Résumés
Résumé
L’étude empirique de la construction d’une structure de gouvernance autonome par la minorité arménienne d’Azerbaïdjan permet de dépasser plusieurs arguments conventionnels. Au-delà du « gel » diplomatique du conflit, la dynamique d’étatisation du Haut-Karabagh transforme les équilibres internes, contribuant à modifier les conditions de la résolution du conflit. La continuité du statu quo diplomatique conduit à un décalage croissant entre les accords politiques négociés par les parties et la capacité réelle à les appliquer sur le terrain, ne faisant qu’ouvrir une structure d’opportunité favorable à l’émergence d’un État de facto. L’objectif de l’entité politique autonome n’est pas de négocier la division des pouvoirs étatiques au sein du territoire azerbaïdjanais, mais bien de sortir de cet État. La résolution du conflit ne dépend donc pas simplement de facteurs externes, ceux-ci se combinant avec des enjeux internes qui renforcent la prévalence du statu quo. Le conflit n’est donc pas « gelé », la situation sur le terrain étant aujourd’hui très différente de celle en vigueur lors du cessez-le-feu de 1994. La force de l’inertie est avant tout une stratégie politique visant à favoriser dans la pratique une politique du fait accompli pourtant diplomatiquement inacceptable et à imposer de jure une souveraineté de facto imparfaite.
Abstract
The empirical study of the construction of an autonomous structure of governance by the Armenian minority in Azerbaijan enables to bypass several conventional arguments. Beyond a “frozen” diplomatic conflict, the state-building dynamic of the Nagorno-Karabakh transforms internal equilibriums, which contributes to modify the conditions of conflict resolution. The continuity of the diplomatic status quo leads to widen the gap between the political agreements negotiated by the protagonists and the actual capacity to implement them on the ground, which opens a favourable structure of opportunity to the emergence of a de facto state. The aim of the autonomous political entity is not to negotiate the division of state powers within the Azerbaijani state, but to exit this state. Conflict resolution does not only depend on external factors, which are combined with internal issues and reinforce the prevalence of the status quo. Thus, the conflict is not “frozen,” the situation on the ground being quite different today from that of the 1994 ceasefire. The force of inertia is first and foremost a political strategy aimed at favouring in practice a policy of the accomplished fact though diplomatically unacceptable, and imposing de jure a sovereignty de facto imperfect.
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Parties annexes
Remerciements
Je tiens particulièrement à remercier les deux évaluateurs anonymes de ce texte, de même que Linda Cardinal, Dominique Arel, Jessica Allina-Pissano et Emin Poljarevic de leurs commentaires respectifs et de leur gentillesse.
Note sur l’auteur
Mathieu Petithommeest diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’Université d’Amsterdam. Il est actuellement chercheur à l’Institut universitaire européen de Florence où il travaille sur une comparaison entre les conflits gelés dans le monde contemporain.
Notes
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[1]
Hélène Carrère d’Encausse, 1978, L’Empire éclaté, Paris, Flammarion, p. 310 ; Taline Ter-Sarkissian, 1988, « La question des nationalités à l’Est », Hommes et Migrations, no 1115, Paris, p. 13 ; Pierre Robert Baduel, 1990, « L’esclavage des frontières ou l’État et l’interpellation nationalitaire », Revue des Mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 48/49, p. 2-5.
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[2]
. Hratch Tchilingarian, 1999, « Nagorno-Karabakh : Transition and the Elite », Central Asian Survey, vol. 18, no 4, p. 441-445.
-
[3]
. Olivier Roy, 1989, « Caucase et Asie centrale soviétique : vers la balkanisation », Politique Étrangère, vol. 54, no 3, p. 463.
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[4]
. Sévag Torossian, 2005, Le Haut-Karabakh arménien. Un État virtuel ?, Paris, L’Harmattan.
-
[5]
. Stephen Krasner, 1999, Sovereignty : Organized Hypocrisy, Princeton, Princeton University Press.
-
[6]
. Richard H. Jackson et Charles G. Rosberg, 1986, « Sovereignty and Underdevelopment : Juridical Statehood in the African Crisis », Journal of Modern African Studies, vol. 24, no 1, p. 30 ; Richard H. Jackson et Charles G. Rosberg, 1982, « Why Africa’s Weak States Persist : The Empirical and the Juridical in Statehood », World Politics, vol. 35, no 1, p. 1-24.
-
[7]
. Scott Pegg, 1998, International Society and the De Facto State, Ashgate, Aldershot, p. 26. NOTE : Toutes les citations dont la source est anglaise sont des traductions libres.
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[8]
. Max Weber, 1978, Economy and Society, Berkeley, University of California Press, p. 54.
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[9]
. Voir, par exemple : Christopher Borgen, 2007, « Imagining Sovereignty, Managing Secession : The Legal Geography of Eurasia’s Frozen Conflicts », Review of International Law, vol. 23, p. 477-493 ; Mykola Kapitonenko, 2009, « Resolving Post-Soviet “Frozen Conflicts” : Is Regional Integration Helpful ? », Caucasian Review of International Affairs, vol. 3, no 1, p. 37-44.
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[10]
. Le huitième principe de la Conférence d’Helsinki stipule que « tous les peuples ont le droit, en complète liberté, de déterminer, quand et comment ils désirent, leur statut interne et externe, sans aucune interférence extérieure, ainsi qu’à poursuivre comme ils entendent leur développement politique, économique, social et culturel ». (Voir Acte final de la Conférence d’Helsinki sur la Sécurité et la Coopération en Europe, 1er août 1975, Helsinki, p. 33.)
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[11]
. Entretien réalisé avec un étudiant arménien résidant en Italie, le 31 mars 2008, une heure [traduit de l’anglais].
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[12]
. Assemblée générale des Nations Unies, 62e session, 86e séance plénière, AG/10693, « La situation dans les territoires azerbaïdjanais occupés », projet de résolution A/62/L.42, 14 mars 2008.
-
[13]
. Office of the Nagorno-Karabakh Republic in the USA, décembre 2001, « President Ghoukassian Requests an OSCE Facts-finding Mission To Be Sent to Nagorno Karabakh », Artsakh Newsletter, vol. 3, no 12, Washington, [http://www.nkrusa.org], consulté le 9 mai 2008.
-
[14]
. Torossian, Le Haut-Karabakh arménien. Un État virtuel ?, p. 76.
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[15]
. Gary Bertsch, Cassady Craft, Scott Jones et Michael Beck (dir.), 1999, Crossroads and Conflict : Security and Foreign Policy in the Caucasus and Central Asia, London, Routledge, p. 167 ; Robert Debner, 1992, Bloodshed in the Caucasus : Escalation of the Armed Conflict in Nagorno-Karabakh, New York, Helsinki Watch, p. 19-21.
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[16]
. À ce sujet, l’alinéa 14 de l’article 68 de la Constitution reconnaît cette possibilité, stipulant que « Le Président de la république, dans le cas d’une attaque armée, d’un danger imminent à l’encontre de la république ou d’une déclaration de guerre, déclare la loi martiale et peut demander une mobilisation partielle ou générale de la population tout en décidant de l’usage des forces armées. » (Constitution de la République du Haut-Karabagh, Ministère des Affaires étrangères de la RHK, Stepanakert, [http://www.nkr.am/eng/mid/struk.htm], consulté le 10 avril 2008.)
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[17]
. Voir Federation of American Scientists, « Military Expenditures, Armed Forces, Population and their Ratios, by Group and Country, 1989-1999 », [http://www.fas.org/asmp/profiles/wmeat/WMEAT99-00/08-Table1.pdf], consulté le 12 mars 2008.
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[18]
. Le tableau a été construit et actualisé par l’auteur à partir de Thomas De Waal, 2003, Black Garden : Armenia and Azerbaijan Through Peace and War, New York, New York University Press, p. 14. Les pourcentages des différents territoires occupés par la Haut-Karabagh ont été calculés en fonction de l’étendue sur le terrain.
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[19]
. Quant à elle, en 1991, l’armée azerbaïdjanaise contrôlait 15 % de l’OAHK et détient toujours aujourd’hui environ 7,5 % du territoire, soit 329 kilomètres carrés, notamment les districts de Martuni, de Martaket et de Getashen et la région autrefois nommée Shahumian, situés au nord-est de l’OAHK. (De Waal, Black Garden…, op. cit.)
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[20]
. Entretien avec le président de facto du Haut-Karabagh, Arkadi Ghoukasian, retranscrit par Al Plus News, 15 juillet 2005, [http://www.alplus.am/eng/ ?go=issue&id=30698], consulté le 3 avril 2008.
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[21]
. En effet, selon les paragraphes 1 et 2 de l’article 11 de la Constitution de la RHK adoptée le 12 décembre 2005, « Les forces armées de la République du Haut-Karabagh assurent la sécurité de la République du Haut-Karabagh, sa défense, son intégrité territoriale et l’inviolabilité de ses frontières. » De même, « Les forces armées sont neutres en matière politique et ne peuvent agir que sous le contrôle du pouvoir civil. » (Constitution de la République du Haut-Karabagh, Ministère des Affaires étrangères de la RHK, Stepanakert, [http://www.nkr.am/eng/mid/struk.htm], consulté le 3 avril 2008.)
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[22]
. « Data on the Results of the Elections of Candidates for Deputy of the NKR National Assembly by Majority Constituency », Central Electoral Commission, The Republic of Nagorno-Karabakh, 19 juin 2005, [http://www.elections.nkr.arm/], consulté le 31 mars 2008.
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[23]
. En effet, à la suite des crises internes résultant du conflit, l’ancien chef du parti communiste (PCA), Heydar Aliev, a été élu président « à la soviétique », avec 98,8 % des suffrages en octobre 1993. Il dirigea le pays d’une main de fer de 1993 à 2003, avant de faire élire son fils Ilham Aliev à la présidence, lors des élections de 2003, tout en réprimant sévèrement l’opposition. D’autre part, l’expression d’« ordre politique en gestation » a été forgée par Daniel Compagnon au sujet d’une autre entité contestée, le Somaliland, qui cherche aussi à affirmer une souveraineté de facto depuis le début des années 1990, et ce, contrairement à l’instabilité qui prévaut au sud de la Somalie. (Voir Daniel Compagnon, 1993, « Somaliland, un ordre politique en gestation ? », Politique Africaine, no 50, p. 9-20.)
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[24]
. « Answer of NKR Foreign Minister Georgy Petrossian to the Question of Mass Media Representatives », dans IA Regnum, Voices from Russia. Sources from the Homeland and the Diaspora, 21 février 2006, [http://02varvara.wordpress.com/category/ia-regnum], consulté le 12 octobre 2008.
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[25]
. Entretien téléphonique avec G. Mathevousian du journal Azat Artsakh, Stepanakert, Haut-Karabagh, le 20 septembre 2008, 30 minutes [traduit de l’anglais].
-
[26]
. Philippe Braud, 1997, Science Politique 2. L’État, Paris, Le Seuil.
-
[27]
. Entretien téléphonique avec un journaliste du quotidien Demo de Stepanakert, Haut-Karabagh, 31 octobre 2008, 30 minutes [traduit de l’anglais].
-
[28]
. Propos de Vardan Barseghian, ambassadeur de la République du Haut-Karabagh aux États-Unis, dans Office of the Nagorno-Karabakh Republic in the USA, février 2002, « Nagorno Karabakh Independence Marked on Capitol Hill », Artsakh Newsletter, vol. 4, no 1, Washington, [http://www.nkrusa.org], consulté le 21 mai 2008.
-
[29]
. Georgy Petrossian, mars 2006, « Statement of the Nagorno-Karabakh Republic Ministry of Foreign Affairs », dans Demo, journal du Haut-Karabagh, Stepanakert, [http://www.demo.ktsurf.net], consulté le 10 octobre 2008.
-
[30]
. Tatoul Markarian, cité dans « Massachusetts State Assembly Welcomes President Ghoukasian. Reps. Koutoujian and Kaprielian Initiate a Pioneer Resolution in Recognition of Artsakh’s Achievements », dans Office of the Nagorno-Karabakh Republic in the USA, Artsakh Newsletter, 2002, vol. 4, nos 5-6, Washington, [http://www.nkrusa.org], consulté le 21 avril 2008.
-
[31]
. Déclaration des partis politiques de l’Assemblée nationale de la République du Haut-Karabagh, citée dans Azat Artsakh, le 12 mars 2008, Stepanakert.
-
[32]
. Torossian, Le Haut-Karabakh arménien. Un État virtuel ?, p. 17.
-
[33]
. Entretien téléphonique avec un membre du bureau de la représentation officielle de la République du Haut-Karabagh aux États-Unis, 10 avril 2008, 20 minutes [traduit de l’anglais].
-
[34]
. Torossian, Le Haut-Karabakh arménien. Un État virtuel ?, p. 18.
-
[35]
. Serge Sur, 2000, Relations internationales, Paris, Montchrestien, p. 181.
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[36]
. Stephen Ryan, 1995, Ethnic Conflict and International Relations, Londres, Aldershot, p. 151.
-
[37]
. Pour les estimations démographiques, voir successivement : pour l’Arménie, National Statistical Service of the Republic of Armenia, « Results of the 2001 Census of the Republic of Armenia », [http://docs.armstat.am/census/pdfs/51.pdf], consulté le 23 mars 2008 ; pour l’Azerbaïdjan, « Statistical Yearbook of Azerbaijan 2004 », [http://www.azstat.org/publications/yearbook/SYA2004/Pdf/02en.pdf], consulté le 23 mars 2008 ; pour le Haut-Karabagh, « Country Overview », Office of the Nagorno-Karabakh Republic in the USA, [http://www.nkrusa.org/countryprofile/overview.html], consulté le 6 avril 2008.
-
[38]
. Ces données ont été construites par l’auteur à partir de la comparaison entre plusieurs sources, notamment : European Armenian Federation for Justice and Democracy, [http://eafjd.eu/spip.php ?article251&lang=en], consulté le 11 mars 2008 ; « Country Overview », Office of the Nagorno-Karabakh Republic in the USA, [http://www.nkrusa.org/countryprofile/overview.html], consulté le 6 avril 2008 ; et International Crisis Group, 2005, « Nagorno-Karabakh : Viewing the Conflict from the Ground », Crisis Group Europe Report, no 166, Tbilisi/Bruxelles, 14 septembre, p. 5-6.
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[39]
. International Crisis Group, 2005, « Nagorno-Karabakh : A Plan for Peace », Crisis Group Europe Report, no 167, 11 octobre, p. 7-11.
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[40]
. Voir pour l’année 2003 les estimations du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR/UNHRC), 2005, « Statistical Yearbook 2003 », [http://www.unhcr.org/statistics/STATISTICS/42aff7e84.html], consulté le 18 novembre 2008.
-
[41]
. Assemblée générale des Nations Unies, 62e session, 86e séance plénière, AG/10693, « La situation dans les territoires azerbaïdjanais occupés », Projet de résolution A/62/L.42, 14 mars 2008.
-
[42]
. Il est estimé que 47 400 Azéris et Kurdes vivaient à Latchine avant la guerre, alors qu’aujourd’hui la population de la ville est entièrement arménienne et ne dépasse pas 10 000 habitants. (Voir Arpi Harutyunyan, 2008, « Dark-adapted Eyes », Transitions Online, 11 avril, [http://www.tol.cz/look/TOL/section.tpl ?IdLanguage=1&IdPublication=4&tpid=10], consulté le 11 avril 2008.)
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[43]
. Entretien par Internet avec un personnel administratif du ministère des Affaires étrangères de la République de facto indépendante du Haut-Karabagh, 6-10 avril 2008, plusieurs courriers [traduit de l’anglais].
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[44]
. Les données ont été reconstruites à partir de deux enquêtes sociologiques récentes. Pour le Haut-Karabagh, le club de presse de Stepanakert a effectué une étude en octobre 2003 sur un échantillon de 1000 personnes au sein de la capitale. Pour l’Azerbaïdjan, le club de presse de Bakou a organisé une étude similaire entre 2001 et 2003 à Bakou, portant sur 1155 personnes. (Voir respectivement : Stepanakert Press Club, 2004, « Mountainous Karabakh in the Mirror of Public Opinion », Stepanakert, p. 203 ; et Baku Press Club, 2004, « The Karabakh Conflict and Prospects for Settling It, the Results of Sociological Research and Media Coverage of the Karabakh Settlement Problem, 2001-2003 », Bakou, p. 9.)