Résumés
Résumé
Filière longtemps marginale, le bois énergie a connu une croissance vigoureuse depuis une dizaine d’années, soutenue par l’engagement de plus en plus actif de la France en faveur des énergies renouvelables. En prenant l’exemple du département des Ardennes, nous montrons dans cet article comment ce développement s’est accompagné d’un certain nombre de tensions, en partie nouvelles, qui, à défaut de mettre cette filière en péril, posent aujourd’hui question tant pour les entreprises du secteur que pour les pouvoirs publics. Ces tensions tournent, pour l’essentiel, autour de la mobilisation des ressources en bois. Alors qu’à sa création le bois énergie était conçu comme une activité d’appoint pour les scieurs, son développement récent l’a fait entrer dans une nouvelle ère, plus industrielle, qui nécessite l’accès à des ressources plus importantes et plus diversifiées. Il en résulte une concurrence accrue entre les usages du bois et un risque de « fuite » de cette matière première vers d’autres territoires, du fait notamment de la multiplication des projets. Ces tensions, qui sont aujourd’hui exacerbées par l’injonction à remplir les objectifs européens, placent les enjeux de connaissance et de partage de l’information au coeur de l’activité régulatrice de l’État.
Abstract
In France, the fuelwood sector has greatly developed since the last decade. This can be explained by the strong support of public authorities in favour of renewable energies, which include fuelwood. With the example of the French Ardennes, we show in this article how this growth resulted in ongoing tensions and raised new issues for the operators as well as for the State. The access to wood resources is the cornerstone of these tensions. After being originally an “extra activity” for the sawyers, the fuelwood sector has been developing more recently as an industry per se, needing more and more resources. This resulted in a more acute competition between wood’s uses and in the risk of wood being harnessed by other territories. Given these tensions, which are exacerbated by the ambitious goals set by the European Union, knowledge and information stakes become the core of the State’s regulatory activity.
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Parties annexes
Notes biographiques
François-Mathieu Poupeau est chargé de recherches CNRS (Centre national de la recherche scientifique) au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (UMR 8134). Il est par ailleurs maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’École des ponts. Ses travaux portent notamment sur l’histoire du secteur électrique, la libéralisation des grands réseaux de service public (énergie, communications électroniques) et l’action publique locale. Il est l’auteur de « La fabrique d’une solidarité territoriale. État et élus ruraux dans l’adoption d’une péréquation des tarifs de l’électricité en France » (Revue française de science politique, vol. 57, no 5, 2007, p. 599-628). Il a également publié en 2004 Le service public à la française face aux pouvoirs locaux. Les métamorphoses de l’État jacobin (Paris, CNRS Éditions).
Fabien Schlosser est consultant chez TMO Régions (groupe CSA). Il est titulaire d’une maîtrise d’économie (Paris I Sorbonne) et d’un diplôme d’études approfondies de sociologie de l’action organisée (Institut d’études politiques de Paris).
Notes
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[1]
. Loi no 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE).
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[2]
Parmi les autres mesures phares, citons la montée en puissance des biocarburants, ceux-ci devant représenter 5,75 % des carburants routiers (contre 1 % actuellement).
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[3]
Le « Grenelle de l’environnement » est un processus qui a été lancé en juillet 2007 à la suite de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française. Faisant écho à une promesse de campagne, la démarche a réuni pendant plusieurs mois des représentants de l’État, des acteurs de la société civile et des entreprises pour émettre des propositions dont certaines ont été traduites en mesures législatives et réglementaires.
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Sans compter les tonnes équivalent pétrole économisées, le bilan de la combustion du bois est neutre sur le plan écologique, les quantités de CO2 rejetées dans l’atmosphère étant les mêmes que celles occasionnées par la croissance de nouveaux arbres.
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[5]
On estime que la filière bois énergie représente environ 20 000 emplois en France. (Source : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, site Internet [http://www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow ?sort=-1&cid=96&m=3&catid=13488] consulté le 21 juillet 2010.)
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[6]
Chiffre de 2005. (Source : « Les énergies renouvelables en France », Direction générale de l’énergie et des matières premières, Observatoire de l’énergie, juin 2006, p. 13, site Internet [http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/historique-enr02_cle18e8f2.pdf] consulté le 21 juillet 2010.)
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[7]
Les seuls à s’y intéresser véritablement sont les économistes qui étudient les monopoles publics (Laffont et Tirole, 1991 ; Laffont et Tirole, 1993) ou qui inscrivent leurs travaux dans la théorie de l’agence (Laffont et Martimort, 2002). Ils montrent en quoi l’information constitue une dimension essentielle de l’activité de régulation, du fait de la situation d’incertitude et de connaissance parcellaire dans laquelle se trouve, très souvent, la puissance publique lorsqu’elle est face aux agents économiques (phénomènes d’asymétrie d’information, d’antisélection…).
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[8]
Ce travail a été mené en 2006-2007 dans le cadre d’une recherche financée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et portant sur deux régions, la Bretagne et la Champagne-Ardenne. Pour davantage de précisions sur la méthodologie, le cadre d’analyse utilisé ainsi que sur le choix du cas d’étude, se référer à l’annexe 1. Nous remercions notre enquêtrice, Céline Haüy-Faget, pour la qualité du matériel collecté.
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[9]
Avec une particularité toutefois, sur laquelle nous reviendrons, qui est la très forte importance dans ce chiffre total de l’entreprise belge Unilin, qui s’est implantée dans le département en 1998.
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[10]
Nous ne disposons d’aucune donnée portant sur le seul département des Ardennes, mais nous pouvons penser que cette prépondérance est forte étant donné la présence d’un important massif forestier dans le département. (Source : « Forêt-bois : la Champagne-Ardenne s’organise », dossier des Chambres de commerce et d’industrie de Champagne-Ardenne, 1er trimestre 2003, p. 1, consulté sur Internet [http://www.champagne-ardenne.cci.fr/pdf/Economie_CA/Etudes_Economiques/Dossiers_thematiques/bois.pdf], le 21 juillet 2010.)
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[11]
Le lecteur trouvera à l’annexe 2 un tableau présentant de manière synthétique les différentes phases de développement de la filière ainsi que les acteurs et les enjeux qui y sont associés.
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[12]
Les taillis à courte rotation (TCR) et les taillis à très courte rotation (TTCR) qui sont parfois utilisés dans certaines régions ne l’étaient pas encore en Champagne-Ardenne au moment où nous avons réalisé cette étude.
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[13]
Mégawatt-heure.
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[14]
Si l’on prend par exemple les scieries, ces déchets représentent environ 75 % du bois d’oeuvre entré en scierie, ce qui est considérable.
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[15]
Sociétés d’économie mixte.
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[16]
Sur ce point, voir l’exemple de la Bretagne développé dans Burel et al., 2008.
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[17]
À savoir la partie aérienne d’un arbre au-dessus de la première couronne (branches, rameaux, feuilles…). En langage indigène, on parle de cime pour les résineux et de houppier pour les feuillus.
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[18]
Ce qui n’est pas le cas de toutes les régions en France. La Bretagne, par exemple, s’inscrit dans un contexte très différent, voyant l’Ademe s’investir plus fortement du côté de la structuration de l’offre, en soutenant la création de plateformes régionales.
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[19]
Qui devient en 2004 président du Conseil général.
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[20]
Cette prégnance de gros projets menés de concert avec les scieurs se retrouve aujourd’hui dans la structuration de la filière régionale, celle-ci ne comportant que 80 chaudières, dont 50 % dépassent un mégawatt de puissance, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres régions.
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[21]
Outre le souci sûrement politique de ne pas se heurter aux scieurs, qui disposent de relais importants au sein du système politico-administratif local, le Conseil général et Arcavi sont désireux de ne pas trop dépendre de Véolia Environnement. Depuis 2001, ce groupe possède 66 % du capital de Dalkia (qui a racheté Périn), le reste étant détenu par Électricité de France. Il est donc présent aussi bien en amont (collecte des déchets bois) qu’en aval (gestionnaire de réseaux de chaleur et de chaudières) de la filière.
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[22]
Au tout début du moins, l’entreprise ayant été rachetée au cours du deuxième PBEDL par la holding Bois Énergie France créée par un scieur bourguignon.
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[23]
Il s’agit d’un chiffre d’affaires global, qui inclut donc les activités d’Arcavi autres que le bois énergie.
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[24]
Arcavi, comme l’ensemble des acteurs, conservant toute latitude commerciale.
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[25]
Zone à urbaniser en priorité.
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[26]
Source : Énergie Bois, no 3, juin 2005, p. 5 (Lettre d’information de la filière bois-énergie de l’Eurorégion Thiérache, Ardennes, Avesnois, Wallonie, consultée sur Internet [http://users.skynet.be/erbe/Documents/Newsletter_pdf/Energie_Bois_3.pdf] le 21 juillet 2010). Depuis, Arcavi alimente d’autres clients que Dalkia.
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[27]
Source : entretien avec un responsable de l’Ademe. Arcavi s’assignait déjà cet objectif pour 2005 (voir Énergie Bois, op. cit., p. 5).
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[28]
Ce qui n’exclut pas que des scieurs approvisionnent des chaudières créées durant cette phase (par exemple dans la commune de Vendresse).
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[29]
Le programme Interreg concerne en effet d’autres territoires que les Ardennes : le Thiérache, l’Avesnois et la Wallonie.
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[30]
Tout en restant sur son marché des chaufferies de taille importante, cette société veille à ne pas se couper de l’ALE 08. Elle participe avec elle à bon nombre d’actions de sensibilisation, ce qui lui permet de renforcer sa légitimité d’opérateur sur ce créneau et parfois, lorsqu’un projet peut s’y prêter, de proposer une délégation de service public.
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[31]
Qui sont, rappelons-le, de l’ordre de 15 000 à 20 000 tonnes pour la plateforme Arcavi.
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[32]
Source : entretien avec un acteur de la filière bois. Sur cet univers et ses « règles du jeu », voir également le film Les grandes gueules de Robert Enrico (1966), qui s’inspire d’un roman de José Giovanni bâti notamment à partir du témoignage d’un scieur des Vosges.
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[33]
Créée en 1988, elle regroupe actuellement 1100 adhérents. Nous n’évoquerons pas son action dans les lignes qui suivent, dans la mesure où elle ne s’était pas encore vraiment engagée dans le bois énergie au moment où nous avons réalisé l’enquête.
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[34]
Dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, qui prévoit un objectif de 1000 MW pour la filière « Biomasse », la CRE lance en décembre 2006 un deuxième appel d’offres biomasse pour une puissance totale de 300 MW sur tout le territoire national (avis publié le 9 décembre 2006 dans le Journal officiel de l’Union européenne). Les candidats retenus se voient garantir, sur une durée donnée, un tarif d’achat incitatif pour l’électricité qu’ils produisent.
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[35]
Forêts et Bois de l’Est n’étant pas présent dans les Ardennes, nous ne parlerons que de l’ONF.
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[36]
Etant donné l’importance politique des scieurs dans la gestion forestière, l’ONF ne peut guère se permettre, du moins dans un premier temps, de préempter totalement le marché du bois énergie.
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[37]
Source : « Forêt-bois : la Champagne-Ardenne s’organise », op. cit., p. VII.
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[38]
La concurrence est à la fois européenne (Allemagne, anciens pays de l’Est) et mondiale.
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[39]
Source : Avis du 5 juin 2008 relatif au choix des offres que le ministre délégué à l’industrie envisage de retenir au terme de l’appel d’offres pour des installations de production d’électricité utilisant l’énergie issue de la biomasse, Commission de régulation de l’énergie (Journal officiel de la République française, no 0153 du 2 juillet 2008).
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[40]
Garanties dont doutent plusieurs acteurs, qui ne sont pas certains que les pouvoirs publics soient en mesure de contrôler le respect de ces engagements. Il faut toutefois signaler que, pour les six dossiers que nous avons mentionnés, le bois ne représente qu’une partie de l’approvisionnement de ces centrales, aux côtés de la paille et des cultures énergétiques.
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[41]
Étant entendu que d’autres axes sont explorés au niveau régional. Il faudrait consacrer une place toute particulière aux actions qui sont menées en matière de développement de la filière, dans le cadre du nouveau Plan Bois Énergie (2007-2012) et du programme 1000 chaufferies de la Fédération nationale des communes forestières (FNOCOR). Celles-ci visent tout particulièrement à développer des chaufferies de moyenne puissance et approvisionnées par des acteurs locaux, de manière complémentaire aux grands projets menés par la CRE. Nous avons préféré ici nous concentrer sur les dispositifs mis en place pour apporter des solutions aux tensions qui existent autour du marché du bois.
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[42]
Source : Préfecture de la région Champagne-Ardenne, Région Champagne-Ardenne, « Contrat de Projets État-Région 2007-2013 », p. 27, consulté sur Internet [http://www.champagne-ardenne.pref.gouv.fr/index.php/sgar/site/sgar/links/cper/le_contrat_de_projets_etat_region_2007_2013] le 21 juillet 2010.
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[43]
On peut penser au cas des triturateurs, lesquels, tout en dénonçant le risque de pénurie lié à la multiplication des grosses opérations de biomasse, ont apparemment répondu à l’appel d’offres de la CRE en proposant certains projets fortement consommateurs en bois.
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En témoigne leur présence, à l’échelle régionale, dans tous les cercles officiels de décision sur les questions afférentes au bois énergie.
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[45]
Certains plaident pour l’instauration de contrats de long terme, en lieu et place d’une logique de négoce, contrats qui permettraient d’encadrer les prix. D’autres évoquent l’idée de répartir la ressource en bois entre les différents acteurs et de ne pas laisser faire le seul marché. Mais, pour le moment, faute de consensus, ce type d’intervention n’aboutit à aucune mesure particulière.
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[46]
La régulation « par coup de projecteur » (sunshine regulation) consiste à jouer sur l’information et sur les effets de réputation pour contraindre les agents économiques à aller dans le sens voulu par le régulateur (Henry, 1997).
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[47]
Pour un bref aperçu de ces phases, voir le tableau récapitulatif de l’annexe 2.
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[48]
Ce qui ne signifie pas que l’État ne soit plus que « régulateur ». Comme nous l’avons souligné, il exerce toujours des fonctions de « producteur », en favorisant le développement d’infrastructures permettant d’exploiter au mieux les ressources en bois. Il faut donc penser la fonction de régulation dans le sens de la complémentarité et non de la substitution.
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[49]
Car répondant à la « logique massificatrice » de croissance des énergies renouvelables, pour atteindre les objectifs fixés par l’Union européenne.
Bibliographie
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