Recensions

John Locke et les fondements de la liberté moderne, de Jean-Fabien Spitz, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, 335 p.[Notice]

  • Bernard Gagnon

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  • Bernard Gagnon
    Institut d’Études Politiques de Bordeaux

En France, Jean-Fabien Spitz est considéré comme l’un des spécialistes de la pensée politique anglo-saxonne. Ses travaux s’inscrivent dans la tradition historique de Quentin Skinner et accordent un rôle essentiel à l’histoire des idées dans la compréhension de la modernité politique. Son interprétation de Locke ne fait pas exception. Le livre ne porte pas uniquement sur l’auteur des Deux traités du gouvernement civil, mais, plus largement, il reconstitue la genèse d’une pensée constitutionnelle comprise comme la source véritable de la liberté moderne. Dans ce livre, J.-F. Spitz défend la thèse que Locke est avant tout un penseur constitutionnaliste, car il a su conserver l’idée, à l’origine classique et médiévale, d’une communauté morale indépendante de l’institution politique. La pensée politique de Locke n’aurait pas, en ce sens, comme finalité la défense des intérêts et des biens individuels, mais la préservation d’une liberté individuelle qui trouve ses fondements dans l’obéissance à la loi. Cette thèse rejoint, de façon plus générale, l’interprétation sous-jacente de J.-F. Spitz sur la modernité : la liberté moderne trouve sa source dans une conception d’une loi naturelle ou dans un accès rationnel à un ordre objectif et universel de justice. D’où le souci de Locke de « chercher les moyens de préserver l’idée que le règne de la loi est la seule voie de la liberté » et de conserver « une norme de justice indépendante de la volonté dans un contexte où, cependant, l’individualisme semble nous orienter vers la toute puissance de la passionnalité humaine et nous indiquer que l’accord sur le droit ne peut être qu’un artifice s’imposant par les voies de la puissance et de la volonté » (p. 13). La dimension plus polémique du livre est sans doute la charge de l’auteur à l’encontre de toute interprétation du droit et de la liberté en termes de volonté. À suivre son propos, cela ne pourrait conduire qu’à l’imposition d’un individualisme calculateur et au règne de l’arbitraire que ce soit celui d’un seul (le Léviathan) ou de tous (la volonté générale). Sans le dire explicitement, cette charge vise aussi le procéduralisme et le démocratisme ambiants dans les conceptions éthiques contemporaines. J.-F. Spitz veut ainsi offrir une autre lecture de la modernité politique. Selon cette interprétation, il y a davantage de continuité que de rupture dans le passage de l’état de nature à la société civile, et le pouvoir politique trouve ses limites dans des normes objectives qu’il ne produit pas. Pour l’existence d’une pensée constitutionnelle, deux idées doivent être conservées: une communauté naturelle antérieure au pouvoir politique et l’accès à une norme objective et universelle. Les premiers chapitres s’intéressent plus spécifiquement aux interprétations des idées constitutionnelles que l’on retrouve chez Francisco Suàrez, Georges Lawson, Samuel Rutherford et Philip Hunton. Ces auteurs sont rarement étudiés dans la littérature francophone, et J.-F. Spitz offre à leur sujet un solide travail d’interprétation. On retiendra de cette lecture que l’idée médiévale d’une distance entre le peuple et le gouvernement, qui prit forme dans les débats théologico-politiques entourant la question de l’obéissance et des devoirs envers le prince, a joué un rôle clé dans la formation d’une pensée constitutionnelle. D’où cette autre thèse de J.-F. Spitz d’une continuité entre les pensées politiques médiévale et moderne. Les premiers constitutionnalistes ont repris l’idée que le peuple est d’essence naturelle et que son existence peut être comprise comme antérieure au pouvoir politique. C’est cette distinction qui fut, par la suite, au coeur des discussions concernant la légitimité et le rôle de l’institution politique au sein du constitutionnalisme. Car le peuple, communauté morale réelle, ne cherche pas par le contrat à s’instaurer lui-même comme …