Volume 35, numéro 1, printemps 2007 Échos et résonances
Sommaire (11 articles)
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Présentation : Échos et résonances
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Altération et bifurcation : l’écho est-il neutre ?
Alain Milon
p. 11–15
RésuméFR :
L’écho ne se contente pas de reproduire ce qu’il entend comme le souligne la tradition latine. Figure d’Écho, l’écho fait tout ce qu’il peut pour refuser la transparence et la neutralité. Il se venge de la malédiction qu’il porte en altérant tout ce qu’il touche. Sa vengeance est l’expression de son existence. Mais, au-delà de l’écho, c’est toute la question de ces expressions et formes qui vivent en retrait et en attente qui est posée ; la question du suiveur : « qui me précède ? » ; la question de l’ombre : « suis-je une ressemblance ? » ; la question du miroir : « quelle image dois-je renvoyer ? ». La figure de l’écho offre ainsi l’occasion de s’interroger sur la guerre que se livrent l’original et la copie tout en se demandant si l’existence d’un énoncé sans origine est envisageable. À cette question, l’écho répond par la seule arme en sa possession : l’altération. C’est toute la question de la neutralité de l’écho que nous poserons en réfléchissant sur l’altération que la voix d’Écho profère.
EN :
Far from reproducing what it hears, as the Latin tradition would have it, the echo resists transparency and neutrality. It avenges itself for the curse it carries by distorting everything it touches. Its revenge is the expression of its existence. However, the main concern here has to do with the expressions and forms that live in withdrawal and on standby; the question of the follower: “who precedes me ?”, the question of the shade: “am I a resemblance?”, the question of the mirror: “what image should I return?”... The echo thus offers the opportunity to wonder about the war between the original and the copy, while wondering if the existence of a statement without origin is possible. The echo answers this question with the only weapon in its possession: distortion. I will examine the question of the neutrality of the echo while reflecting on the distortion made by the voice of Echo.
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Répercussions violentes : Échos de l’oeuvre de Thomas Bernhard
Simon Harel
p. 17–27
RésuméFR :
Bien que le motif de l’écho ne soit pas abordé de manière littérale dans l’oeuvre de Thomas Bernhard, il est présent sous sa forme liminale. Le protagoniste de La Plâtrière, personnage misanthrope qui rédige un traité sur l’ouïe depuis des décennies, est sensible aux moindres répercussions de la voix humaine. Chaque son entendu par Konrad est accompagné de sa trajectoire vibratoire, ce qui crée un sentiment de désespoir profond tant la quête du silence est un exercice difficile. Dans le cadre de cet article, nous interrogerons les formes dysphoriques de l’écho : ce dernier peut représenter un monde où la répercussion violente de l’entendu provoque l’irritation. Face à ce déferlement sensoriel, dont l’écho est l’une des modalités, le sujet n’a d’autre choix que de se cloîtrer dans une maison dont il espère qu’elle l’isolera enfin du monde des vivants. De plus, la présence de tout sujet-destinataire (en l’occurrence la femme de Konrad) est la source d’une distraction sonore. Le protagoniste entend dans toute voix un écho lancinant qui retarde le mouvement de sa pensée. Il tuera sa femme, ce qui s’avère un acte criminel où le « sémanticide » apparaît de plus comme une façon d’en finir avec la présence de la voix dans le langage.
EN :
Although the motif of the echo is not present literally in Thomas Bernhard’s work, it is there subliminally. The protagonist of La Plâtrière, a misanthropist who for decades has been writing a treatise on hearing, is sensitive to the slightest reverberations of the human voice. Every sound Konrad hears has its accompanying resonance, which creates a feeling of despair, since silence is so difficult to obtain. This article examines the dysphoric forms of the echo: it can represent a world in which the violent reverberation of what is heard causes irritation. Faced with this sensorial outpouring, of which the echo is one manifestation, the subject has no choice other than to immure himself in a house which he hopes will finally insulate him from the world of the living. Moreover, the presence of any subject that can be addressed (in this case, Konrad’s wife) is a source of acoustic distraction. In every voice, the protagonist hears a throbbing echo which slows down his thought processes. Konrad kills his wife, a criminal act in which “semanticide” once again appears as a way to dispose of the presence of voice in language.
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Comment faire apparaître Écho ? Soeurs, saintes et sibylles de Nan Goldin et Autoportrait en vert de Marie Ndiaye
Martine Delvaux et Jamie Herd
p. 29–39
RésuméFR :
Cet article étudie l’usage du portrait photo-textuel dans l’écriture autobiographique au féminin, par le biais de l’analyse parallèle de Soeurs, saintes et sibylles de Nan Goldin, et de Autoportrait en vert de Marie Ndiaye. Grâce au jeu entre photographie et littérature, ces objets intermédiatiques présentent une structure en écho (et reposent sur une série d’échos) qui permet de revoir le mythe d’Écho et de Narcisse ainsi que le rapport entre le visuel et le verbal. Goldin et Ndiaye fondent leur travail sur l’indécidabilité de la photographie pour écrire entre le mythe et l’histoire personnelle, le sacré et le profane. Par ailleurs, les oeuvres étudiées peuvent être lues comme des légendes et des échos dans le cadre du corpus de chacune des auteures. Ces pratiques intermédiaires mettent en place une série de résonances qui permettent aux femmes, à l’intérieur des deux textes, d’être vues et entendues. Par le vacillement entre portrait et autoportrait, ces pratiques réussissent à faire apparaître des visages là où il y avait des voix.
EN :
This article examines contemporary photo-textual portraiture in women’s autobiographical writing through a parallel analysis of Nan Goldin’s Soeurs, saintes et sibylles and Marie Ndiaye’s Autoportrait en vert. These mixed media works function through and as a series of echoes that revisit the myth of Echo and Narcissus and reforge the relationship between visual and vocal in the interplay between literature and photography. Goldin and Ndiaye seize upon the indeterminate nature of photographs to write between myth and personal history, between the sacred and the secular. The works studied are also read as legends or echoes of each author’s corpus. These intermediary practices establish a series of resonances that enable the women in each author’s text to be seen and heard, and give faces to voices in the vacillation of portraiture and self-portraiture.
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Des rédemptions à crédit : Le sujet-théâtre et les retournements orphiques de Claude Gauvreau
Thierry Bissonnette
p. 41–47
RésuméFR :
À partir du cas de Claude Gauvreau, il est question dans cet article d’un théâtre identitaire par lequel cet auteur élabore sa propre figure en associant et en croisant des représentations d’individus marquants de sa vie. Êtres inaccessibles ou décédés, ces « fantômes » agissent à titre de personnages dans une dynamique subjective qui coïncide avec les lignes de force des Oeuvres créatrices complètes, projet rétrospectif dont l’auteur a lui-même élaboré le plan. Qu’elle ravive l’amante suicidée, le peintre Paul-Émile Borduas ou le père absent, l’écriture de Gauvreau se veut une lyrique de l’impossible, où les répétitions sémantiques et sonores articulent le paradoxe d’un chant orphique qui regagne en perpétuant la perte.
EN :
Through the example of Claude Gauvreau, this article is concerned with a theater of the self, where the author works his own figure by combining representations of some important people of his life. Unreachable or deceased beings, these “ ghosts ” act as characters in an identitary dynamic that coincides with the guidelines of Oeuvres créatrices complètes, a retrospective project conceived by Gauvreau himself before his death in 1971. Resurrecting either the dead lover Muriel Guilbault, or the painter Paul-Émile Borduas or the absent father, Gauvreau’s writing appears as a lyric of the impossible, where semantic and phonic repetitions articulate a paradox of an orphic chant which regains by reiterating the loss.
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Échos aériens dans l’oeuvre de Marie-Claude Bouthillier
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L’écho dans la pratique du pseudonyme : Romain Gary et la posture du phénix
Marie-Pier Luneau
p. 55–61
RésuméFR :
Dans ce dossier qui se propose d’aborder, à travers le prisme de l’écho, la question de la légitimation de la littérature, il s’avère pertinent de questionner en particulier le nom de l’auteur. L’écho pourrait-il en effet être vu comme une stratégie d’inscription du littéraire dans l’espace social et historique, notamment à travers la posture de l’auteur ? C’est ce que nous montre à tout le moins l’exemple de Romain Gary qui, au moment de publier Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, se façonne de toutes pièces une image d’écrivain vieillissant afin que les succès d’Émile Ajar ne soient que plus éclatants.
EN :
In this study, which addresses the question of the legitimization of literature through the prism of the pseudonym, it is particularly pertinent to question the name of the author. Could pseudonymity be considered a strategy aimed at inscribing or ensuring the work a place in the social and historical mindscape, most notably through the literary stance of the “ author ” ? This is, at least, what is demonstrated by the example of Romain Gary who, at the moment of publishing Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, constructed an entire persona of himself as an aging writer so that the success of Émile Ajar could be all the more resounding.
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L’écho en creux : Le temps qu’il fait et autres vacuités de la conversation dans Saint Glinglin de Raymond Queneau
Marie-Pascale Huglo
p. 63–74
RésuméFR :
À partir de la fable d’Ovide lue comme un petit traité de poétique, je considère l’écho comme une contrainte formelle et une figure de répétition. Laissant ainsi de côté l’idée d’évocation hypertextuelle également associée à l’écho, je m’intéresse à la contrainte de la répétition dans Saint Glinglin de Raymond Queneau et plus spécifiquement dans l’analyse d’échanges anodins repris trois fois, avec des variantes, dans le roman. En abordant ces échanges rituels sur la pluie et le beau temps comme un autre petit traité de poétique, je cherche à montrer comment Queneau renouvelle et métamorphose la figure de l’écho au sein d’une parole usuelle elle-même quotidiennement répétée, nouant ainsi étroitement, et de façon problématique, formalisme et réalisme.
EN :
Taking as a starting point Ovide’s fable read as a small treatise on poetics, I consider the echo as a formal constraint and a stylistic device based on repetition. Leaving thus aside hypertextual evocations which also have to do with echo, I examine repetition devices in a novel of Raymond Queneau, Saint Glinglin where, more precisely, a rather trivial talk takes place three times, each time with some variations. Reading this small talk about the weather as another small treatise on poetics, my aim is to show how Queneau renews the echo device by repeating and altering everyday words which are themselves constantly repeated. In doing so, he tightly – and problematically – joins formalism and realism together.
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Échographie imaginaire : formes et figures poétiques d’un impensé intrafoetal dans l’oeuvre de Michel Leiris
Sylvie Boyer
p. 75–84
RésuméFR :
Être appelé à la vie au nom de la mort – au nom d’une mort(e) –, voilà qui caractérise le statut d’enfant de remplacement de Michel Leiris. On peut penser qu’au miroir de l’autobiographie, l’écrivain a tenté (tel Narcisse qui, dans l’une des versions du mythe, recherche dans la vision de son propre reflet à la surface de l’eau une soeur jumelle disparue) de rencontrer une imago sororale gémellaire, de capter les échos et résonances d’un alter ego. Toutefois, ce sont les textes poétiques de Leiris qui, peut-être mieux que n’importe quels écrits leirisiens, donnent à penser les formes et les figures d’une « mort en transmission » ou, pour reprendre les termes du poète, d’une « malemort ». L’étude de champs sémantiques relatifs à l’univers placentaire et foetal, dans l’oeuvre poétique de Leiris, permet de cerner – à l’instar d’images échographiques – la persistance d’une présence mortifère que l’écriture leirisienne s’emploie à traduire et à nommer.
EN :
To be called for life in the name of death – the death of a girl – is what characterizes Michel Leiris’ status of replacement child. One can maintain that through the mirror of autobiography, the writer attempts to reach a kind of “ twin’s sister imago ” (as Narcissus in one of the myth’s versions in which he is looking for his twin sister in the vision of his own reflection in the water) and to catch an alter ego’s echoes and resonances. However, Leiris’ poetical writings, better than anywhere else in his work, give shape to the concept of a “ death in transmission ” or, as Leiris has it, a “ malemort ”. In Leiris’ poetical works, the semantic scope related to the placental and fetal universe allows us to delineate – like ultrasound imaging – the persistence of a mortifying presence that Leiris attempts to translate and name.
Hors dossier
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De la signalétique à l’emblématique : Twining de Charles Loupot
Pierre Fresnault-Deruelle
p. 87–92
RésuméFR :
Ce texte essaie d’explorer quelques-unes des relations entre le texte et l’image dans les placards publicitaires des années 1930. L’auteur tente également de dégager en quoi ressurgit une certaine économie de l’emblème qu’il associe à ce qu’il pense être la pensée visuelle. Avec cette courte étude, quelques éléments sont fournis sur ce qu’il en serait d’une esthétique de la communication.
EN :
This article tries to explore the relationship between text and image in the advertisements or the thirties. I also try to account for the reasons why emblems find a new way of existence. In this brief analysis some elements are given, too, to define what we could call the esthetics of communication.
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Défendre l’irrecevable : comment l’ethos se substitue au logos dans le Liber amicorum Alain de Benoist
François-Emmanuël Boucher
p. 93–101
RésuméFR :
Publié en 2004, le Liber AmicorumAlain de Benoist regroupe les témoignages de plus d’une cinquantaine de penseurs qui, indépendamment de leur allégeance politique, esquissent le portrait d’un homme aux idées controversées, complexes et protéiformes dont l’évolution au cours des quarante dernières années demeure indissociable de celle de la « Nouvelle droite » européenne. L’argumentation oscille entre une défense contre des accusations « fautives » venant d’intellectuels malveillants que l’on décrit comme inféodés à l’ordre établi et l’éloge d’une pensée « libre » et « ouverte » sur une organisation politique différente de la démocratie actuelle définie comme galvanisée par la consommation. Le but sera ici d’examiner l’imbrication constante du genre délibératif dans le portrait que l’on fait d’Alain de Benoist, lequel relève traditionnellement du genre démonstratif. Que ce soit par le biais d’une anecdote sur sa jeunesse, son travail prolifique ou son « refus des modes intellectuelles », il faudra examiner la fine articulation entre ses moeurs et sa pensée, le lien entre l’honnêteté d’un caractère et la véracité d’une doctrine, ou du moins expliquer en quoi, sur le plan rhétorique, les deux éléments semblent indissociables lorsqu’il s’agit de persuader de la valeur d’une argumentation. Finalement, il faudra expliciter en quoi l’enlacement entre le délibératif et le démonstratif donne à la vie privée une dimension civique dont les jeux de miroirs, selon les cas, discréditent ou glorifient un même individu.
EN :
The Liber Amicorum Alain de Benoist (2004) gathers the testimony of about sixty people who outline the portrait of a man whose ideas are much debated and whose evolution remains indistinguishable from the “New Right.” Paradoxically for a book which aims at rehabilitating a writer, the Liber amicorum does not seek so much to defend the ideas of Alain de Benoist as to reveal the features of a “complex” being by means of anecdotes and memories through which the reader will be able to recognize the portrait of a man who is also “honest” and “generous.” Far from defending the principle ideas of Alain de Benoist, which, according to the statements of his detractors, are suspect and, consequently, would profit from being defended, the authors of the Liber amicorum shift the grounds of debate by focusing on the man and emphasizing his moral values. Thus, the Liber amicorum does not aim to justify an intellectual position so much as to reaffirm “distinctions”. The systematic reference to the ethos, where the judiciary eloquence prevails, would be related to the discrepancy of the argumentative positions inherent to the debates, as well as to a refusal or to the impossibility of a discussion.