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L’idée maîtresse en amont de la démonstration effectuée dans cet ouvrage est en partie résumée dans le titre : « Il faut achever la Révolution tranquille ! » La prédominance affichée en couverture des préface et postface, respectivement signées par Jean-Marc Léger et Louis Bernard, confirme au lecteur ce que le titre omet d’expliquer en entier, à savoir que l’achèvement de cette révolution dite tranquille réside ultimement, selon l’auteur, dans l’indépendance politique du Québec.
Paul-Émile Roy est un intellectuel fécond. Il a signé plusieurs livres depuis qu’il a quitté les salles de cours du Collège de Saint-Laurent où il enseignait la littérature. Sa pensée rejoint, selon certains observateurs, celle d’un autre intellectuel québécois engagé, Pierre Vadeboncoeur, avec qui il entretiendrait une correspondance épistolaire. Ce court essai d’un peu plus de cent pages reprend quelques thèmes qui lui sont chers : l’histoire, la culture, la spiritualité et le destin politique du Québec.
Si l’exposé est bref, tous ceux à qui le vocabulaire indépendantiste des premières heures, truffé d’adjectifs comme colonisé, aliéné et opprimé, donne la nausée trouveront certains passages agaçants. Pour ceux qui logent à la même enseigne idéologique, cet ouvrage, pour citer J.-M. Léger dans sa préface, apparaîtra peut-être comme « perspicace, généreux et lucide », sinon un témoignage de plus pour contribuer à ce que Léger appelle « le nouvel élan national » (p. 14). Enfin, peu importe le lectorat, quiconque parcourt cet opus risque d’y voir plus le reflet d’un cri du coeur qu’une analyse implacable.
Dans son chapitre introductif au titre révélateur, « Pauvre Québec, mon pays », P.-É. Roy situe le Québécois dans l’histoire canadienne comme le persécuté, la victime, le trahi. En appui à cette affirmation, il évoque notamment les effets prétendus traumatisants de la Conquête. Il juge par ailleurs irrecevables les évaluations de l’historien Marcel Trudel et du philosophe John Saul, qui n’ont pas relevé de tels effets à la suite de l’avènement britannique. La lente intégration politique du Québec, ce « traquenard » qui le mènera à la Confédération de 1867, est ponctuée d’échecs et de trahisons dont le rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982 et le scandale des commandites ne sont que des prolongements logiques. En guise de conclusion au chapitre, il écrit : « Le Québécois a été trahi par l’Histoire. Il a été trompé par ses leaders politiques. [...] À force de se faire traiter comme s’il était un moins que rien, il a fini par se mépriser lui-même, par se mutiler, par avoir honte de lui-même, par s’accommoder de tout, même de la bêtise » (p. 22).
Le chapitre 2, « Un tournant mal pris », fait d’une certaine façon office d’amorce à l’argumentaire des chapitres suivants. L’auteur définit la Révolution tranquille comme étant essentiellement une démarche d’affirmation nationale. La non-finalité de ce processus est à ses yeux une nouvelle « expérience de l’échec ». P.-É. Roy identifie deux causes pour expliquer cette déroute. La première est le détournement politique effectué par des leaders politiques comme Pierre Elliot Trudeau, Jean Lesage, Gérard Pelletier et Robert Bourassa. « Au lieu de la mener à terme [la Révolution tranquille], ils ont utilisé le prestige qu’elle leur conférait pour en freiner le cours » (p. 28). La deuxième cause est liée à l’aliénation même des Québécois qui, opprimés depuis deux cents ans, n’auraient pas su trouver en eux-mêmes les ressources nécessaires pour contrer ce détournement.
L’auteur suggère cette idée de « négation de soi » pour expliquer le rapport des Québécois à leur histoire et, tout particulièrement face au rôle passé de l’Église. À cette question, il consacre tout un chapitre intitulé « La dilapidation de l’héritage ». D’entrée de jeu, il avance : « Il faut tenter de comprendre la relation des Québécois au catholicisme, car c’est dans cette relation qu’ils assument, acceptent ou refusent leur identité » (p. 36). Selon lui, il existe à l’heure actuelle une sorte de conformisme dans le rejet du clergé ; une prise de position iconoclaste jugée postmoderne et qui dénoterait une « ouverture d’esprit ». En d’autres mots, P.-É. Roy fait le procès de l’anticléricalisme. Une réaction qui met en lumière une sorte de rejet de la société traditionnelle québécoise. L’essayiste récuse, non sans raison, certaines idées reçues au sujet de la grande noirceur d’antan et nuance certaines des critiques émises à l’endroit de l’Église, tout en louangeant son rôle « comme bastion de la résistance ». Il termine ainsi : « Quoi qu’il en soit, notre adversaire, l’adversaire de l’indépendance du Québec, ce n’est pas l’Église, ce n’est pas le catholicisme, ce sont les fédéralistes, ce sont les conquérants et leurs alliés » (p. 60).
Selon le raisonnement de l’auteur, ce refus des Québécois d’assumer leur passé religieux s’exprime de facto dans leur rejet de leur propre histoire. C’est l’un des effets pervers de la postmodernité, explique-t-il au chapitre suivant intitulé « Les leurres de la postmodernité ». Il déplore notamment l’insensibilité des Québécois à la chose spirituelle. « On peut considérer que si nous avions pu faire notre révolution avant l’avènement de la postmodernité, nous aurions été plus en mesure de l’assumer » (p. 67). Mais la diabolique postmodernité n’a pas que des effets subversifs. Elle va de pair avec la mondialisation et renforce, recentre et rend encore plus nécessaire que jamais l’État-nation, vu comme un rempart à l’uniformisation galopante. D’où la nécessité de réaliser l’indépendance du Québec. « Il ne s’agit plus de parler de la souveraineté, professe-t-il, il s’agit de la faire » (p. 72).
Dans son dernier chapitre, « Achever la révolution tranquille », P.-É. Roy effectue son ultime plaidoyer afin de mettre un point final à la Révolution tranquille. Pour ce faire, soutient-il, il faudra avant tout réaliser notre indépendance psychologique. Car notre confiance en nous-mêmes aurait été mise à rude épreuve par l’ostracisme des Canadiens anglais perpétré depuis deux siècles. Dire que l’essayiste cantonne les Québécois au rôle de victime relève de l’euphémisme. Ce dernier en rajoute et déplore la banalisation de l’oppression qui sévirait actuellement. « Ce que nous devons demander à l’Histoire, c’est le rappel certes de nos origines françaises, mais c’est aussi et surtout peut-être, le rappel des traitements que nous avons subis depuis 1760, et qui finiront par avoir raison de notre volonté d’être, si nous ne nous ressaisissions pas avant qu’il ne soit trop tard » (p. 87). Pour se « ressaisir », l’auteur suggère que la souveraineté soit portée par un discours si fort qu’il en vienne à être considéré comme un fait, donc une réalité. D’aucuns fédéralistes lui feraient certainement remarquer qu’il existe déjà bien des hypothèses et des on-dit entourant la souveraineté qui soient, à toutes fins utiles, considérés par plusieurs comme des paroles d’Évangile...
Dans sa postface prudente de l’ouvrage, L. Bernard se garde bien de renchérir sur l’appui de l’auteur à la proposition d’accession à l’indépendance de Robert Laplante, directeur de L’Action nationale. Une stratégie que P.-É. Roy juge « positive, simple et cohérente », mais qui, de toute évidence, n’a pas fait consensus au sein des troupes péquistes. Le lecteur attentif dénotera dans la prose de L. Bernard, visiblement en attente dans les arcanes politiques, une certaine retenue qui l’amène, par moments, à subtilement nuancer la portée de certaines des interprétations de l’essayiste. Ainsi, il écrit : « ce qu’il importe de dénoncer, ce ne sont pas tant les injustices que nous a fait subir le système fédéral que les limites importantes qu’il continue à nous imposer » (p. 105).
Le lecteur curieux de connaître les raisons pour lesquelles le Québec doit réaliser l’indépendance pour achever la Révolution tranquille restera sur sa faim. En revanche, il sera à même de découvrir pourquoi, selon l’auteur, celle-ci n’a pas connu le dénouement que plusieurs ont tant espéré. Là où l’on sent l’argumentation de P.-É. Roy plus déliée est lorsqu’il aborde les rapports ambigus des Québécois avec leur histoire et leur passé pieux. De là à faire un éventuel rapprochement avec le rejet du projet indépendantiste, il n’y a qu’un pas que de nombreux lecteurs n’oseront peut-être pas franchir avec lui.