Ce dossier porte sur le titre des oeuvres littéraires, musicales et visuelles et regroupe les réflexions de six chercheurs spécialisés dans des sphères de création différentes. C’est le propre de l’interdisciplinarité de rassembler divers champs d’analyse au sein d’une même visée épistémologique et de surmonter l’apparente incompatibilité des assises théoriques et des méthodes forcément échafaudées sur les caractéristiques particulières des corpus d’étude. S’il n’y a pas de méthode unifiée et éprouvée qui conviendrait à l’étude des titres dans toutes les disciplines, des hypothèses fort éloquentes et convaincantes issues de la linguistique, de la sémiotique littéraire et de la philosophie peuvent être prudemment adaptées à des disciplines connexes, dont les arts visuels et musicaux, où les oeuvres ne furent que très rarement abordées sous l’angle de leur rapport à l’intitulé. Mais les recherches récentes dans ces domaines ne peuvent, à leur tour, que « contaminer » la sémiotique qui sait s’accommoder et s’enrichir de la mobilité transversale de nouveaux postulats, dont ceux des auteurs qui ont participé à ce dossier. Commençons par un retour à l’origine du mot « titre » (du latin titulus, marque, inscription) et à son utilisation à travers l’histoire pour tenter d’en retenir un concept, sinon unificateur, du moins directeur. Dans l’Antiquité romaine, le terme titulus est déjà étonnamment polyvalent et peut référer à une entité abstraite, une marque de notoriété accordée à une personne, le titre d’honneur étant le nomen (Adams, 1987) et le titre particulier l’appellatio, tout autant qu’à un « texte-objet ». Il désigne, par exemple, le galon identificateur accroché à l’extrémité d’un bâton (umbiculus) sur lequel on a enroulé une bande de papyrus constituant le volume (volumen) (Hoek, 1981 : 5). Très tôt, on l’emploie comme légende pour définir toutes sortes de supports d’écriture, telle l’épigraphe gravée sur pierre ou sur bois, placardée sur le fronton d’un bâtiment pour annoncer sa mise en vente ou simplement sa fonction commerciale ou religieuse, ou encore l’écriteau de bois brandi par les légionnaires revenant d’une campagne victorieuse et sur lequel on a inscrit le nom des villes matées et le nombre de prisonniers capturés (Rich, 1883). Ce type d’enseigne (insignia) sert aussi, couramment, à identifier le ou les crimes perpétrés par un condamné qui doit lui-même la porter à son cou, jusqu’au lieu d’exécution où elle est alors clouée sur la partie supérieure du poteau de supplice juste au-dessus de sa tête. D’où la tradition chrétienne de faire référence à l’inscription accolée à la croix du Christ par les mots Titulus Crucis ou simplement « Le »Titulus. On voit que, malgré différentes affectations, le terme titulus, qui désigne à la fois le support et sa graphie, a toujours une double fonction d’indexation et d’identification d’un lieu, d’une personne ou d’un événement. Or, déjà chez les Romains, quand le titulus sert au repérage des volumes, il devient instrument archivistique, gardien de la mémoire, au point où il acquiert une certaine autonomie fonctionnelle en aparté du texte proprement dit. Avec le temps, la fabrication de supports d’écriture mieux adaptés à la manipulation et à la conservation de l’écrit, dont celle du papier, l’apparition de l’imprimerie ainsi que les conséquences de nombreux facteurs techniques, économiques et culturels, entre autres la substitution progressive de la page de titre au colophon de fin de document à partir du xve siècle (1475-1480), ont fini par donner lieu au format livre que nous avons conservé jusqu’à aujourd’hui, bien que l’informatique ait conduit à des habitudes particulières de titrage. Mais quel que soit le support, le titre demeure la pierre d’assise du catalogage …
Parties annexes
Références bibliographiques
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