Une telle mise en contexte de l’ouvrage est importante pour comprendre la dimension politique des analyses sur l’américanité qui nous sont présentées. Pendant que des milliers d’acteurs de la société civile nord-américaine sortaient dans la rue pour dénoncer le projet néolibéral de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), les intellectuels de l’américanité québécoise se réunissaient, non pas pour tenter de saisir, à travers le discours parfois contradictoire des militants, le sens de leur protestation, mais pour donner « une dimension plus large de partage identitaire » à la question de l’intégration continentale (p. 3). Des dix contributions réunies, une seule, celle du Mexicain Isidro Morales — le seul intellectuel de l’Amérique latine du collectif — posera la question du mouvement social anti-américanisation. Le recueil est divisé en trois grandes sections. Une première vise à présenter les prémisses théoriques de l’américanité. Une deuxième inscrit la réflexion sur l’américanité dans le cadre de l’intégration économique continentale. Une troisième, enfin, s’intéresse à la dimension identitaire de l’américanité. Les deux dernières sections sont plus empiriques et reposent largement sur les résultats des enquêtes menées par le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les Amériques (GIRA), qui vise à faire de l’américanité un cadre de recherche comparatif et continental. Cette adhésion à l’américanité, comme cadre d’analyse, donne à ce recueil de textes une cohérence à laquelle bien peu de collectifs peuvent prétendre. L’américanité et les Amériques fera changer d’idée ceux qui doutaient de l’existence au Québec d’une pensée forte de l’américanité, d’une volonté de couler l’interprétation et le devenir du Québec dans le grand dessein de la civilité américaine. On aurait pu appeler ce livre L’américanité sans fard, tant l’adhésion aux valeurs et au modèle de la civilité américaine y est présentée avec un réalisme désarmant, un enthousiasme naïf. Cela est particulièrement vrai dans la première section de l’ouvrage, plus analytique. Le texte de Jean-François Côté, « L’identification américaine au Québec : de processus en résultats », y développe la thèse la plus forte et la plus argumentée sur l’américanité comme processus sociologique. L’américanité, rappelle J.-F. Côté est « l’adhésion à la civilité nord-américaine de la nation québécoise ». Cette civilité n’est rien d’autre par ailleurs qu’une « civilité impériale », la civilité corporatiste du capitalisme transnational, dont les États-Unis ne furent que l’avant-garde éclairée. Première société neuve à délier les individus des appartenances traditionnelles et à créer l’homme moderne ; première société neuve à soumettre la nation ethnique aux principes de reconnaissance juridiques de plus en en plus universels de la nation civique ; première société neuve à voir se déployer, sans contrainte, le corporatisme capitaliste transnational, les États-Unis furent le berceau de l’américanité… encore que celle-ci ne saurait s’y réduire. L’américanité est en effet « un mouvement universel qui échappe déjà en partie aux États-Unis ». C’est pour s’être « habilement glissée dans les habits de la civilité impériale issue du modèle étatsunien » que l’américanité témoignerait réellement du processus en cours au Québec. Patrick Imbert confirme aussi cette idée de l’Amérique étatsunienne comme microcosme d’une socialité radicalement nouvelle qui ouvre « une brèche où l’individu prend désormais son essor dans le cadre d’une responsabilité personnelle ». Empruntant à Adolphe David Routhier, tout en en inversant le sens, l’image des États-Unis comme hôtel plutôt que comme patrie, P. Imbert exalte la postmodernité précoce de l’hôtel Amérique qu’il oppose à la patrie particularisante des Canadiens français. C’est pourquoi il peut conclure « que l’américanité, même travaillée par l’américanisation, est en bonne voie ». Plus timorée est l’analyse de Donald Cuccioleta qui conçoit l’américanité, à partir de l’expérience démocratique étatsunienne, comme partage continental …
L’américanité et les Amériques, sous la direction de Donald Cuccioletta, Sainte-Foy (Qué.), Les éditions de l’IQRC/Presses de l’Université Laval, 2001, 246 p.[Notice]
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Joseph-Yvon Thériault
Université d’Ottawa