FR :
D’aucuns considèrent que l’Europe n’est pas une invention récente née d’un caprice de politiciens, mais le produit d’une maturation multiséculaire. C’est dans cette perspective que maints représentants officiels se réfèrent à la mémoire de l’Europe. L’enjeu est de taille. En effet, l’une des composantes essentielles de toute identité collective réside dans l’interprétation qui est donnée à l’histoire de cette collectivité. Au fil des siècles, les peuples paraissent se forger des souvenirs qu’ils entretiennent, qu’ils assument ou qu’il perdent, voire qu’ils refoulent. L’organisation des souvenirs et des oublis devrait dès lors également conditionner l’existence d’une identité qualifiée d’européenne. Mais il convient de s’interroger à cet égard. Comment les représentants des États membres peuvent-ils parvenir à atténuer les interprétations divergentes, sinon contradictoires du passé ? Comment peuvent-ils dégager un langage commun qui permette de décloisonner les mémoires nationales ? La mise en évidence de souvenirs partagés signifie-t-elle pour autant une homogénéisation totale des représentations du passé ? L’objectif de cette réflexion est de mieux cerner la portée et les limites de toute intervention politique dans la mise en scène de l’histoire. Pour ce faire, elle s’articule autour de deux parties. La première se penche sur les ambitions d’un tel projet. Elle montre que l’insistance sur un passé commun poursuit une double finalité, dans une Europe en quête de légitimité et de puissance. La seconde partie examine les limites de la représentation officielle du passé. Elle établit que la notion de mémoire européenne constitue un projet politique et non une réalité sociologique. Pour ce faire, elle dépeint les trois principales limites du discours officiel sur le passé européen, ce discours risquant de se muer en une description politiquement correcte, sans le moindre impact auprès des populations, dès qu’il apparaît comme aseptisé, homogène et figé.
EN :
Some consider that Europe is not a recent political invention, but the result of a centuries-old process. Thus, numerous official representatives regularly refer to the European memory. There is much at stake in that discussion since one important component of collective identity lies in the interpretation of the past. Experience shows that identities are forged through the ages with adopted, kept alive, lost or even sometimes repressed memories. Therefore the organisation of what is to be remembered and forgotten appears to be a decisive condition of what European identity may be. This issue raises various questions: how can European Union representatives alleviate diverging and sometimes contradictory interpretations of the past? How can they elaborate a common language able to establish a connection between national histories? Does the emphasis on common memories necessarily imply a complete homogenisation of the representations of the past? The purpose of this article is to analyse the strengths and the limitations of any politics of memory. This analysis is divided into two parts. First, it is argued that accentuating a common past pursues a double finality in a European Union seeking legitimacy and power. Second, the article shows that the notion of European memory constitutes a political project rather than a sociological reality. To demonstrate it, it examines three limitations of an official representation that risks loosing the population’s adherence if it becomes simplistic, homogeneous or fixed once and for all.