Christian Rouillard, Éric Montpetit, Isabelle Fortier et Alain-G. Gagnon, membres du Groupe d’étude sur les réformes de l’État (GERE), s’attardent sur un des chantiers phares du gouvernement Charest, celui de la modernisation de l’État. En s’appuyant sur une solide assise théorique et en mobilisant une grille de lecture inspirée de l’analyse des politiques publiques, les auteurs décryptent les enjeux de cette réforme qui dépassent, et de loin, le seul cadre de la gestion publique. Cet examen est le bienvenu puisque, au moment où le Québec cède à la mode managériale, des analyses réalisées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (un des principaux promoteurs de ce courant) encouragent à nuancer les avancées accomplies dans plusieurs pays qui se sont engagés sur cette voie. Cet ouvrage alimente la réflexion sur le modèle québécois et offre aux lecteurs des éclairages en vue d’interroger la pertinence des instruments retenus par le gouvernement libéral de Jean Charest. Les auteurs, conscients du fait que la recherche de l’amélioration de la gestion des administrations publiques est une ambition partagée par de nombreux gouvernements (y compris ceux du Parti québécois), s’appliquent à démontrer que l’entreprise libérale en cours déborde la dimension interne de la gouvernance, c’est-à-dire le fonctionnement des rouages de la structure administrative. C’est pour cette raison qu’ils insistent sur les mutations induites par la réingénierie sur la dimension externe de la gouvernance, c’est-à-dire la redéfinition des missions de l’État et des relations que ce dernier entretient avec la société civile. Cet angle d’approche, en plus d’être pertinent et d’offrir une analyse globale de réformes que les spécialistes ont pour habitude d’étudier sous un angle « techniciste », élargit considérablement l’audience de cet ouvrage. C’est dans le même souci de clarification que les auteurs s’attardent à expliciter les concepts mobilisés par les laudateurs du managérialisme et qu’ils analysent en détail les principaux documents qui fondent ce courant. La préface de James Iain Gow offre une contextualisation historique intéressante sur le mouvement de modernisation de l’administration publique. Elle est d’autant plus à propos qu’elle informe le lecteur que les 180 pages qui suivent s’attachent à décrire et à expliquer un phénomène récurrent de la gestion publique québécoise, même si le gouvernement libéral le drape dans les habits de la modernité en recourant abondamment à la rhétorique du changement et en le parant de tous les « accessoires » en vogue tels que les fameux partenariats public-privé. L’ouvrage se divise en quatre chapitres. Le premier met l’accent sur la dimension historique de la gouvernance au Québec et sur ses évolutions. La présentation chronologique de la structuration des relations collectives unissant traditionnellement l’État et la société civile permet de prendre conscience des particularités du modèle québécois en la matière et de la menace que fait peser l’actuelle réforme sur cet héritage, démocratique et progressiste, de la Révolution tranquille. À ce sujet, il est intéressant de constater que l’urgence de réformer l’administration est présentée comme la principale justification pour rompre avec les modes traditionnels de concertation. Ainsi, l’unilatéralisme l’emporte sur la consultation et les firmes-conseils du secteur privé se substituent aux syndicats et aux citoyens. Trois moments rythment ce panorama historique. S’écoulant de 1960 à 1976, la première période voit l’État jouer un rôle majeur dans le processus d’émancipation et d’affirmation des intérêts francophones. L’État intervient dans de nombreux domaines économiques, industriels, éducatifs, sociaux, etc. Ce mouvement interventionniste s’appuie sur « le milieu syndical, le mouvement coopératif et le monde des affaires [et dote] le Québec de réseaux néo-corporatistes » (p. 14) en vue d’encourager l’essor de l’entreprise Québec Inc. La deuxième période, qui s’étend de 1976 à 1998, …
La réingénierie de l’État. Vers un appauvrissement de la gouvernance québécoise, de Christian Rouillard, Éric Montpetit, Isabelle Fortier et Alain-G. Gagnon, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 200 p.[Notice]
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Steve Jacob
Université Laval