Recensions

Le temps de l’homme fini, de Marc Chevrier, Montréal, Boréal, 2005, 248 p.[Notice]

  • Frédéric Boily

…plus d’informations

  • Frédéric Boily
    Faculté Saint-Jean, University of Alberta

Marc Chevrier est l’un de ces intellectuels québécois qui aiment bien s’exprimer sur des questions touchant la vie de la Cité. Ainsi, ceux qui fréquentent les pages des revues L’Agora et Argument seront ici en pays de connaissance puisque les textes qui composent cet essai y ont été initialement publiés, mais enrichis de quelques inédits. S’inspirant de Paul Valéry, Marc Chevrier, qui enseigne la science politique à l’Université du Québec à Montréal, avance que, à l’instar du monde géographique qui se révèle maintenant connu et cartographié dans ses moindres détails, le « coeur même de l’Homme » a, d’une certaine manière, subi le même sort. « Voici la nouvelle clôture : l’homme fini enfermé dans son moi, son identité et ses droits, qui ne tolère aucune référence étrangère à ses désirs, à son corps et à ses origines » (p. 18). Devenu son propre centre de gravitation, l’homme fini s’est enfermé dans la contemplation d’images, lesquelles ne sont, selon l’auteur, que les propres images de lui-même. Ainsi, l’homme d’aujourd’hui se prend pour objet d’adoration. À l’instar de l’historien étasunien Daniel J. Boorstin, croyant que la société étasunienne est devenue une société d’images, Chevrier développe la thèse que les images ont maintenant pris la place des idéaux, et ce, dans tous les domaines de la vie. Or, le grand problème avec une telle attitude, selon M. Chevrier, c’est que « [l]’image est croyable, en ce qu’elle dépend des gens qui se persuadent qu’elle incarne l’institution ou la personne représentée » (p. 19). Passive et simplifiée, l’image s’adresse au sens de l’homme qu’elle cherche à exciter et à émoustiller. Dans cette optique, M. Chevrier fustige la société contemporaine qui serait devenue un vaste réservoir d’images que les gens regardent en croyant avoir affaire au réel. Or, ils sont plutôt confrontés à une représentation – une fiction – de la réalité, représentation qui reste fort éloignée de cette réalité. C’est en ce sens que, dans le texte sur « Les gloires de la parade », l’auteur s’en prend au défilé de la fierté gaie, exemple emblématique de la nouvelle finitude de l’homme. À ses yeux, les parades gaies montrent un triste spectacle d’homosexuels en adoration ou en pâmoison devant leur corps. Oubliant qu’ils ne sont pas Dieu, ils vouent un culte à leur splendeur physique en se paradant de manière un peu grotesque dans les rues de Montréal. Nous vivons donc sous le joug d’une nouvelle tyrannie – celle d’Éros –, laquelle impose comme premier commandement de jouir. Un texte qui, en ces temps de légalisation du mariage des conjoints de même sexe, en fera probablement sursauter plus d’un par le ton des jugements exprimés, par exemple quand il parle des « Che Guevara du sexe » pour désigner les militants gais. Partout, ou presque, l’auteur voit les signes de la désolation, c’est-à-dire des signes de l’adoration de l’homme par l’homme. Par exemple, le dépressif qui, comble de l’ironie, s’est pris lui-même pour idéal et qui, s’apercevant de son erreur, s’enfonce dans le désespoir. C’est aussi la culture qui sombre dans le divertissement et les « risibles racolages » (titre d’un des articles) de la publicité, laquelle travestit la réalité pour favoriser la consommation. Montréal, aussi, qui offre, aux yeux de l’auteur, le désolant spectacle de la juxtaposition du disparate, une cathédrale côtoyant une gargote. Marc Chevrier pense par ailleurs, cela ne surprendra personne, que l’éducation se porte mal. Il dénonce en effet la dérive marchande de l’Université, laquelle aurait laissé, couplet maintes fois entendu, toute la place aux spécialistes de l’éducation alors que les humanistes ont été relégués aux oubliettes, si l’on …