Jean-Philippe Warren est sociologue et sa formation première a sûrement été utile pour la recherche et l’analyse relatives au phénomène de l’extrême-gauche maoïste au Québec, dont il présente les résultats dans son dernier livre. Mais le mérite premier (au sens de premier niveau) de ce livre, je crois, est de l’ordre de la recherche historique. Il s’agit en effet d’une contribution majeure à l’étude du développement idéologique de la gauche au Québec, par la reconstitution de la trame des cheminements qui conduisent de scissions au RIN (Rassemblement pour l’indépendance nationale) durant les années 1960 à la formation de groupes relativement conjoncturels (Comité indépendance-socialisme–CIS, Front de libération populaire–FLP, etc.), à l’impact d’initiatives politiques du syndicalisme et de mouvements populaires (Front d’action politique–FRAP, notamment) et à la rencontre avec des courants maoïstes de l’Amérique du Nord anglophone, jusqu’à la constitution de groupements francophones résolument marxistes-léninistes dans la première moitié de la décennie 1970, et par l’analyse de ceux-ci. Il faut savoir gré à J.-P. Warren de la somme de travail qu’il a ici consentie : malgré le nombre souvent élevé de groupes et de courants dont il doit tenir compte, le lecteur ne s’y perd pas et ce simple éclairage permet déjà de mieux saisir les réalités. Pour les générations arrivées à la conscience politique après la disparition de ce marxisme-léninisme, et en particulier pour la génération étudiante d’aujourd’hui qui a parfois tendance à confondre la période de Parti pris et celle du militantisme des années 1970, par exemple, l’apport de ce livre (au titre cependant un peu apathique) à la connaissance de la pensée de contestation est réel et direct. Et comme Warren est lui-même d’une génération sociopolitique ultérieure à celle des groupements qu’il étudie, son travail respecte d’autant plus facilement une distance critique nécessaire. J.-P. Warren cite régulièrement les documents d’orientation, les journaux et les bulletins intérieurs de ces organisations, de même qu’il se réfère à des récits de vie de leurs militantes et leurs militants : non seulement les indications qu’il en tire paraissent toujours fort intéressantes et révélatrices, mais elles sont manifestement l’oeuvre d’un chercheur qui domine parfaitement le corpus des textes qu’il a consultés. Je n’ai pas décelé de contresens dans l’interprétation qu’il fournit et je ne vois pas ce qui pourrait manquer de déterminant, c’est-à-dire qui modifierait la donne d’ensemble, dans ce qui est rapporté et sert à son analyse. À ces égards aussi, Ils voulaient changer le monde. Le militantisme marxiste-léniniste au Québec s’avère un ouvrage de grande qualité. En début de livre, le lecteur peut trouver inapproprié que J.-P. Warren adopte (ou semble adopter) la posture d’une certaine condescendance à l’endroit des groupes qu’il va étudier et de leurs militantes et militants, ou alors présente son travail comme celui d’un périple dans un monde d’exotisme et d’insolite, comme un voyage en ubuland. En langage davantage universitaire, il écrit vouloir « faire sens de l’insensé ». Mais cette posture est mise de côté assez rapidement ; et on se demande bientôt si l’auteur ne s’est pas senti obligé de payer par elle un tribut à l’esprit du temps, afin que le lecteur d’aujourd’hui accepte plus facilement de le suivre… Quoi qu’il en soit, ladite posture n’interfère pas par la suite avec l’effort d’analyse. On trouve cependant dans le texte de petits anachronismes et quelques erreurs. Mais fort peu. Et à moins de vouloir chicaner, coûte que coûte, il faut mentionner que les quelques éléments auxquels tout cela peut se référer ne grèvent pas la qualité de la contribution de J.-P. Warren. Sa formation de sociologue est plus immédiatement perceptible dans les questionnements à l’origine …
Ils voulaient changer le monde. Le militantisme marxiste-léniniste au Québec, de Jean-Philippe Warren, Montréal, VLB éditeur, 2007, 255 p.[Notice]
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Serge Denis
École d’études politiques, Université d’Ottawa