Recensions

Qu’est-ce qu’être citoyen ? Propos de philosophie politique, de Jean-William Lapierre, Paris, Presses universitaires de France, 2001, 245 p.[Notice]

  • Chedly Belkhodja

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  • Chedly Belkhodja
    Université de Moncton

Série de lettres rédigées par un homme « sage » qui s’adresse à ses treize petits-enfants et aux nouvelles générations du xxie siècle, cet ouvrage nous invite à réfléchir à la responsabilité de la citoyenneté dans le siècle émergent. Comme l’indique l’auteur : « Ce que vous allez lire, c’est en quelque sorte mon testament. À vous de juger et d’en faire ce que vous voudrez » (p. 229). Écrit sobrement, ce livre pose une question fort simple : comment penser la communauté politique à une époque où la place du citoyen paraît évacuée au profit des langages de l’économique et de l’identitaire ? Jean-William Lapierre en appelle à la pensée libre contre « la pensée dominante de maintenant : l’économisme ». À première vue, la lecture peut paraître limitée. L’auteur passe en revue de façon bien mécanique les grandes leçons bien connues à propos de la sociabilité humaine, du passage de l’état de nature à l’état de société ou de la classification des régimes politiques. La démarche est la même dans tous les chapitres : l’auteur part de l’anthropologie, va à l’histoire et conclut par des considérations plus actuelles. Cependant, il faut reconnaître que la pensée de l’auteur est fidèle à l’héritage humaniste d’Emmanuel Mounier et des fondateurs de la revue Esprit. Le lecteur qui accepte de parcourir ces pages est encouragé à (re) devenir citoyen, comme si l’Homme avait perdu cette qualité. La première lettre pose la question des fondements du pouvoir politique. Il y aurait une sociabilité naturelle de l’être humain, qui est amené à donner un sens au fait de vivre en communauté. J.-W. Lapierre passe en revue l’histoire du mythe, qui « fait comprendre que les hommes ne sont pas des dieux et ne peuvent pas établir un ordre social parfait » (p. 30). Toute société politique, primitive ou moderne, se fonde sur un sens partagé, sur une représentation d’un commencement légitime. À chaque fois, il est fait appel à des notions comme la sécurité, le droit de propriété ou le bien commun. Dans nos sociétés hyper-modernes, J.-W. Lapierre relève l’absence de sens. Où se trouve le sens d’aujourd’hui ? Est-il construit autour de mythes comme la performance ou la croissance ? Est-il logé dans le mythe de l’éclatement post-moderne ? Pour l’auteur, la recherche de sens devient alors un devoir civique. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel sens : il faut le formuler autour des notions comme le bien commun et le ré-enchantement du politique, auprès des jeunes surtout. De grands chantiers démocratiques sont à mettre en oeuvre. La renaissance du politique doit nous mener à une forme de refus du raisonnable et du rationnel qui, selon l’auteur, brime les forces de l’imaginaire. Selon J.-W. Lapierre, les sociétés modernes ont utilisé les grands mythes de la nation et du peuple dans le but de légitimer le pouvoir politique mais ont par là creusé un écart entre le pouvoir et les populations. Par conséquent, ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est l’imaginaire. Où sont les poètes créateurs du xxie siècle ? La seconde lettre nous présente les nouvelles problématiques de notre époque et leurs conséquences diverses sur les sociétés politiques contemporaines. Les mutations du territoire bouleversent la tâche de l’État ; les frontières sont plus souples, les populations et les biens circulent librement. Il y a des changements démographiques considérables et des modifications sont apportées au milieu naturel. La misère du monde ne fait que croître en raison du marché. Il faut poser la question : par quel moyen pouvons-nous réagir à la pénétration du consumérisme dans nos vies ? …