L’ouvrage d’Ezra Suleiman, professeur de science politique à l’Université de Princeton (États-Unis) et à l’Institut d’études politiques de Paris (France), poursuit deux objectifs. Il s’agit, en premier lieu, de comprendre les liens qui unissent bureaucratie et démocratie et, deuxièmement, d’analyser de manière comparée la mode du New Public Management ou nouvelle gestion publique (NGP) dans les démocraties du Nord pour en comprendre les origines, les effets et les risques associés. L’ouvrage cible un public universitaire (étudiants et chercheurs) qui s’intéresse aux transformations récentes de l’administration publique, mais aussi les fonctionnaires désireux de comprendre le sens des réformes en cours et les raisons de l’image négative que leur profession véhicule. Avant d’aborder le contenu de l’ouvrage, soulignons qu’il a été publié en anglais en 2003 par les Presses de l’Université de Princeton. Vu la piètre qualité de la traduction française, il est sans doute plus pertinent de le lire dans sa langue d’origine. L’argument central de l’auteur est que la crise de la démocratie, dans les démocraties installées de longue date, a été provoquée par les hommes politiques eux-mêmes qui, à force de dénigrer l’État, en sont venus à attaquer ce qui faisait la légitimité même de la démocratie (et donc leur légitimité). Autrement dit, en tirant à boulets rouges sur les fonctionnaires et les bureaucrates, les hommes politiques n’ont pas vu qu’ils sciaient aussi la branche sur laquelle ils étaient et sont assis. Plus spécifiquement, l’auteur soutient qu’en privatisant une grande partie des fonctions régaliennes de l’État (armée, police, la capacité de percevoir l’impôt), le gouvernement des États-Unis est en train de vendre les appareils gouvernementaux qui assuraient son efficacité et donc sa légitimité. À terme, ce gouvernement sans capacité d’action risque de perdre le peu de légitimité qu’il lui reste. Le livre est organisé en trois parties et douze chapitres. La première partie traite de l’appareil d’État comme d’une instance de mise en oeuvre de la démocratie. L’auteur s’attache à démontrer que, s’il n’y a plus ou pas de bureaucratie, c’est-à-dire d’administration distincte du politique, le pouvoir politique ne sera plus en mesure de jouer son rôle de régulateur de la vie sociale. E. Suleiman rappelle que la bureaucratie est étroitement liée au développement de l’État moderne, lui-même intrinsèquement lié au développement du capitalisme. Si l’on reconnaît facilement qu’une bureaucratie professionnelle est indispensable à la consolidation démocratique dans les pays en transition, il semble qu’on ait tendance à oublier cet élément dans les démocraties déjà consolidées. Est-ce que Weber serait aujourd’hui dépassé, demande l’auteur ? Selon les « nouvelles conceptions » de la gestion bureaucratique, en particulier de la NGP, l’esprit d’entreprise doit animer l’administration et transformer le citoyen en client-consommateur afin de répondre à ses besoins de manière appropriée. Il serait également souhaitable, selon cette conception, de favoriser la flexibilité de l’organisation du travail contre la rigidité de l’appareil bureaucratique, en introduisant, par exemple, des changements d’ordre structurel qui favorisent le travail d’équipe à la place du travail organisé par des structures hyperhiérarchisées. L’auteur note également que la NGP entend modifier les moyens de la mise en oeuvre des services en faisant appel à la sous-traitance, à la compétition entre les services et à l’approche par résultats. Pour E. Suleiman, un élément central pour comprendre la plus ou moins grande porosité aux réformes inspirées de la NGP des pays est la présence ou non de l’idée d’un « intérêt général » supérieur à la somme de ses parties. L’absence d’une telle conception de la fonction publique aux États-Unis a permis la transformation rapide du citoyen en consommateur. Cette conception de l’action publique soulève, pour l’auteur, plusieurs questions : …
Le démantèlement de l’État démocratique, d’Ezra Suleiman, Paris, Seuil, coll. « L’Histoire immédiate », 2005, 397 p.[Notice]
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Pascale Dufour
Université de Montréal