La condition de la liberté. Rousseau, critique des raisons politiques de Blaise Bachofen, Paris, Payot, collection « Critique de la politique », 2002, 320 p.[Notice]

  • Fabrice Paradis Béland

…plus d’informations

  • Fabrice Paradis Béland
    École des hautes études en sciences sociales

Blaise Bachofen se propose, à partir d’une lecture soigneuse des oeuvres politiques majeures de Jean-Jacques Rousseau, de décrire la manière dont sa philosophie politique élabore la figure de ce qu’il nomme le « cercle » (p. 15) de la liberté humaine, cercle à l’intérieur duquel la liberté humaine est considérée tour à tour comme un effet et une cause du politique, « c’est-à-dire de deux points de vue apparemment contradictoires » (p. 15). En digne représentant de la tradition jusnaturaliste, J.-J. Rousseau fait d’abord de la liberté humaine la condition de possibilité fondamentale de tout régime politique, fut-il tyrannique et violent. Ce sont toujours, résume B. Bachofen, « les hommes [qui] se placent eux-mêmes dans des situations de dépendance en cherchant à satisfaire leur désir illimité de jouissance et de puissance sociale » (p. 229). Simultanément, J.-J. Rousseau traite de « chimère » (p. 274) l’abstraction propre au jusnaturalisme moderne d’une liberté naturelle de l’individu susceptible d’exister en marge, voire en dépit du politique. Pour cette raison, le philosophe est d’avis que le politique doit être considéré, non pas seulement comme l’art de « gérer » la cohabitation pacifique des égoïsmes individuels, mais aussi comme la condition sine qua non de possibilité d’une moralité humaine. C’est là, selon B. Bachofen tout le sens paradoxal de la reprise « critique » (p. 36) par J.-J. Rousseau des concepts initialement hobbésiens d’« homme à l’état de nature » et de « droit naturel » : s’opposer à l’ambition moderne d’» enraciner l’anthropologie dans la nature » (p. 34) et poser à nouveaux frais « le problème de l’éducation à la liberté, ou de la culture de la liberté » (p. 268) à laquelle l’homme est naturellement « destiné » (p. 230). L’hypothèse de départ de B. Bachofen est que la réflexion politique de J.-J. Rousseau, en même temps qu’elle insiste sur l’importance cruciale du politique pour la moralisation de l’homme, est avant tout une « réflexion critique, au sens kantien de l’expression, sur la possibilité même de la philosophie politique » (p. 16) : En quel sens peut-on accorder à la raison humaine de faire de l’ordre politique son objet s’il est admis par ailleurs que cette raison n’est pas la cause de cet objet et quel degré de rationalisation du politique nous est-il permis d’espérer ? Cette réflexion critique de J.-J. Rousseau sur le politique prend, selon B. Bachofen, trois formes distinctes, qui sont autant de manières de s’interroger sur la possibilité et les « conditions d’une restauration de la liberté dans l’ordre politique » (p. 22). L’auteur divise conséquemment son examen du système critique de J.-J. Rousseau en trois parties (chap. I, III, et V) dont il se propose, par des chapitres intermédiaires, de montrer l’imbrication graduelle (chap. II et IV) : une théorie de la société, qui est « une théorie de la constitution pré-politique du lien social », suivie d’une théorie de l’État, qui est un exposé rationnel des principes du droit politique, le tout couronné par une théorie du gouvernement qui contient des réflexions sur « l’art politique » au sens d’« exercice concret du pouvoir » (p. 22). À la fin de son ouvrage, B. Bachofen conclut que la justification rationnelle de l’avènement contingent de l’ordre politique, la fusion ultime de l’ordre politique et de l’ordre des raisons ou de la morale, la synthèse finale des volontés particulières dans la volonté générale et la constitution du sujet-peuple sont autant d’horizons qui définissent pour J.-J. Rousseau la tâche, à la fois pragmatiquement nécessaire et impossible, du politique. Nous nous contenterons simplement de formuler deux remarques critiques à …