Résumés
Résumé
Dans cet article, nous allons explorer le rôle de la répétition dans la transformation du rapport à la réalité. L’hypothèse qui nous guidera est que la répétition, conçue comme une figure du plus vaste phénomène du flux, introduit des ruptures perceptives et des transformations dans la construction de l’expérience catégorielle et phénoménale. Ces changements peuvent aboutir à une mise entre parenthèses, voire à une redéfinition plus radicale, des modes perceptifs de l’individu et de sa relation avec la réalité. La définition de cette dernière se trouve pour le moins problématisée.
Abstract
This paper explores the role of repetition in the transformation of one’s relationship with reality. Our hypothesis is that repetition, conceived as a trope of the broader phenomenon of flux, introduces some perceptive alterations and some transformations in the construction of the experience of categories and phenomena. These changes can lead to a rethinking, or even to a more dramatic redefinition, of the individual’s perceptive modes and of one’s relationship with reality. In any case, the definition of reality is put under scrutiny and significantly modified.
Corps de l’article
Dans cet article, nous allons explorer le rôle de la répétition dans la transformation du rapport à la réalité. L’hypothèse qui va nous guider est que la répétition, conçue comme une figure du plus vaste phénomène du flux, introduit des ruptures perceptives et des transformations dans la construction de l’expérience catégorielle et phénoménale. Ces changements peuvent aboutir à une mise entre parenthèses, voire à une redéfinition plus radicale, des modes perceptifs de l’individu et de sa relation avec la réalité. La définition de cette dernière se trouve pour le moins problématisée.
Cette problématisation de la notion traditionnelle de réalité est intéressante non pas tant dans une perspective étroitement relativiste, mais dans une vision qui permettrait de casser la dualité et la hiérarchisation traditionnelle du couple réalité/non-réalité et d’envisager la réalité (R1) dans une suite de plans de réalités (R2, R3, Rn…), de mondes possibles dont R1 ne représenterait qu’une version, même si particulièrement prégnante et contraignante dans un certain contexte, pour certains acteurs et pour certains usages. Il ne s’agit donc pas de verser dans une posture postmoderniste un peu facile, et sans doute datée, visant à nier à la réalité son statut ontologique et à la dissoudre dans la subjectivité relativiste des perceptions et des contextes culturels. Il sera plutôt question de reconnaître les modes de constitution de la réalité pour montrer comment, en introduisant des perturbations au sein de ces modes de constitution, dont la répétition fait partie, on peut générer d’autres plans de réalité, que nous appelons mondes possibles.
Dans le cadre de cet article, nous développerons notre argumentation en trois points. Dans un premier temps, nous allons rappeler combien la notion de réalité est liée à une logique catégorielle et conceptuelle qui est au coeur de la tradition intellectuelle moderne. Nous nous attarderons en particulier sur le rôle de la dimension temporelle dans l’objectivation et dans la structuration de la notion de réalité. Ce bref rappel va nous permettre, dans un deuxième moment, de montrer comment, depuis la seconde moitié du siècle dernier, les langages expressifs et les pratiques sociales se sont emparés de la répétition pour remettre en discussion la conception de la réalité qui a dominé la culture occidentale depuis le xviie siècle. Nous allons tout particulièrement évoquer des exemples issus des domaines de la peinture et de l’écriture médiatique. Nous pourrons alors conclure en montrant comment la généralisation de la répétition, comme forme signifiante et comme dimension expressive, a contribué à remettre en question la vision d’une réalité univoque et à ouvrir la possibilité d’une multiplicité de plans de réalité.
En effet, la réalité est assez jeune. Si l’on veut identifier une date, c’est dans la deuxième moitié du xviie siècle que l’on peut situer sa naissance. Le principal accoucheur de cette nouvelle venue sur la scène philosophique et culturelle est l’esprit scientifique qui commence à se diffuser en Europe occidentale à cette époque. L’observation des phénomènes naturels, la démarche expérimentale, les premières avancées technologiques s’imposent toutes en l’espace d’une cinquantaine d’années. La Royal Society est fondée en 1660, son équivalent français en 1699, et Newton publie le texte qui contient la théorie de la gravitation universelle en 1686. Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est aussi à cette époque que se produit une modification majeure dans l’ordre géopolitique mondial, avec le déclin rapide des empires coloniaux « low-tech » espagnol et portugais et l’essor des ambitions coloniales françaises et britanniques. Le nouvel esprit scientifique qui souffle sur une partie de l’Europe est aussi alimenté par des besoins importants en équipement (infrastructures, routes, ports, bateaux), en nouvelles technologies (énergie, télécommunications, armements) et en organisation (logistique, commerce, administration). La conquête et la gestion de vastes empires coloniaux n’auraient pas été envisageables sans un savoir-faire militaire, administratif, industriel et agricole d’une nouvelle nature et à une nouvelle échelle. Cette phase (à cheval entre les xviie et xviiie siècles) aura un rôle crucial dans la préparation de la Révolution industrielle et technologique qui prendra son essor au cours du xviiie siècle et qui imposera définitivement la démarche scientifique, la culture positiviste et la notion de réalité qui lui est inhérente.
C’est à l’intérieur de ce cadre et de ces transformations qu’il faut lire la nouvelle structuration et l’objectivation progressive des catégories cognitives qui depuis toujours structurent la relation à la réalité dans la pensée occidentale : l’espace et le temps. Pour ne nous focaliser que sur ce dernier, soulignons que c’est à cette époque que la catégorie du temps entreprend trois transformations majeures, pertinentes pour notre argument : son objectivation, sa quantification et son inscription dans une logique diégétique.
L’objectivation du temps implique sa formalisation, sa séparation des vécus subjectifs et personnels, sa séparation aussi des phénomènes naturels, comme la durée du jour ou le cycle des saisons, sa définition et sa codification, par exemple dans le fait d’associer une durée précise à une activité donnée. La quantification du temps est rendue possible par la généralisation et la sophistication croissante des outils de mesure, qui permettent non seulement d’objectiver la durée, mais de la segmenter, de la découper en unités précises et universelles. Enfin, l’historicisation du temps revêt une importance particulière pour notre raisonnement, car elle implique une conception du temps unique et sans possibilité de répétition. Le temps se meut comme une flèche, dans un déroulement orienté vers l’avant et qui ne conçoit de retour en arrière que comme régression ou déclin. C’est le temps de l’évolution, le temps du progrès, le temps des innovations, qui ne se conçoit que comme succession d’instants uniques et non répétables, comme progression incessante et orientée, comme déroulement et accumulation.
C’est cette notion de temporalité qui a structuré, depuis trois siècles, la culture occidentale et la perception du temps tout court pour les individus qui vivent à l’intérieur de cette culture. En raison de son enracinement et de son « universalité », en raison aussi de sa centralité dans les modes de vie et de pensée de la culture occidentale (la science, la technologie, les transports, le travail, l’école), cette notion de temporalité a contribué aussi inévitablement à définir les coordonnées cognitives et expérientielles de ce qu’est la « réalité ». Toute forme d’expérience du monde, qui se situe en dehors de ces coordonnées et de cette vision temporelle, apparaît comme une forme de réalité brouillée, affaiblie, fantaisiste, subjective, inutile, voire carrément asociale. La coutume ancienne d’offrir une montre aux enfants au moment de leur confirmation (pour les catholiques) marquait ce passage d’une temporalité enfantine, subjective et encore malléable, à une temporalité adulte, structurée, objectivée et mesurable. On peut dire en synthèse que le temps quantifiable, segmenté, désolidarisé de ses sources énonciatives ou contextuelles est le temps de la réalité moderne ; il a joué un rôle important dans sa construction, dans la définition des paramètres de factualité, objectivité, formalisation de ce que nous entendons par réalité.
Or, la répétition introduit une perturbation importante dans l’échafaudage conceptuel de la réalité moderne. Elle remet en discussion la vision linéaire et progressive du déroulement temporel et elle met en échec le primat de l’unicité. Si un événement peut être répété, si la notion de procès linéaire peut être infléchie par des boucles récursives, c’est alors toute une vision du sujet et de la réalité, toute une classification de ce qui est réel et non réel qui s’en trouvent perturbées, voire délégitimées.
Pour montrer les effets puissants de la répétition sur notre manière de percevoir et de définir notre environnement réel, nous allons évoquer deux exemples : l’un tiré de l’écriture audiovisuelle et l’autre, du langage artistique. Dans la sphère des médias, le développement des chaînes télévisuelles et des stations radiophoniques d’information en continu fournit un très bon exemple de l’effet d’irréalité introduit par la répétition[1]. Cet effet d’irréalité est particulièrement puissant et évident dans le contexte de l’information, mais il peut être identifié dans bien d’autres genres médiatiques. Toute séquence d’information passée en boucle pendant plusieurs heures sur une chaîne télé, par exemple les images d’un attentat, d’une manifestation réprimée par la police ou la déclaration d’une personne politique, génère, du fait même de sa répétition, trois effets majeurs.
En premier lieu, la répétition d’un événement engendre un effet hypnotique. Cette force hypnotique est inhérente à toute forme répétitive ; il suffit de penser aux musiques, chants et litanies qui facilitent la transe des fidèles et le contact avec l’au-delà dans de très nombreux rites et pratiques religieuses. Mais, dans le cadre de l’information médiatique, elle acquiert une signification toute particulière. Revoir indéfiniment la même séquence finit par vider de son sens le contenu des images et par le transformer en pure gestalt, en séquence de couleurs et de formes disposée régulièrement selon une succession mémorisée. Après plusieurs observations, on continue à voir la séquence sans réellement l’observer. Le regard se contente d’enregistrer un écoulement qui semble familier et qui, en tant que tel, n’exige plus la mobilisation de l’attention ni des opérations de cognition active. L’effet hypnotique de la répétition vient justement de cette neutralisation de l’attention cognitive et de la vigilance perceptive. La répétition engendre un effet de familiarité qui ne repose nullement sur une réelle connaissance de ce qui est montré, mais sur la simple empreinte cognitive. Comme si le fait d’apprendre par coeur une poésie dispensait d’analyser, de comprendre et de s’approprier son sens.
Un deuxième aspect de la répétition concerne l’effet d’irréalité qu’elle suscite. On est au coeur ici des conventions culturelles, cognitives et médiatiques qui fondent notre rapport conventionnel avec la réalité. En tant que genre télévisuel en prise avec les événements saisis dans leur déroulement temporel (l’actualité), l’information est censée nous fournir des éléments toujours uniques, changeants et renouvelés. En principe, donc, un événement n’est pas censé se répéter, quitte à abdiquer son statut même d’événement. Cette idée de l’unicité non répétable de l’événement est inscrite au coeur même de la notion d’information journalistique. Les termes « nouvelles » et « news » montrent d’ailleurs clairement l’importance donnée au fait nouveau, à l’information qui « vient de tomber ». L’impossibilité de répéter une nouvelle, avant l’apparition de l’information en continu, est issue directement de la convention implicite qui sous-tend le genre informatif et sa relation avec la réalité. D’après cette convention, l’information parle du réel et celui-ci, pour les raisons que nous avons exposées dans la première partie de cet article, est en perpétuelle évolution. Il est donc impossible de montrer deux fois un événement identique parce que, saisi à deux moments différents de son déroulement, il ne peut être le même.
Nous en arrivons ainsi à la troisième propriété de la répétition, c’est-à-dire son pouvoir fictionnel. Selon les conventions de genre médiatique, la répétition est habituellement associée à la fiction, précisément parce que celle-ci est exempte de toute relation directe avec le réel. La fiction vit une existence temporellement autonome et ne craint nullement d’être revisitée indéfiniment. Rediffuser un film ou une série ne pose pas les mêmes problèmes de « lèse réalité » que rediffuser le journal de 20 heures. En d’autres termes, le fait de répéter une information de manière identique viole l’une des conventions de genre constitutives du pouvoir de réalité de l’information et pousse cette dernière vers l’irréalité de la fiction. Revoir plusieurs fois le même segment d’information finit par assimiler celui-ci à une séquence de film et par le rendre radicalement distinct du réel que le fragment aurait dû, en théorie, se limiter à reproduire.
L’univers de l’art nous fournit un autre exemple d’utilisation de la répétition comme outil de déverrouillage de l’opposition/hiérarchisation entre réalité et non-réalité ou fiction. Toute l’histoire de la peinture moderne peut être lue comme une remise en question, un éloignement, un bras de fer avec la notion de représentation et de réalisme. Depuis au moins les impressionnistes et jusqu’à Picasso, la peinture n’a eu de cesse, en essayant de dépasser le réalisme naturaliste et figuratif, d’explorer d’autres manières de représenter le monde. Cette exploration arrive à son point d’incandescence vers la moitié du xxe siècle. Avec Klee, Kandinsky et jusqu’à Mondrian, Pollock, De Kooning et Rothko, le langage pictural atteint une sorte de point de non-retour dans le dynamitage de la figuration réaliste. Mais, à partir des années 1960, le pop art et plus particulièrement Andy Warhol s’attaquent à la référence réaliste sous un angle différent, en utilisant notamment le procédé de la répétition. Si elles ne pratiquent pas un réalisme naturaliste, les séries de portraits de Warhol ne remettent pas radicalement en question la dimension référentielle des personnages. Marylin, le Che, Anne Bancroft sont clairement reconnaissables. L’utilisation de couleurs crues, les procédés de solarisation et de sérigraphie n’empêchent nullement de reconnaître les identités des sujets.
Mais ce qui rend ces portraits si particuliers et si importants est leur double dimension répétitive. D’une part, la répétition du sujet, dont le visage peut être reproduit de deux à vingt fois et, d’autre part, la possibilité de répétition du tableau lui-même, rendue possible par le procédé de la sérigraphie. En conjuguant portrait et répétition, Warhol attaque un autre présupposé culturel et cognitif très enraciné dans la tradition artistique et dans la culture occidentale, celui de l’unicité de l’identité du sujet et de l’oeuvre d’art. La répétition du visage d’un même sujet permet de faire émerger la dimension fictionnelle et complexe de l’identité individuelle, tout comme la répétition de la même information permet d’interroger le statut de la réalité et sa relation avec la fiction. Depuis la Renaissance, la modernité a fait progressivement apparaître la notion d’individualité et de subjectivité et le langage artistique a codifié cette notion dans le genre du portrait. La répétition remet en cause le lien entre identité et individu et, par-delà la question de l’identité, interroge la relation entre individualité et subjectivité. Les portraits de Warhol n’essaient nullement de montrer le caractère, la personnalité, l’humanité de ses personnages. Au contraire, ils séparent le personnage de la personne. Dans une démarche qui n’est pas sans rappeler, mutatis mutandis, les analyses de Kantorowicz, ces portraits montrent des identités multiples et publiques, celles de la célébrité et de l’iconicité médiatique qui, dans ses multiples diffractions et logiques de circulation, de réception et d’appropriation, n’appartiennent plus au sujet et, surtout, ne renvoient plus à aucune forme de subjectivité.
Ces exemples nous montrent à la fois la présence de la répétition dans les langages postmodernes et sa force éversive par rapport aux coordonnées cognitives et culturelles de la modernité : le temps, l’identité, la réalité. Dans cette dernière partie, nous allons donc montrer comment la répétition, ayant contribué à affaiblir l’emprise de l’étau réaliste, aide à repenser la réalité dans une perspective multiple, comme superposition de plans en continuité entre eux, plutôt que comme logique binaire et oppositionnelle. En effet, la corrosion de l’idée d’une réalité unique et forte et sa perte d’un statut privilégié ont légitimé une conception plus ouverte, moins référentialiste et plus narrative et symbolique de l’espace social.
La répétition a permis de montrer que le temps, les acteurs, les identités peuvent obéir, dans leur constitution et dans leur fonctionnement, à des logiques ouvertes sur la multiplicité, sur le principe de contradiction, sur la médiatisation, sur la virtualité et sur l’imagination. La répétition est un instrument qui a aidé à montrer que ce que nous percevons comme réalité est bien réel, mais n’est pas univoque. Il ne s’agit donc pas ici d’invoquer un constructivisme postmoderniste radical (et paradoxalement néoplatonicien) qui ne verrait dans la réalité rien d’autre qu’une illusion parmi d’autres. Il s’agit plutôt de concevoir la réalité comme une orientation, comme un projet de sens, comme une stabilisation, provisoire et toujours sujette à évolution et à renégociation, entre différentes options, qui acquièrent leur pertinence et leur force référentialiste dans un contexte social et temporel donné. Le statut de réalité de certains phénomènes par rapport à d’autres se négocie et se définit au sein d’une arène sémiotique. À l’intérieur de cette arène, des discours différents se rencontrent et entrent en conflit pour acquérir une légitimité et un pouvoir de définition de portions, aussi grandes que possible, de l’espace social. Il s’agit, en dernière instance, de dominer le pouvoir de référence, c’est-à-dire de contrôler la détermination du plan de réalité qui fixe les critères de l’objectivité sociale.
La notion de répétition nous aide donc à penser la réalité comme monde possible. Possible au double titre de « pouvant exister » et de « possibilité parmi d’autres ». Un monde possible est bel et bien un monde, avec sa capacité d’établir une logique de référence et une détermination du réel. Mais il est possible dans la mesure où son apparition et son affirmation se sont faites dans un contexte de négociation et de conflit avec d’autres possibilités, au sein de l’arène sémiotique évoquée plus haut. Dire que nous vivons et agissons dans le cadre d’un monde possible (ou de plusieurs mondes possibles simultanément) ne signifie nullement que nous vivons dans le rêve, la fantaisie ou la fiction. C’est seulement dans la vision dualiste réel/non-réel, propre à la modernité, que tout ce qui ne possède pas le statut de réel est refoulé vers l’impression, la subjectivité, l’illusion, l’imagination enfantine.
La notion de monde possible vise précisément à contourner ce dualisme rigide et bien peu utile pour analyser le fonctionnement de l’espace social contemporain. Elle permet de considérer la circulation discursive, l’imagination individuelle, les mouvements sociaux comme autant de forces instituantes de la réalité et non pas comme des forces agissant à l’intérieur d’un cadre réaliste donné. La notion de monde possible aide à mieux rendre compte de l’expérience de l’individu postmoderne qui, bien que toujours limité par un cadre réaliste, est également poussé par une énergie qui lui permet de renégocier ces contraintes au sein d’un horizon de possibilités multiples.
D’où vient cette énergie ? Comment peut-elle générer une telle force instituante ? Nous ne pouvons ici que rappeler brièvement, sur la base des travaux d’Appadurai, Castells et des théoriciens de l’expérience postmoderne, quelques sources de cette énergie.
En premier lieu, l’imagination, conçue comme force qui permet de ne pas concevoir la réalité comme une donnée externe, mais comme un cadre négociable, dont le sujet est partie prenante et non une simple composante figée.
Deuxièmement, la communication, conçue comme la lymphe qui permet de nourrir et fluidifier l’espace social et comme le flux des contenus qui donne substance à l’imagination et corps aux projets issus de celle-ci.
Puis la virtualisation, qui permet de s’affranchir d’une vision trop référentielle de la réalité et qui permet de penser plus facilement des mondes possibles alternatifs.
Quatrièmement, les réseaux, qui représentent les structures chargées de faire circuler les trois autres sources énergétiques (imagination, communication, virtualisation).
Enfin, la mobilité, conçue comme le mode de flexibilisation et de mise en contact, à la fois dans une sphère physique (mobilité des êtres) et virtuelle (mobilité des idées).
Dans cette dernière partie, nous nous sommes progressivement éloignés de la notion de répétition stricto sensu. Mais il ne faudrait pas perdre de vue le rôle important que joue la répétition dans le processus que nous avons essayé de décrire. L’adoption de la forme de la répétition de la part des langages artistiques et médiatiques, dans la deuxième moitié du xxe siècle, a permis de desserrer le dualisme rigide entre réalité et non-réalité. En montrant son pouvoir fictionnel et sa force hypnotique, la répétition a permis d’ouvrir une « voie d’imaginaire » dans le bateau de la modernité et a aidé, puissamment, à reconceptualiser l’expérience de l’individu contemporain en termes de plans de réalité superposés, en mondes possibles.
Parties annexes
Note biographique
Andrea Semprini
Andrea Semprini est professeur de communication à l’Université de Lyon 2. Parmi ses ouvrages récents : La Société de flux (L’Harmattan, 2003) ; Analyser la communication II (L’Harmattan, 2005) ; La Marque, puissance fragile (Vuibert, 2007).
Note
-
[1]
Je reprends ici une analyse proposée dans Semprini (1997).
Références bibliographiques
- Appadurai, A. [1996] : Modernity at Large, Minneapolis, University of Minnesota Press.
- Bryson, B. (dir.) [2010] : Seeing Further: The Story of Science and the Royal Society: 350 Years of the Royal Society and Scientific Endeavour, Londres, Harper Press.
- Castells, M. [1996] : The Information Age. The Rise of The Network Society, Malden (Mass.), Blackwell.
- Danto, A. [2009] : Andy Warhol, New Haven, Yale Press.
- Gusfield, J. [1981] : The Culture of Public Problems, Chicago, Chicago University Press.
- Kantorowicz, E. [1957] : The King’s Two Bodies, Princeton, Princeton University Press.
- Lash, S. [1999] : Another Modernity, a Different Rationality, Oxford, Blackwell.
- Semprini, A. [1997] : L’Information en continu, Paris, INA/Nathan ;
- Semprini, A. [2000] : CNN et la Mondialisation de l’imaginaire, Paris, Éd. du CNRS ;
- Semprini, A. [2003] : La Société de flux, Paris, L’Harmattan.
- Sue, R. [1994] : Temps et Ordre social. Sociologie des temps sociaux, Paris, PUF.
- Zerubavel, E. [1997] : Social Mindscapes, An Invitation to Cognitive Sociology, Cambridge (Mass.), Harvard University Press.