Charles Blattberg propose dans son livre une réflexion normative sur le « mal au pays » (p. 9) qui afflige, selon lui, bon nombre de Canadiens. C. Blattberg perçoit ce malaise, par exemple, dans l’allégeance duale des Québécois et le dilemme qu’ils ressentent quant à leur loyauté politique, tantôt envers le Québec, tantôt envers le Canada. Il soutient que des conflits de ce genre ne sont qu’accentués par la constitution canadienne et le type de politiques adoptées au regard de telles situations. Cela résulte ainsi, en quelque sorte, en « un sentiment d’aliénation à l’égard soit de la Constitution elle-même, soit des nombreux citoyens qui ne s’y reconnaissent pas », ce qui fait dire à l’auteur que « nous, Canadiens, n’avons jamais pu nous sentir “chez-nous” » (p. 14). Ce diagnostic amène C. Blattberg à proposer une interprétation patriotique, parfois originale, mais souvent ambiguë, des relations entre citoyens de la communauté politique canadienne. Originale puisqu’elle s’accompagne de propositions de réforme des institutions relativement innovatrices, surtout lorsqu’elles sont mises dans le contexte de sa proposition générale qui vise la valorisation de la conversation comme mode de communication politique. Cependant, le projet de C. Blattberg est ambigu quant à sa dénonciation des modes d’organisation politiques « monarchistes » (qui légitiment une forme d’autorité), alors que sa proposition de valoriser la conversation comme mode d’interaction politique tombe parfois dans cette tentation monarchiste qu’il répudie. L’ouvrage débute par la présentation de la distinction du philosophe Wittgenstein entre règles expressives et règlements. Les règles expressives renvoient à des pratiques qui peuvent être adoptées « de façon préréflexive sans qu’elles aient besoin d’être explicitées » (p. 17) : elles sont des expressions du soi, de l’identité. De plus, le fait que plusieurs personnes suivent ces règles signifie qu’une compréhension partagée de ces règles existe, provoquant une conformité de modes de vie entre ces personnes. Les règles expressives s’opposent aux règlements, qui « sont des prescriptions auxquelles nous nous conformons, à défaut de leur obéir de plein gré » (p. 30-31). La thèse principale de C. Blattberg est donc que les citoyens doivent être en accord avec les règles constitutionnelles – en tant que règles expressives qui amènent les citoyens qui y adhèrent à partager une même forme de vie – qui régissent leur pays, afin « de susciter chez eux un sentiment d’appartenance politique » (p. 18). C. Blattberg identifie trois façons de répondre aux conflits politiques au Canada : les approches monarchiste, polyarchiste et patriotique. Il qualifie d’approche monarchiste celle qui met de l’avant l’idée qu’une seule source d’autorité est légitime. La forme d’échange valorisée s’avère le plaidoyer, puisque les acteurs politiques doivent plaider leur cause devant et en fonction de cette source d’autorité, le dialogue n’étant pas privilégié, puisque « l’autorité souveraine ne doit jamais être remise en question » (p. 20). S’incarnant d’abord dans la Couronne, ensuite le Parlement, C. Blattberg argue que le rapatriement de la Constitution en 1982 a fait de celle-ci « le monarque du pays, en vertu de la suprématie du droit constitutionnel » (p. 21). Les fondements du droit constitutionnel mentionnés par l’auteur se retrouvent dans la théorie de la justice élaborée par Pierre Elliott Trudeau, théorie d’inspiration neutraliste à la conception unitaire et égalitaire des rapports entre État et citoyens. En revanche, l’approche polyarchiste pluraliste qui retient surtout l’attention de C. Blattberg s’accommode plus aisément des différences et reconnaît la légitimité du droit au désaccord et l’importance de la négociation. Les approches monarchistes et polyarchistes contribuent à engendrer des règles non pas expressives, mais des règlements (p. 30), par la séparation de la source d’autorité et du …
Et si nous dansions ? Pour une politique du bien commun au Canada, de Charles Blattberg, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2004, 216 p.[Notice]
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Marie-Joie Brady
Université d’Ottawa