Cet ouvrage de Frédérick-Guillaume Dufour se distingue en premier lieu par son originalité thématique, puisque la théorie du patriotisme constitutionnel n’a été nulle part exposée de manière systématique, et en second lieu par l’application originale que fait l’auteur du modèle habermassien à la situation du Québec et du Canada. Jürgen Habermas a développé sa théorie du patriotisme constitutionnel ( Verfassungspatriotismus ) au cours des années 1980 mais la genèse de cette conception de l’identité collective doit évidemment être prise en compte pour qu’elle soit exposée de manière intelligible. C’est l’objectif du premier chapitre (« Genèse sociopolitique de la théorie du patriotisme constitutionnel ») qui reconstitue l’évolution du climat politique et idéologique de 1957 à 1992, alors que J. Habermas élabora ses idées sur l’espace public et la démocratie en intervenant dans les débats touchant la République fédérale d’Allemagne nouvellement fondée, l’opposition extraparlementaire, la guerre froide, l’université, le terrorisme et le recours à la violence, la montée du nationalisme conservateur en Allemagne aussi bien chez un certain nombre d’intellectuels qu’en politique, la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne, puis, finalement, l’intégration européenne. Ce survol de quatre décennies est fort bien mené et très pertinent, malgré quelques inexactitudes occasionnelles, comme par exemple l’impact du discours prononcé le 8 mai 1985 par le président von Weizsäcker, qui n’a certes pas contribué à promouvoir les thèses des conservateurs nationalistes enclins à « soulager la mémoire allemande » (p. 46). Le premier chapitre s’attarde aux interventions de J. Habermas hors de ses ouvrages théoriques, qui seront considérés au prochain chapitre. L’auteur soutient (avec raison, me semble-t-il) que, même en évitant le piège de l’explication téléologique (p. 13), les positions de J. Habermas étaient, depuis les années 1960, en accord avec la conception procédurale et radicale de la démocratie (p. 67) que la théorie du patriotisme constitutionnel développera à la fin des années 1980, à l’occasion de la querelle des historiens dont on peut lire ici une excellente présentation des acteurs, des thèses et des enjeux (p. 39-58). Le deuxième chapitre (« Architectonique de la théorie du patriotisme constitutionnel ») s’attaque à la tâche périlleuse de reconstruire en moins de 50 pages l’ensemble de ce projet politique, moderne et républicain qu’est la théorie de l’identité collective promue par le patriotisme constitutionnel. En premier lieu, l’arrière-plan théorique de cette théorie est mis en place : un survol bref mais assez juste du rapport de J. Habermas à la théorie de l’action, à l’École de Francfort et à la philosophie analytique du langage (p. 71-82) prépare l’exposition des grandes lignes des théories de l’agir communicationnel et de la modernisation (p. 82-99). Les lecteurs familiers avec ces thématiques y retrouveront les points de repère classiques de la pensée habermassienne, mais ils pourront déplorer le manque d’insistance sur l’éthique de la discussion, pourtant centrale chez J. Habermas au cours des années 1980. On notera cependant une certaine démesure dans l’ambition déclarée de ce chapitre, soit celle de « parcourir patiemment la Théorie de l’agir communicationnel, Droit et démocratie et L’intégration républicaine, ainsi que les lettres polémiques de la période de l’Historikerstreit et de la réunification allemande » (p. 70). F.-G. Dufour réussit toutefois à montrer très clairement que l’identité collective est pensée, dans ces ouvrages, comme étant consciente et réfléchie, reliée à des principes universalisables, distincte des traditions culturelles et susceptible de modifications au cours de l’histoire. Les trois dernières sections de ce chapitre abordent le coeur de la théorie du patriotisme constitutionnel en traitant de l’État de droit, du pouvoir législatif et de l’État-nation. Après avoir rappelé quelques thèses fondamentales de Droit …
Patriotisme constitutionnel et nationalisme. Sur Jürgen Habermas, Frédérick-Guillaume Dufour, Montréal, Éditions Liber, 2001, 230 p. [Notice]
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Denis Dumas
Université d’Ottawa