour que la candidate destituée, Clara Brugada, occupe finalement le poste de maire d’Iztapalapa est une manière de mettre en évidence les deux dimensions qui se trouvent au coeur de ce conflit. D’une part, celle du subjectivisme politique, qui incite, apparemment, à l’usage du droit pour détourner les normes qui régissent la compétition électorale. D’autre part, soutenir ou non un candidat étant un droit, la question du respect d’un droit objectif est soulevée. Juanito est le candidat vainqueur de cette course politique (voir ill. 1). Le scénario s’est déroulé comme prévu. Certes, la fin du film est encore loin et elle prendra une orientation inattendue.
Une victoire à l’origine d’une histoire accidentée
Qu’est-ce que l’élection du représentant d’un arrondissement d’une ville du Mexique a de particulier pour mériter la une des journaux nationaux ? Lors de la victoire de Juanito, cette histoire prend une importance majeure certainement liée au fait que ses protagonistes ne croyaient pas vraiment que leur stratégie allait fonctionner et n’avaient donc pas envisagé les orientations qu’elle pouvait prendre. On voit dans la presse comment Andrés Manuel López Obrador, peu avant l’élection, avertit publiquement Juanito : « Il ne faut pas y croire, si jamais tu gagnes l’élection le 5 juillet à Iztapalapa, car ta place sera occupée par Clara Brugada. » (Reforma, rubrique Annuaire, 2009 : 48) Pourtant, après avoir pris connaissance de sa victoire, Juanito refuse, également publiquement, de respecter ses engagements. Le candidat élu déclare alors : « Je vais rester pour gouverner, puisque les gens me le demandent. » (Universal, 10 septembre 2009) Cette déclaration déclenche non seulement un conflit entre les protagonistes de ce pacte, mais également un climat d’instabilité et de confusion chez les habitants d’Iztapalapa. Qui gouvernera l’arrondissement : Juanito ou Clara ? Les confrontations se poursuivent publiquement.
Juanito n’était pas seul à vouloir gouverner Iztapalapa. Outre le petit cercle de collaborateurs qui le soutenaient depuis sa pré-candidature au PT[28], d’autres acteurs se sont impliqués et ont constitué ensemble ce qui sera identifié par la suite comme le groupe des « Juanitos ». La plupart des Juanitos étaient pétistes (partisans du PT) et avaient un poste électif dans ce parti (Universal, 28 septembre 2009). Le refus de Juanito de solliciter une suspension temporaire le 1er octobre persiste jusqu’à cette date. Les prises de position des partisans pérédistes en désaccord avec ce pacte et la manière dont il a été conduit se font entendre. Horacio Martinez, député du PRD appartenant au courant de la nouvelle gauche (courant opposé à celui des obradoristes), exprime ses regrets d’avoir entraîné le parti dans une telle situation : « Andrés Manuel López Obrador est devenu le Victoriano Huerta[29] du PRD et un homme autoritaire qui a généré une situation aussi lamentable. » (Universal, 26 septembre 2009) Ce conflit concernant les problèmes internes du PRD et ceux entre les acteurs politiques obéissant aux logiques concurrentielles propres au champ politique de ce pays prend alors une dimension qui dépasse les limites de l’arrondissement d’Iztapalapa.
La médiatisation du personnage Juanito contribue à répandre cette histoire dans l’opinion publique nationale et internationale. Le cas Juanito attire l’attention des journaux internationaux, tels que le New York Times (30 septembre 2009) qui souligne que « le fait qu’un homme commun joue le jeu des hommes politiques a fasciné les Mexicains ». De son côté, le journal espagnol le País consacre plusieurs articles à l’affaire Juanito. Une tribune de Sabino Bastidas Colinas prétend que Juanito reflète « la démocratie convertie en démagogie par nos gauches » ou « l’élite mexicaine, qui apparaît surprise qu’un homme réel arrive au pouvoir, un homme vrai, un homme du peuple ». Bastidas compare Juanito à « Sancho Panza dans l’Île Barataria, ou [à] Juan Vargas dans le film ‘La loi d’Hérode’ du réalisateur Luis Estrada : un dirigeant par hasard » (País, 8 septembre 2009).
Le rôle essentiel joué par le chef du District fédéral, Marcelo Ebrard, dans le cas Juanito est très probablement attribuable à l’importance de l’arrondissement pour cette circonscription fédérale et pour ce qu’elle représente en termes d’électeurs par rapport au pays, mais aussi, étant donné que ce dernier appartient au PRD et qu’il a maintenu au fil du temps une position pragmatique avec le courant d’obradoristes. Iztapalapa est l’arrondissement le plus peuplé du District fédéral et l’un des plus peuplés du Mexique, ce qui a un effet direct sur son budget. Sa population (1 820 888 habitants) représente un peu plus de la moitié de celle du Panama (3 450 349 habitants) ou près du tiers de celle du Costa Rica (4 579 000). En termes budgétaires, cet arrondissement obtient environ 4 milliards de pesos mexicains par an (soit 296 millions de dollars américains). L’arrondissement est donc celui qui obtient le plus important budget du District fédéral et il reçoit plus de ressources budgétaires que plusieurs villes capitales du pays. Toutefois, Iztapalapa est également l’un des arrondissements qui recèlent des enjeux cruciaux en termes d’accès aux services publics, en particulier en ce qui concerne la distribution de l’eau potable. En conséquence, cet arrondissement constitue un bastion électoral important à conquérir pour les partis politiques et une priorité pour le gouvernement du District fédéral.
Le 29 septembre 2009, deux jours avant la cérémonie d’investiture, Juanito rend publique sa décision de solliciter une suspension temporaire immédiatement après la cérémonie. La durée de la suspension serait de 59 jours et Juanito justifie cette décision par des « problèmes de santé » dont il souffrirait. Cependant, ce dernier assure s’être engagé à surveiller Iztapalapa : « Je me suis engagé à surveiller le respect des engagements pris par Clara Brugada ». Le départ temporaire d’Acosta permet ainsi à Brugada de prendre en charge la direction de la mairie en tant que « responsable de cabinet ». Juanito ne part pas les mains vides : il obtient en contrepartie plusieurs postes pour les pétistes qui avaient travaillé à ses côtés, dont trois directions territoriales (Ermita Zaragoza, Centro et Aculco) et deux directions générales (la direction générale du développement de la mairie et la direction générale du développement social) (Universal, 29 septembre 2009).
La cérémonie d’investiture est marquée par le style Juanito. Ce dernier s’écrie au milieu de la cérémonie : « Que meure le PR…(D) ! Que meure le PT pour traîtrise ! », alors que Clara Brugada fête la victoire dans les tribunes de l’Assemblée, comme si c’était elle qui recevait l’investiture (Reforma, 2 octobre 2009, rubrique Ville, p. 1). Deux semaines ont suffi à Juanito pour revenir sur sa décision, le 14 octobre 2009. Lors d’une rencontre avec des étudiants en communication de la ville de Morelia, il déclare : « Les jours de Brugada sont comptés car je suis le maire d’Iztapalapa et je vais y retourner pour gouverner. » Juanito justifie devant les étudiants sa décision de demander une suspension temporaire : « La situation était très dure à Iztapalapa. J’ai préféré la paix à la violence. Des attaques m’étaient adressées de partout : tant les députés du PRD que ceux du PT ont fait pression sur moi. Andrés Manuel López Obrador aussi. » (Reforma, 15 octobre 2009, rubrique Ville, p. 1) Cette déclaration fait réagir le PRD du District fédéral (PRD-DF) qui, par le biais de son secrétaire général, Jesús Valencia, se mobilise pour offrir à Juanito, en échange de sa démission définitive, un poste de fonctionnaire du District fédéral à partir du 1er décembre (Reforma, 19 octobre 2009, rubrique Ville, p. 3).
Les échanges médiatiques entre Juanito, le chef du gouvernement du District fédéral, la candidate destituée et Jésus Valencia, secrétaire général du PRD-DF, responsable des négociations avec Juanito, se poursuivent jusqu’en novembre. Juanito ne renonce pas à la possibilité de retourner gouverner Iztapalapa. Le dialogue entre eux est rompu et le conflit s’accentue. Le malaise de Juanito est lié au fait que ses collaborateurs ne participent pas à la prise de décisions, bien qu’ils aient été nommés directeurs territoriaux. Pour Juanito, cela signifie que Brugada ne respecte pas le pacte conclu le 29 septembre, grâce auquel elle avait pu occuper la direction de la mairie (Reforma, 1er novembre 2009, rubrique ville, p. 3). En outre, le personnage de Juanito est de plus en plus controversé : il se lance comme acteur dans une pièce de théâtre (Reforma, 13 novembre 2009, rubrique Ville, p. 4 ; Universal, 13 novembre 2009) et fait une tournée dans tout l’arrondissement avec une statue en bronze à son image[30] (Reforma, 4 novembre 2009, rubrique Ville, p. 7 ; Universal, 4 novembre 2009).
On peut se demander ce qui se passe du côté des habitants d’Iztapalapa pendant ce temps-là. Les discussions entre les acteurs politiques, protagonistes de cette histoire, ne prennent pas précisément en compte les préoccupations concrètes des citoyens. En d’autres termes, ils discutent de leurs négociations, de leurs arrangements et de leurs pactes comme s’ils avaient oublié l’objectif premier des fonctions qu’ils exercent ou qu’ils cherchaient à exercer, à savoir représenter les citoyens et satisfaire leurs demandes. La polémique qui avait éclaté avant l’investiture de Juanito en octobre revient alors sur le devant de la scène. Les citoyens ne savent pas qui va finalement gouverner l’arrondissement. À ce stade, ce sont les députés locaux des différents partis politiques qui dénoncent « le climat d’incertitude et d’ingouvernabilité à Iztapalapa » (Reforma, 27 novembre 2009, rubrique Ville, p. 4). L’inquiétude des acteurs politiques tient au fait que, si nous prenons en considération la dimension objective du droit, Juanito est pleinement autorisé à reprendre son poste le 29 novembre, car il a légitimement remporté l’élection.
Juanito n’est plus reconnu par les deux partis qui l’ont soutenu, le PRD et le PT. Le 28 novembre, un jour avant le terme du délai des 60 jours de la suspension temporaire, Juanito, en compagnie de ses partisans, décide d’entrer à la mairie, pendant la nuit, pour occuper son poste (Reforma, 28 novembre 2009 : 1 ; Reforma, 28 novembre 2009, rubrique Ville, p. 6). Or, tant que Clara Brugada ne restitue pas le poste de représentant de l’arrondissement et que cette dernière n’est pas notifiée officiellement du retour du représentant élu, la mairie se trouve sans dirigeant, situation qui se prolonge pendant douze jours. Juanito est là, il établit son propre programme pendant que tous les employés qui soutiennent Brugada refusent de travailler avec lui. Juanito procède à une vague de licenciements afin, selon ses propres termes, de « faire un grand nettoyage à la mairie ». Les adversaires politiques de Juanito profitent de l’occasion pour déclarer qu’Iztapalapa risque de ne plus être en capacité d’offrir aux citoyens des services publics. Clara Brugada refuse de restituer son poste et une série de mobilisations et de rencontres ont lieu dans l’esplanade d’Iztapalapa. Le chaos semble régner à la mairie et, face à cette situation, la police est contrainte de rester sur place afin d’assurer le calme et d’éviter la violence entre les groupes. Les mobilisations viennent des deux côtés, juanitos et brugadistes (Universal, 6 décembre 2009).
Cependant, une fois de plus, Marcelo Ebrard revient sur le devant de la scène et négocie avec Juanito sa démission définitive. Le chef du District fédéral fait part à Juanito du délit dont il s’est rendu coupable en falsifiant l’acte de naissance grâce auquel il avait obtenu son inscription en tant que candidat du PT dans l’arrondissement d’Iztapalapa (Reforma, 10 décembre 2009, rubrique Ville, p. 1 ; Universal, 10 décembre 2009). Le 11 décembre, le gouvernement du District fédéral reçoit la lettre de démission de Juanito (Reforma, 11 décembre 2009, rubrique Ville, p. 1 ; Universal, 11 décembre 2009). L’un des intitulés de journaux ce jour-là était : « y se rajó Juanito » (Reforma, 11 décembre 2009 : 1), formule qui cherche à se moquer de la décision finale de Juanito et des limites qui ont été imposées à l’« homme réel » qui avait cherché à jouer le jeu de la politique. En tant que chef du gouvernement du District fédéral, Marcelo Ebrard est la seule personne qui possède les compétences juridiques pour proposer à l’Assemblée du District fédéral « le » ou « les » candidat(s) ou candidate(s) susceptibles d’occuper ce poste. L’Assemblée est légalement dotée des pouvoirs de valider ou non la proposition d’Ebrard. De ce fait, la nomination du représentant d’Iztapalapa fait à nouveau l’objet de négociations et de pactes mis en scène par une partie de la classe politique mexicaine appartenant aux différentes forces politiques. C’est ainsi que la nomination de Clara Brugada en tant que maire de l’arrondissement d’Iztapala a finalement lieu, conformément aux règles du droit, le samedi 12 décembre 2009 (Universal, 12 décembre 2009 ; Reforma, 12 décembre 2009).
De prime abord, on a pu penser que, lors de la mise en oeuvre du processus de démocratisation dans ce pays, les arrangements et les négociations qui violent ou fragilisent la légitimité du principe démocratique de la « libre élection par les citoyens de leurs représentants » n’étaient quasiment plus présents. Cependant, le conflit à Iztapalapa, d’une part, montre que ces pratiques subsistent, en prenant des formes et des nuances différentes, c’est-à-dire qu’elles se transforment au fil du temps. Il est probable que le contexte démocratique ait été le facteur permettant de révéler, avec plus de clarté, l’existence de ces pratiques. En effet, dans ce contexte, les réactions de citoyens envers les actions de leurs gouvernants sont prises en compte plus qu’auparavant (Gaxie, 1996). D’autre part, il apparaît assez clairement que ces arrangements et ces négociations mobilisent une stratégie de recours à la norme juridique afin de trouver une porte de sortie au conflit politique. Par conséquent, ce qui doit être souligné dans le cas Juanito, ce sont les voies ouvertes et utilisées par les acteurs politiques pour détourner les processus marqués par la légalité et la norme juridique. C’est dans cette direction que nous allons orienter notre réflexion dans la deuxième partie de cet article.
Quand droit et politique se retrouvent au premier rang d’un conflit de la compétition électorale
L’élection de 2009 à Iztapalapa a été le théâtre de confrontations entre acteurs politiques qui ont amené à contester le choix des citoyens pour être représentés. On observe que, lors de cette élection, les règles pragmatiques[31] de la compétition politique ont été adaptées dans leur dimension subjective (politique) sans que pour autant cette adaptation n’ait impliqué une transformation des normes juridiques. À l’origine de cette situation, nous identifions une « politique de pactes », qui, à l’occasion, a des conséquences directes sur les gouvernés. Plus spécifiquement, cette situation, d’une part, met en évidence comment les acteurs politiques se lancent dans une pratique d’usage continuel d’une diversité de recours juridiques en leur faveur dans l’objectif de surmonter les conflits politiques émanant des pactes préétablis. Cette pratique reste au stade de la tentative, car un seul parmi les nombreux recours utilisés a finalement abouti. D’autre part, l’élection à Iztapalapa soulève les effets de l’usage politique du droit sur la manière dont « une unité politique [l’arrondissement] est susceptible d’être gouvernée ». En effet, il persiste l’idée que la gouvernabilité dans les démocraties établit une dépendance plus accentuée des représentants vis-à-vis des réactions de leurs représentés, à savoir les citoyens (Gaxie, 1996 : 249). L’actuelle représentante de l’arrondissement d’Iztapalapa (Clara Brugada) est à son poste en partie grâce au vote des citoyens et en partie, aussi, en raison des manoeuvres et des tactiques des acteurs politiques. Une situation pour le moins paradoxale. Comment, alors, a-t-il été possible qu’Iztapalapa soit gouverné aujourd’hui par un représentant qui n’a pas été élu directement par la voie des voix ?
Une « politique de pactes » qui ébranle la gouvernabilité d’une localité
Bien que la destitution de Clara Brugada comme candidate du PRD à Iztapalapa ait été prononcée par l’instance la plus élevée dans la hiérarchie des normes en matière électorale, le Tribunal électoral du pouvoir judiciaire de la fédération (TEPJF), Brugada est aujourd’hui la représentante de cet arrondissement. La destitution ne l’empêche pas de continuer la course électorale, mais la spécificité pour l’analyse est de comprendre comment celle-ci se poursuit. À ce propos, nous identifions deux pratiques à partir desquelles cette situation a été rendue possible : la candidature mirage et la campagne par procuration.
À l’origine de ces pratiques se trouve le pacte conclu entre Obrador, Brugada et Juanito, pour que les partisans d’un parti fassent campagne pour le candidat d’un autre parti. Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas d’une coalition[32] entre partis, mais d’un pacte politique entre certains individus venant de deux organisations politiques différentes : le PRD et le PT. Toutefois, la conclusion d’un tel pacte s’explique notamment par les conflits internes du PRD, surgis lors du processus de délibération de ses candidats en raison de ses propres logiques de constitution et de fonctionnement (Combes, 2005 : 338)[33], mais aussi en raison du développement d’outils délibératifs comme une manière de « démocratiser » les organisations politiques entraînant certains effets, dont « [la facilitation] dans les faits [de] l’autonomisation des dirigeants » (Lefebvre et Roger, 2009 : 29). Ces conflits sont également affectés par l’accroissement de la concurrence entre organisations politiques, liée à la relative ouverture politique expérimentée dans ce pays pendant la période de démocratisation. Au coeur de ce conflit se trouve donc la confrontation entre deux des principaux groupes de ce parti : obradoristes versus chuchos[34]. Une campagne par procuration repose sur le processus de constitution de la candidature mirage, si bien que les conditions d’existence de ces deux pratiques sont interdépendantes. Accepter de concourir pour une position élective, tout en sachant que celle-ci sera en fin de compte attribuée à quelqu’un d’autre, c’est s’engager dans la constitution d’une candidature mirage. On se lance dans une pratique d’illusion trompeuse vis-à-vis des citoyens. L’objectif est ainsi de contourner les normes juridiques, qui, pour une raison ou une autre, empêchent une personne d’obtenir le statut de candidat tout en restant dans la légalité.
Rendre ce pacte public constitue, en quelque sorte, une stratégie pour engager la campagne de promotion du vote en faveur du candidat représentant ce pacte. Dès lors, il se produit un scénario improbable aux yeux des observateurs : un groupe de pérédistes demande à ses partisans et à ses sympathisants de donner leur voix et de soutenir le candidat pétiste, Juanito, en soulignant que ce soutien est seulement un moyen de permettre à sa candidate destituée, Clara Brugada, de gouverner enfin Iztapalapa. En effet, ce que l’on observe ici, c’est une représentation[35] éloignée de la réalité, mais orientée par des comportements agissant conformément au droit dans une société dite « démocratique ». Quand Brugada participe aux meetings ou aux autres actions de campagne de Juanito, elle fait en réalité campagne pour elle-même, ce que nous appelons une campagne par procuration. Juanito et Brugada apparaissent ensemble dans les restaurants ou sur scène lors des meetings ou d’autres événements de campagne. À aucun moment de cette histoire, Brugada ou López Obrador ne renoncent à leur militantisme dans le PRD, alors que Juanito se retrouve à la fin du conflit sans aucun soutien partisan.
En fait, c’est la réglementation elle-même qui offre à Juanito, à Brugada et à Obrador la possibilité de concevoir et d’établir ce pacte grâce au recours de la suspension temporaire, après que l’élection aura été remportée. Ces derniers savent qu’ils ont la possibilité de gagner à condition de réussir à coordonner les réseaux partisans[36] des deux partis à Iztapalapa, étant donné que leur force réside précisément en cela. En conjuguant les deux forces politiques, ils se donnent les moyens de réaliser leur objectif, ce qui peut fonctionner aussi à la manière d’une stratégie de légitimation. S’ils réussissent à unir les forces des deux partis, ils pourront se réjouir d’avoir obtenu le soutien des deux forces politiques les plus représentatives de cet arrondissement, sans que cela soit le résultat d’une coalition entre les institutions partisanes. On se trouve ici face à une position qui défie la légitimité institutionnelle que défend tout gouvernement prétendument démocratique. Une légitimité qui, dans le cas du Mexique, fut étroitement liée à la transition juridique qui a accompagné la démocratisation de ce pays (Fix-Fierro et López-Ayllon, 2001). Ainsi, tel qu’avancé par Jacques Chevallier (1989 : 293), « C’est lorsque le droit est confronté à des processus de changement qu’il révèle sa nature profonde, les fonctions qu’il remplit dans la vie sociale, les usages qu’en font les divers acteurs sociaux. »
Les résultats électoraux attestent, du moins en partie, de la validité de cet argument de la recherche de légitimité par la représentativité obtenue par le vote : en tant que candidat du PT, Juanito remporte l’élection avec 31,18 pour-cent des voix, alors que le candidat du PRD, Oliva Fragoso, en obtient 22,11 pour-cent. Le candidat du PAN arrive en troisième position avec seulement 11,29 pour-cent des voix. Cet argument pourrait aisément être contesté car il est vrai que les sympathisants et les partisans du PRD à Iztapalapa ne soutiennent pas tous Juanito. Néanmoins, la division qui génère le pacte avec le candidat du PT au sein du PRD devient indirectement un soutien pour Juanito. Bien qu’une division existe en ce qui concerne l’élection à Iztapalapa au sein du PRD, pour le reste du pays, les choses se passent différemment. On voit, par exemple, que Lopez Obrador, protagoniste du pacte, se mobilise pour soutenir ailleurs les candidats de son parti ou dans le District fédéral lui-même, circonscription fédérale dans laquelle se trouve Iztapalapa. Comment peut-on faire campagne dans une localité pour un parti autre que le sien et, parallèlement, continuer à faire campagne pour son parti dans le reste de la fédération ? Même si nous reconnaissons une certaine intrication des deux dimensions de participation, locale et nationale, le cas Juanito montre comment un conflit électoral local peut adopter une logique de compétition politique différente de celle qui se déploie à l’échelle nationale, participant à la transformation des règles pragmatiques de la compétition électorale.
La question de la légitimité d’un candidat élu dans de telles conditions de chaos et de confusion implique un questionnement plus large. Cette situation fragilise non seulement la légitimité du candidat vainqueur et des institutions, mais surtout celle du changement de régime engagé au Mexique depuis déjà plusieurs années. À quoi ont servi toutes ces réformes institutionnelles qui sont à l’origine de l’ambition d’une « démocratisation » dans ce pays, des réformes visant précisément le renouvellement des règles électorales cherchant à garantir le respect du vote des citoyens ? Cette étude du cas d’Iztapalapa soulève l’une des limites du principe d’élection à la majorité dans la mesure où la volonté dictée par le vote n’a pas été respectée. Iztapalapa est aujourd’hui dirigé par un représentant qui n’a pas été élu au suffrage universel.
À partir du moment où l’objectif du pacte est atteint, soit la victoire de Juanito, Iztapalapa est plongé dans un conflit engendré par le refus de Juanito de céder sa place à Brugada. C’est dans ce contexte de conflit que surgit la question de la gouvernabilité. On entend cette dernière comme « le degré auquel une unité politique est susceptible d’être gouvernée » (Gaxie, 1996 : 249). Le poste de représentant de l’arrondissement est échangé trois fois entre Clara Brugada et Juanito en l’espace de deux mois et demi après le jour de la cérémonie d’investiture. Pendant ce temps, on se demande pour qui et comment cette circonscription est gouvernée. Ces échanges du poste ne sont pas sans conséquence. À certains moments du conflit, le gouvernement d’Iztapalapa reste vacant car les acteurs emploient des arguments juridiques pour ne pas cesser leurs fonctions en s’interposant les uns aux autres. En d’autres termes, ceux qui sont censés gouverner s’emploient à trouver les moyens de détourner la loi et de rester à leur poste actuel. Le recours à la suspension temporaire témoigne ainsi des limites qui s’imposent, étant donné qu’il peut, dans certains cas, répondre à des intérêts individuels ou à ceux de certains groupes, en laissant de côté le choix des électeurs. Dans le cas Juanito, ce recours devient un élément déclencheur de la justification et de la routinisation de l’usage des recours juridiques comme tactique permettant à ces acteurs, in fine, de parvenir à leurs fins, en même temps que les contraintes retrouvées lors de la mise en oeuvre de ce recours deviennent la base pour établir de nouveaux pactes.
La politique par le droit comme sortie du conflit à Iztapalapa
Si l’histoire polémique de Juanito commence par la conclusion d’un pacte politique, on constate que la sortie du conflit se fait par le biais d’autres pactes rythmés par l’utilisation de différents recours juridiques. Au centre de ces pactes, on observe des manifestations de la part de différents acteurs politiques, des tentatives de négociation entre protagonistes et l’intervention des diverses institutions publiques. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le conflit à Iztapalapa se pose au départ en termes de règles de compétition politique et de respect du droit des citoyens d’élire en toute liberté leurs gouvernants et devient un problème d’exercice du pouvoir. La gouvernabilité n’est pas un état figé. Bien au contraire, elle se caractérise par son caractère dynamique ; elle est en outre sensible aux changements du système politique. Comment, dès lors, se trouve-t-elle affectée par les moments du conflit et de la crise survenus lors de l’élection de 2009 à Iztapalapa ?
Au coeur de cette situation si particulière d’échange du contrôle politique du gouvernement d’Iztapalapa, le problème de la légitimité émerge non seulement dans la manière dont ce gouvernement est élu, mais également dans les interrogations issues des compétences et de l’expérience que possèdent les protagonistes de cet échange pour gouverner. La mise en scène proposée par ces acteurs aux citoyens disparaît le jour même où Juanito rend public son désir de gouverner Iztapalapa, une fois écoulé le délai de la suspension temporaire. Le groupe des pérédistes, inspirateur de ce pacte, connaît la portée d’une telle décision, étant donné que Juanito a pleinement le droit de reprendre son poste. Jusque-là, la mairie fonctionnait de manière régulière. Clara Brugada entreprend dès le 1eroctobre une série d’actions comme responsable de la mairie. Elle s’occupe notamment du problème de l’eau potable (Reforma, 3 octobre 2009, rubrique Ville, p. 3) et met en oeuvre les « journées d’écoute citoyenne » (Reforma, 17 octobre 2009, rubrique Ville, p. 6). Ces actions qui cherchent à répondre aux demandes des citoyens se voient soudainement interrompues le 29 novembre, quand Juanito décide de retourner pendant la nuit à la mairie pour reprendre son poste. La crise à Iztapalapa s’accentue. En effet, au-delà de l’incertitude sur l’identité de celui ou de celle qui allait définitivement gouverner cet arrondissement, il existe l’éventualité que ce soit Juanito. L’avenir de l’un des arrondissements les plus peuplés et gérant un budget aussi important (soit 296 millions de dollars américains), pourrait se retrouver sous la responsabilité d’une personne dépourvue de toute expérience administrative, comme le montre sa trajectoire que nous décrivons brièvement : Rafael Acosta s’investit en politique avec les groupes de gauche, il participe à des manifestations et à des actions de résistance civile. Il adhère tout d’abord au PRD et, quelque temps plus tard, y renonce pour s’engager au PT. À ce jour, Juanito rend publiques les conversations qu’il entretient avec certains représentants du PRI pour soutenir ce parti pendant les élections à venir en 2012. La vie de Juanito est rythmée par des activités très diverses : il a été entraîneur de football, a fait partie du monde des catcheurs ; il a aussi été vendeur de rue, figurant dans des films de danseuses de cabaret, rassembleur dans les meetings, casseur dans les manifestations. Le représentant n’est pas titulaire de titres universitaires, ni d’une expérience dans l’administration publique.
Dans ces conditions, le respect du choix des citoyens est ainsi relégué au second plan dans cette crise. On parvient presque à oublier les circonstances dans lesquelles Juanito a été élu maire de cette circonscription. En ce sens, le retour au droit pour ces acteurs devient une manière de faire et une ressource pour le moins coûteuse leur permettant de justifier leurs actions. On observe une reconfiguration des acteurs intervenant dans ce conflit. Obrador et Brugada disparaissent des négociations et limitent leurs déclarations publiques à ce propos. À l’initiative des factions pérédistes et pétistes, l’Assemblée locale ouvre un procès de destitution contre Rafael Acosta dès le lendemain de son arrivée : « l’Assemblée législative du District fédéral et le gouvernement du District fédéral travaillent ensemble pour trouver une issue légale à la crise d’Iztapala » (Universal, 30 novembre 2009). Certes, les membres des factions ne partagent pas la même position à ce propos ; cependant, pour ouvrir un procès de ce type, la signature de seulement 22 députés est requise. Or, émettre une résolution à ce sujet est une situation plus complexe, car l’accord des deux tiers de l’Assemblée, soit 44 députés, s’avère nécessaire. Le paradoxe est que ce sont les partis mêmes qui avaient proposé à Juanito la candidature victorieuse, quelques mois auparavant, qui cherchent aujourd’hui sa destitution. L’examen attentif des déclarations des acteurs, dont celle que nous citons ci-dessus, laisse apparaître la manière dont ces acteurs profitent de la couverture médiatique de la situation pour tenter de détourner la logique du conflit. Ils cherchent à exalter l’adoption d’un comportement guidé selon les règles du droit pour résoudre un problème qui est avant tout politique. Par ailleurs, l’appréhension des conditions nécessaires pour que ce recours juridique (procès de destitution) aboutisse est une manière de saisir la faiblesse de la probabilité de son succès. Le droit n’est pour ces acteurs qu’un instrument pour exercer une pression et s’obliger à tenir les promesses engagées lors des pactes.
Le procès de destitution trouve son argument juridique dans l’article 108 du Statut du gouvernement du District fédéral. Il n’existe pas d’antécédent d’un tel procès au Mexique et celui-ci est un choix risqué. Ce procès est une manière de définir les conditions qui constituent la situation d’ingouvernabilité, étant donné qu’il s’organise autour de l’argument de l’existence d’ingouvernabilité dans une circonscription. Il est d’autant plus compliqué qu’il peut fixer les principes à partir desquels une situation d’ingouvernabilité pourrait être conçue ailleurs dans le pays. Ensuite, l’application de ce recours comporte le risque que cela soit appliqué dans des situations qui obéissent davantage à des conflits politiques qu’à des conflits de légalité, comme c’est le cas à Iztapalapa. Les manoeuvres des acteurs politiques relatives à ce recours pourraient donc être indistinctes : « au caractère formel de la procédure s’oppose donc le caractère très irrationnel des moyens de décision » (Weber, 2007 : 126).
Parallèlement, des manifestations publiques faisant appel à la norme juridique ont lieu contre la permanence d’Acosta en tant que maire : les représentants d’au moins douze des arrondissements du District fédéral, d’appartenance pérédiste, signent une lettre par laquelle ils sollicitent auprès de l’Assemblée locale la destitution du représentant en suspension temporaire. De plus, ces derniers font état du soutien qu’ils apportent à Clara Brugada pour qu’elle demeure représentante de cet arrondissement. Par ailleurs, des tentatives sont faites pour que Juanito accepte de présenter sa démission en échange d’un poste à l’Institut du sport du District fédéral (Reforma, 30 novembre 2009, rubrique Ville, p. 1). Aucune des tentatives de négociation n’aboutit, mais la machine des confrontations médiatiques est amorcée. Juanito a bien compris que ce sont les médias qui lui assurent la visibilité dont il a besoin pour exercer une pression sur ses rivaux. Aussi, les médias sont-ils soigneusement invités à chacune de ses conférences de presse ou de ses activités.
À ce stade du conflit, tant Juanito que le groupe de pérédistes ont bien saisi la marge de manoeuvre qu’ils pouvaient obtenir en employant les ressources juridiques pour faire tenir les promesses des uns et des autres. L’un des effets de l’usage politique du droit réside dans une certaine « routinisation » du recours à ce type de ressources comme tactique de pression sur son rival politique. Concrètement, par exemple, Clara Brugada et onze de ses collaborateurs destitués de leur poste par Rafael Acosta présentent un pourvoi, compte tenu du déroulement de ces destitutions. Le principal argument est que la lettre notifiant à ces derniers leur destitution ne leur a pas été remise en main propre, mais déposée à l’Oficialía de partes (Reforma, 4 décembre 2009). Alors que Juanito, après son départ définitif en décembre, retente sa chance et revient à son ancienne stratégie médiatique et de contestation juridique, entre décembre 2009 et février 2010, il interpose une diversité de recours juridiques et se manifeste à plusieurs reprises (Universal, 24 décembre 2009) en cherchant à reprendre le poste qui, selon lui, lui a été « volé » : il se consacre à promouvoir parmi ceux qui le soutiennent la présentation des « pourvois citoyens » (Universal, 19 décembre 2009), présente un « pourvoi administratif », qui n’évolue pas, contre Marcelo Ebrard et l’Assemblée du District fédéral (Universal, 6 janvier 2010) et, enfin, le 10 février 2010, il se lance dans la dernière voie qui lui reste, celle de la Cour suprême de justice de la Nation avec une « procédure de controverse constitutionnelle », qui est également refusée, car Juanito ne possède pas les compétences juridiques pour présenter une telle requête (Universal, 10, 11, 16 et 18 février 2010). Toutes les tentatives de Juanito échouent et, cette fois, l’histoire Juanito semble bel et bien terminée.
Entre les va-et-vient, les sorties légales et les positions radicalisées des acteurs, la tension dans les bureaux de la mairie s’accroît chez les citoyens et les fonctionnaires. Ces derniers ne peuvent pas percevoir leur treizième mois de salaire, comme cela se pratique en fin d’année, étant donné que personne n’est habilité à autoriser l’émission des chèques. L’absence de représentant reconnu à la fois par les lois et par les citoyens aboutit à l’arrêt temporaire de l’administration, dont la fonction est alors limitée à la gestion des affaires courantes. La sortie de cette crise ne s’effectue pas précisément par la voie juridique, mais, une fois de plus, par un nouveau pacte entre Juanito, Marcelo Ebrard et les différentes forces politiques de l’Assemblée locale. Aucun des recours juridiques interposés n’aboutit. Pour la troisième fois depuis le 1er octobre 2009, Iztapalapa change de représentant. Le choix de celui-ci ne revient pas aux électeurs, mais au chef du District fédéral, Marcelo Ebrard. Brugada devient dès lors maire d’Iztapalapa. Le pacte Juanito est ainsi définitivement conclu par le compromis d’un autre pacte.
La configuration des acteurs participant à ce pacte évolue de la même manière que le répertoire de recours juridiques mobilisés. L’enjeu n’est pas le même ; cela ne concerne plus uniquement un problème de délibération au sein d’un parti politique, mais aussi l’exercice du gouvernement. Les diverses tentatives d’usage des recours juridiques ne sont qu’un moyen de persuasion politique entre les uns et les autres. Cette situation est favorisée par le fait que la démarcation administrative où se situe Iztapalapa est gérée par un représentant du même parti se trouvant au sein de ce conflit, le PRD. En dépit de cela, la légitimité de l’actuelle représentante de cet arrondissement reste contestable, même si Clara Brugada se lance dès son accès au pouvoir dans l’établissement d’un nouveau programme de travail, qui vise à normaliser et à améliorer les services publics de cet arrondissement[37] avec le soutien public du gouvernement du District fédéral. Que sont donc devenus les droits des citoyens, notamment le droit de choisir par qui ils veulent être gouvernés ? Ce qui prévaut à Iztapalapa est resté cantonné aux intérêts de certains groupes politiques qui dépassent cet arrondissement.
Quels apprentissages de l’affaire Juanito pour la « démocratisation » du Mexique ?
L’obtention de la légitimité par les voix dans l’affaire Juanito constituait notre point de départ. En effet, avant tout, le conflit qui a éclaté à Iztapalapa en 2009 a fait voir un problème de représentativité dans une société qui se présente comme démocratique. Or, notre analyse montre, du moins tel était notre souhait, que l’affaire Juanito amène à poser des questions et des problèmes plus larges. Tout d’abord, ce qui s’est passé dans cet arrondissement a mis à l’épreuve les règles de la compétition politique qui dominent au Mexique. En ce sens, ce qui apparaît intéressant dans le cas Juanito réside, d’une part, dans le fait que ces pratiques soient rendues publiques et qu’on se serve de leur médiatisation comme tactique de légitimation devant les citoyens. D’autre part, il ressort que les recours juridiques brandis par les acteurs protagonistes du pacte tiennent compte, dès les débuts, d’une intentionnalité limitée. En réalité, l’objectif des acteurs n’est pas de mettre à l’épreuve la pertinence ou l’efficacité juridique des recours, mais de les utiliser comme moyens de pression politique. Le registre flou des arguments adoptés par les acteurs investis tout au long du conflit renvoie précisément à la stratégie qui leur permet de détourner avec une souplesse remarquable la logique du conflit. Ces dispositifs passent par la mobilisation d’une justification fondée sur les conditions légales de la légitimité de celui (Juanito) que l’on soutient d’abord et que, par la suite, on cherche à destituer, à une justification reposant sur les conditions politiques de la légalité, dont l’argument trouve tout son sens lorsque le conflit devient un problème d’exercice du gouvernement.
Par ailleurs, nous pouvons affirmer que le contexte de changement démocratique a contribué à transformer la médiatisation de telles pratiques en tactique légitimatrice. Une société démocratique est normée par des droits et, partant, ses citoyens sont pleinement autorisés à se servir des règles juridiques qui norment le système politique. Et c’est précisément ce que font les acteurs du pacte avec Juanito. De ce fait, le questionnement de la légitimité des manoeuvres réalisées par les acteurs politiques dans le cadre de ces règles est une question qui obéit à une autre dimension, celle de la politique, une dimension qui se retrouve à tout moment au coeur de ce conflit.
Parties annexes
Note biographique
Rattachée au Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CESSP-CRPS), Tania Navarro Rodríguez est doctorante en science politique à l’Université Paris 1. À partir du cas de l’Alliance civique, elle achève une thèse consacrée aux pratiques militantes associatives et aux mécanismes de transformation de l’action collective au Mexique (sous la direction du professeur Daniel Gaxie). De manière plus générale, ses recherches portent sur l’enchevêtrement entre politiques traditionnelle et contestataire. Ses travaux traitent plus spécifiquement du transfert international d’expertise, de la restructuration de l’État ainsi que des relations entre l’univers religieux et la politique contestataire. Ses recherches doctorales ont reçu le soutien de l’Université de Guadalajara et du Conseil national de la science et de la technologie du Mexique (Conacyt).
Notes
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[1]
Je voudrais remercier chaleureusement Nicolas Maisetti ainsi que les évaluateurs anonymes de la revue de leur lecture attentive et rigoureuse des versions précédentes de cet article.
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[2]
En vertu de la Loi fondamentale, le Mexique est un État fédéral composé de 31 États fédérés. La capitale, Mexico, n’est pas considérée comme un État fédéré, mais comme un territoire fédéral divisé en seize delegaciones, dont Iztapalapa, qui correspondent à ce que nous appelons dans ce texte les arrondissements.
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[3]
Il ne s’agit pas seulement d’une question de visibilité ou de compréhension, mais également de la richesse explicative que l’on trouve quand l’analyse est déplacée aux autres niveaux du système politique, notamment dans le cas d’un régime politique fédéré. Récemment, Julián Durazo-Herrmann (2007) s’est interrogé sur la manière dont les changements vécus par la fédération mexicaine, dans le cadre de la transformation démocratique, ont affecté l’environnement politique régional. Les explications qu’il avance sont d’autant plus intéressantes lorsqu’il pointe du doigt l’existence d’une certaine « autonomie » des systèmes politiques régionaux par rapport aux processus de changement qui ont lieu au niveau fédéral. Ce travail offre ainsi des pistes de recherches potentiellement heuristiques pour réaliser une lecture différente des conflits politiques émanant du changement de régime au Mexique, à la fin du vingtième siècle, notamment en ce qui concerne les rapports entre partis politiques et actions collectives.
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[4]
Nous faisons ici référence à un auteur classique tel que Max Weber ou au plus récent courant de la procedural justice.
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[5]
La démocratisation au Mexique est, pour l’auteur, un processus qui tient essentiellement aux micro transformations et aux concessions consenties par la majorité des acteurs d’opposition et de la société. En reconnaissant le rôle des « structures » dans ces dynamiques, cette position se détourne de l’école élitiste qui envisage principalement les accords entre les élites (Aguayo, 2010 : 23).
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[6]
Loaeza (2008 : 124) propose d’envisager le changement de régime dans ce pays comme le « résultat d’un cumul complexe d’interactions et de pressions ‘vers le haut’ et ‘vers le bas’, qui se tient cependant dans les marges institutionnelles fixées par les organisations partisanes et les normes électorales ».
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[7]
Toutes les citations dont l’original est en espagnol ou en anglais sont des traductions libres.
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[8]
Ce travail s’inscrit donc dans ce courant d’analyse de la science politique cherchant à mener une réflexion autour des rapports entre droit et politique qui se dessinent dans les sociétés contemporaines, courant proche de la sociologie du droit. Nous voudrions notamment souligner l’ouvrage collectif du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, Les usages sociaux du droit, publié en 1989. Cet ouvrage est d’une grande valeur ne serait-ce que par le fait qu’il a permis de rouvrir le dialogue entre juristes et politistes, mais également par la qualité de ses réflexions et des questions de recherches proposées. La fécondité de cette perspective se mesure à la lecture de deux autres publications du même centre universitaire : Droit et politique (1993) et Sur la portée sociale du droit (2005).
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[9]
La notion de gouvernabilité apparaît toutefois problématique et complexe. Elle évoque tout d’abord une double face : « l’aptitude des groupes à être gouvernés mais aussi les techniques de gouvernement à mettre en oeuvre pour y parvenir » (Chevallier, 1996 : 5). Les travaux à ce propos sont nombreux. C’est pourquoi le choix de ce que nous entendons ici par gouvernabilité est fait par rapport à l’intérêt lui-même de notre réflexion, à savoir les pratiques des acteurs.
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[10]
Au total près de 200 articles de presse ont été dépouillés pendant cette période.
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[11]
Le système politique mexicain a été perçu plus spécifiquement comme un système politique semi-autoritaire. Le fait qu’il soit considéré comme « un hybride du libéralisme politique et de l’autoritarisme, attribue à ce système une qualité ou un sens particulier – le système politique mexicain est basé sur la Constitution de 1917 qui est encore en vigueur » (Camp, 1999 : 9).
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[12]
Ce parti fut fondé en 1929 à l’initiative du général Plutarco Elías Calles, sous le nom de Parti national révolutionnaire (PNR). À l’origine, il réalise la fusion de plusieurs organisations nationales, étatiques et locales issues de la révolution mexicaine de 1910. Il se transforme ensuite, en 1938, en Parti de la révolution mexicaine (PRM), en raison de l’adhésion de plusieurs organisations de masse (dont des confédérations syndicales). Enfin, en 1946, il devient le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) dans le cadre de la seconde grande convention du PRM. Depuis, il se définit comme un « parti social démocrate », mais il est surtout reconnu comme le parti officiel qui reste à la tête du gouvernement pendant plus de sept décennies.
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[13]
Le terme « régularité » fait ici référence au déroulement des élections selon les règles, et non à leur tenue à échéances régulières.
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[14]
Organisme public autonome dont la responsabilité est d’organiser et de surveiller les élections au niveau fédéral dans ce pays.
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[15]
Par transition juridique, nous comprenons « le processus de changement juridique qui se distingue par son caractère et sa profondeur particuliers » (Fix-Fierro et López-Ayllon, 2001 : 351).
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[16]
En ce qui concerne l’analyse de la naissance et de la trajectoire des institutions qui ont été constituées pour faciliter la mise en oeuvre de la démocratie au Mexique, voir le travail de John Ackerman (2007) qui est centré précisément sur l’étude de trois de ces institutions : l’IFE, la Comisión Nacional de Derechos Humanos (CNDH – Commission nationale des droits de l’homme) et l’Auditoria Superior de la Federación (ASF – Audit supérieur de la fédération).
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[17]
Parti politique représentant la gauche mexicaine constitué en 1988 dans le contexte du mouvement démocratique de l’époque. Voir à ce propos les travaux d’Hélène Combes (2004).
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[18]
C’est un organe juridictionnel du pouvoir judiciaire de la fédération spécialisé en matière électorale, à l’exception des actions d’inconstitutionnalité contre les lois électorales (fédérales ou locales) qui sont de la responsabilité de la Cour suprême. Ses objectifs sont de donner une sortie aux contestations électorales et de garantir les droits politiques.
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[19]
C’est l’une de cinq « salles régionales » autour desquelles est organisé le Tribunal électoral du pouvoir judiciaire de la fédération (District fédéral, Guadalajara, Monterrey, Toluca et Xalapa). Il existe aussi une « salle supérieure ».
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[20]
Fondé le 8 décembre 1990, il est né du rassemblement de plusieurs organisations sociales proches de la gauche revendiquant la représentation conjointe des paysans et des ouvriers.
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[21]
C’est le nom par lequel nous identifions tous ces militants et citoyens qui soutiennent les actions de l’ancien candidat à la présidence, Andrés Manuel López Obrador.
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[22]
L’UPREZ est le groupe de Clara Brugada au sein du PRD.
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[23]
Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans la deuxième partie de cet article.
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[24]
Il milite dans ce parti depuis 2000 et jusqu’au moment de l’écriture de cet article. Son mandat a commencé le 5 décembre 2006 et finira en 2012.
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[25]
Déclaration d’Andrés Manuel López Obrador au cours de l’une des 33 rencontres qu’il a tenues dans l’arrondissement d’Iztapalapa.
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[26]
Il fut fondé en 2006 et il est connu comme un « parti social-démocrate et libéral progressiste ».
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[27]
Le FEPADE, un organisme de la Procuraduría General de la República dédié à l’attention institutionnelle, spécialisée et professionnelle concernant les délits électoraux fédéraux mentionnés dans le Titre vingt-quatrième du Code pénal fédéral.
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[28]
Parmi lesquels « la policière », « l’agenda », « le fils et stratège », « le gestionnaire », « la pourvoyeuse », « le représentant », « l’expérimenté » et « le soutien ».
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[29]
Ancien président du Mexique (18 février 1913-14 juillet 1914). Il reste de lui l’image du traître, en raison de la manière dont il devient président et de ses liens avec les Britanniques, ainsi que celle d’un homme qui ne se laissa pas intimider par les États-Unis.
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[30]
Cette statue lui a été offerte par le sculpteur Bernardo Luis López Artasánchez. Ce dernier a réalisé des statues de Vicente Fox (ancien président de transition du Mexique, 2000-2006), d’Hugo Sánchez (footballeur mexicain considéré comme le meilleur de tous les temps) et du pape Jean-Paul II.
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[31]
Les règles pragmatiques « sont des constatations, qui ne visent pas à juger une ligne particulière de conduite en termes de juste ou d’injuste : elles indiquent si celle-ci sera ou non efficace. D’un point de vue normatif, elles sont neutres. Elles peuvent fonctionner dans les limites définies par les règles du jeu, tout comme elles peuvent ne pas en tenir compte » (Bailey, 1971 : 18).
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[32]
Une coalition est entendue ici dans le sens de l’ouvrage de Vincent Lemieux (1998), qui a pour propos principal l’étude de cette notion. Cet auteur propose d’étudier celle-ci à partir des trois dimensions des systèmes sociaux, à savoir celle de liens ou d’appartenance, celle de transactions ou d’appropriation et celle de contrôles ou de régulation. La définition de coalition proposée par Lemieux (1998 : 35) les présente en tant qu’« ensembles concertés et temporaires d’acteurs individuels ou collectifs qui ont des rapports de coopération et de conflit, à la fois, pour ce qui est de leurs liens, de leurs adversaires de façon à ce que les coalisés obtiennent ainsi des avantages plus grands que s’ils n’avaient pas fait partie de la coalition ».
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[33]
D’après Combes (2005 : 338), « la modalité de création du PRD par agrégation territoriale et spontanée autour de dirigeants venant de mouvements sociaux explique la multiplication des conflits, qui ont fini par devenir un mode routinier de fonctionnement, ainsi que les difficultés de pérennisation des structures ».
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[34]
Les chuchos représentent le groupe de la « nouvelle gauche » au sein du PRD, dont le fondateur et leader est Jesús Ortega, ancien président du parti et ancien député fédéral et sénateur. On pourrait dire qu’il existe à l’intérieur de ce parti trois principaux groupes : la « nouvelle gauche », les « obradoristes » et la « gauche démocratique » (dont les leaders sont Dolores Padierma et René Bejarano).
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[35]
Nous faisons référence ici aux travaux d’Erving Goffman (2006) à ce propos. Plus spécifiquement, nous pensons au premier volume de ce travail qui est consacré à l’analyse de la représentation que les acteurs font d’eux-mêmes.
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[36]
Dans le sens de Frédéric Sawicki (1997 : 26) pour qui les réseaux partisans sont des « formes […] de relations concrètes entre individus et groupes agissant simultanément dans des espaces sociaux différenciés ».
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[37]
Il est précisé qu’il s’agit de 17 actions dans différents domaines, dont le développement social, la santé, la sécurité publique, le transport, l’eau et les travaux publics (Reforma, 15 décembre 2009, rubrique Ville, 5 ; Universal, 15 décembre 2009).
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