Le Groupe µ est actif depuis plus de quarante ans. Formé à Liège, il s’est fait connaître par trois ouvrages majeurs, Rhétorique générale (1970), Rhétorique de la poésie (1977) et Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l’image (1992). Ces trois oeuvres ont chacune contribué à la renommée internationale du Groupe, l’instaurant comme un acteur de premier plan dans le débat d’idées en rhétorique et en sémiotique. C’est à rendre compte de ce débat et de la place prépondérante que les travaux du Groupe µ y occupent que se consacre le présent dossier. Les jalons que constituent les ouvrages du Groupe µ montrent au sein du projet théorique une inflexion qu’il est intéressant de remettre en question. À l’articulation d’un modèle, celui d’une rhétorique fondamentale, vers des domaines d’applications, vient se surajouter une seconde articulation, qui apparaît aussi nécessaire que la première, celle de ce modèle avec le programme théorique de la sémiotique. D’où la possibilité d’un double, sinon triple, questionnement sur chacune de ces articulations ainsi que sur leur interaction. Le premier examen, le plus attendu, concerne donc l’application d’un modèle théorique général à des domaines empiriques particuliers. Il ne fait pas de doute que ce que la modélisation présentée dans Rhétorique générale doit à la linguistique et à son objet naturel (les langues) demande à être adapté lorsque sont envisagées d’autres régions de la semiosis, telles que l’image publicitaire, la peinture, le cinéma ou la musique. Un terme aussi central dans ce modèle que celui de figure est ainsi configuré différemment selon les substances d’expression auxquelles on l’assigne. En retour, sa conception théorique est réévaluée, élargie et enrichie à chaque application nouvelle. Quelles sont les causes précises de ces réévaluations ? Comment ont-elles infléchi le projet même d’une rhétorique générale ? Telles sont les questions qu’abordent les contributions de Jean-François Bordron et de Nicolas Meeùs et Jean-Pierre Bartoli. L’article de Bordron, intitulé « Rhétorique et économie des images », s’interroge en fait sur la rhétorique en tant que méréologie et plus précisément en tant que « gestuelle opérant sur des totalités et des parties ». Cette approche permet de comprendre comment demeure toujours sous-jacente à des sémiotiques particulières la même question de composition et de formes de liaison plus ou moins grammaticales d’unités et de traits – que ceux-ci se présentent sous forme d’arguments verbaux ou de couleurs. En suivant ce point de vue, Bordron indique la manière dont l’analyse des images peut apporter des réponses à des questions sémiotiques de portée générale sur la perception, l’iconicité et la prédication. L’article de Meeùs et Bartoli, « Sémiotique et rhétorique musicales : la Fantaisie en ré mineur de Mozart », se consacre à la question du rapport entre la rhétorique générale et une rhétorique particulière, en l’occurrence musicale. En considérant la musique comme un langage doté d’une morphologie et d’une syntaxe, les auteurs profitent de la théorie psychologique de la Gestalt, à la base de la sémiotique visuelle du Groupe µ, pour démontrer comment la musique joue sur des isotopies et des allotopies rythmiques construisant des effets pathémiques particuliers analysables. Le deuxième examen que suscite le parcours de pensée du Groupe µ met en lumière le lien existant entre la rhétorique et la sémiotique. Ce lien n’a cessé en effet de se fortifier, en multipliant les fils qui le composent. Une rhétorique, pour être fondamentale, doit atteindre un niveau d’abstraction proche de celui réalisé par les théoriciens fondateurs de la sémiotique, Peirce et Hjelmslev notamment. Et une rhétorique ne peut se dire véritablement générale qu’à la condition d’envisager des domaines d’application aussi variés que le sont …