La démocratie à l’épreuve de la gouvernance de Linda Cardinal et Caroline Andrew, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2001, 240 p.[Notice]

  • Anne-Marie Gingras

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  • Anne-Marie Gingras
    Université Laval

Les directrices de l’ouvrage, Linda Cardinal et Caroline Andrew, expliquent que le thème de la gouvernance est porteur d’une ambition : « celle de se présenter comme une solution de rechange et comme une réponse efficace aux transformations en cours du politique dans les sociétés démocratiques, en particulier comme une façon de repenser la politique à l’ère de l’individualisme » (p. 1). La nouvelle gouvernance, selon Gilles Paquet, serait faite de participation, de multilogue et d’échanges horizontaux entre partenaires ; elle ferait fi de la hiérarchie et du commandement ; fondée sur l’apprentissage collectif, elle constituerait « un jeu complexe qui ne tomberait sous la domination d’aucun maître » (p. 10). Le texte de Gilles Paquet s’inscrit dans la théorie des organisations, mais il possède une ambition plus large, celle d’élaborer des principes de gestion s’appliquant aux sphères privée, publique et civique. L’auteur s’appuie sur des transformations sociétales (comme la mondialisation des marchés, l’accélération des changements technologiques et l’économie basée sur la connaissance) et sur l’échec de la conception tayloriste de la gestion pour affirmer qu’un nouveau paradigme est en train de naître. Le modèle de gouvernance qu’il explicite met l’accent sur l’adhésion volontaire aux normes ; il possède une « anatomie » composée d’une stratégie vulpine (utiliser les pulsations de l’environnement en sa faveur), de structures modulaires (légères, libérées des procédures et ayant du pouvoir), de mésoforums interactifs et de partenariats et de contrats moraux. La nouvelle gouvernance de G. Paquet comprend trois principes liés au processus d’apprentissage : le principe dialogique, qui suppose la coexistence de logiques contradictoires au coeur même de la définition des problèmes ; le principe de la récursion organisationnelle, qui renvoie à la double production — le clan produit un extrant et se produit lui-même par ses activités ; et le principe hologrammatique, qui suppose que l’information est accessible à chacun de ses membres. Les chercheuses et chercheurs réunis pour commenter le texte de G. Paquet ont émis une série de critiques dont quelques-unes seront résumées ici. Tout d’abord, le caractère hautement abstrait du modèle de G. Paquet a été souligné. Résumant la pensée de ce dernier, Jocelyn Létourneau écrit qu’il est difficile de s’opposer à ce modèle, tant il se fonde sur des a priori largement partagés : que gouverner est un exercice complexe, que l’information partagée permet l’optimisation dans les organisations, qu’on considère comme centrales les notions d’adaptabilité, de flexibilité, de mobilité et de fluidité. Mais, selon J. Létourneau, le problème consiste à opérationnaliser le modèle « dans des cadres concrets, c’est-à-dire dans des environnements humains et physiques complexes où la contingence, l’incertitude, la concurrence, la ruse des acteurs et les petits rapports de pouvoir et de force forment le sel de la vie » (p. 48). Ensuite, élaborer un modèle pouvant englober les secteurs privé, public et civique ne va pas de soi, plusieurs coauteurs contestant la possibilité de traduire d’une manière univoque — fut-elle complexe et nuancée — des réalités multiples et d’ordres divers. La discussion entre les coauteurs s’appuie sur une variété d’arguments et de cheminements qui vont aussi d’un champ d’études à l’autre, passant de l’organisationnel au cognitif, au local et à l’économie mondiale. Le modèle de G. Paquet souffrirait donc d’une trop grande cohérence face à la réalité, en quelque sorte, et, selon Luc Juillet, ne rendrait pas suffisamment compte de l’hétérogénéité des formes concrètes de mise en oeuvre de la gouvernance (p. 106). Dans une veine semblable, Farhad Khosrokhavar conteste « l’occultation de la problématique des sciences sociales » dans le modèle de G. Paquet et l’assimilation de la politique, au sens macrosociétal, à l’organisation de …