Recensions

Que veulent vraiment les Québécois ? de Jocelyn Létourneau, Montréal, Boréal, 2006, 184 p.[Notice]

  • Anne Trépanier

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  • Anne Trépanier
    Université d’Ottawa
    Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités
    CIRCEM

Dans ce texte stimulant et dérangeant à la fois, Jocelyn Létourneau, professeur d’histoire à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire du Québec contemporain, ferme ici un cycle de réflexions historiennes sur l’ambivalence au coeur de l’identitaire et de l’expérience politique québécois et se pose au demeurant comme un essayiste politique. Le thème qui hante J. Létourneau depuis bientôt dix ans et qui trouve sa pleine expression dans l’argumentation touffue de cet essai complexe est celui que bien des intellectuels et des historiens du Québec contemporain considèrent comme un problème, à savoir l’inaccomplissement de la nation québécoise et la difficile accession à un État souverain du Québec. De ce « problème », J. Létourneau fait une problématique. L’auteur ne craint pas de contredire ce qu’il appelle un « mythistoire persistant dans la mémoire collective des Franco-Québécois » (p. 43), soit la nation inachevée. Si d’aucuns ont cherché à identifier les fausses routes et les culs-de-sac historiques, J. Létourneau n’a de cesse de les substituer à des passages et à des jardins foisonnants de possibilités. J. Létourneau est-il un prestidigitateur ? Est-il un révisionniste ? Que veulent vraiment les Québécois ? est un essai d’argumentation, avec la puissance novatrice et les faiblesses que le genre comporte pour une discipline telle que l’histoire. Un risque calculé. J. Létourneau est plus qu’un écrivain de l’ambivalence. Il est certes un joueur non négligeable dans l’art de l’oxymore, mais s’impose ici comme un leader dans l’écriture de la nouvelle histoire du Québec. La pensée qu’il porte est forte, souvent exprimée de façon percutante, mais plusieurs concepts qui la véhiculent sont néanmoins alambiqués et nécessitent un glossaire, qu’on trouve en fin de document. La thèse est avancée sous forme de tableau dans les premières pages du livre. Il ressort de la lecture de ce tableau que « le lieu de (p)référence des Québécois » est au carrefour de l’envie de changement, du souci d’héritage, du désir de participation et de la volonté de distanciation. Ce (p) est une habile évocation de la quête d’une référence décrite par Dumont et un moyen sensible d’humaniser le rapport au politique, le « moment de prédilection » des Canadiens, pour employer le langage de G.J.A. Pocock (Le moment machiavélien, Paris, Léviathan, 1997). À mon sens, comprendre « l’intention nationale des Canadiens » à l’aune du concept de refondation comme « souple, louvoyante et ouverte dans un esprit d’interdépendance » (p. 43) prendrait une signification historienne plus profonde. Ce qui tient lieu de démonstration suit sous une forme chronologique, en larges pans d’histoire. L’essai d’argumentation reste la ligne de conduite générale du propos. Les deux derniers chapitres sont plus aisés à lire, quoique guère moins complexes. Le propos lutte moins avec la prétention historienne de l’auteur, peut-être à cause de l’extrême contemporanéité des faits. La pensée de l’essayiste s’assume davantage et le concept de ligne de fuite peut enfin être accueilli, de même qu’un second tableau : un « Plan de la trajectoire historique des Québécois » d’après un croquis de Gilles Deleuze (Le pli : Leibniz et le baroque, Paris, Minuit, 1988, p. 21). J. Létourneau fait l’histoire nontéléologique d’une notion floue : « l’intention nationale des Québécois ». Pourquoi ne pas avoir fait l’histoire de la refondation ? C’est de toute évidence le concept sous-jacent à son intention. Sa prémisse est la suivante : l’intention politique des Québécois désobéit aux modèles classiques d’affirmation nationale. « La volonté de faire une nation n’a jamais eu le sens d’un engagement exclusif […] Elle n’a jamais pris la forme d’une résolution franche …