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Le travail de Danielle Lagacé est difficile à situer dans la trame de l’art actuel. Il est trop savant pour être classé parmi les arts populaires et, sans qu’il soit consacré à un médium de prédilection, sa matérialité constitue un piège pour le regard superficiel, piège dont seule l’étude des signes et des citations permet de s’échapper.
Bien que l’artiste utilise des matériaux « pauvres », sa stratégie de citations iconographiques s’appuie sur les mondes architectural, historico-culturel, religieux, naturel et mythologique. À partir aussi de la littérature, des contes et des mythes, en passant par la chanson actuelle, le cinéma, le théâtre et les livres d’histoire de l’art, elle puise dans tout ce qu’elle reconnaît, dans tout ce qui la touche, sans exercer de hiérarchie consciente, si ce n’est émotionnelle.
Une des influences significatives demeure celle de Frida Khalo, surtout dans la manière dont cette artiste mexicaine affirmait son hybridité. Danielle Lagacé a repris à son compte cette capacité de métisser des mondes en principe étrangers l’un à l’autre : architecture, corps, nature, références religieuses, etc.
Toutes ces strates de citations inscrites sur des corps évoquent aussi un rituel, une volonté de juguler la crainte et de viser la perfection par la répétition d’un même geste. Malgré la distraction qu’induisent les multiples formes, textes et matériaux qu’elle utilise, son travail porte spécifiquement sur l’humain, et plus particulièrement sur les femmes, à travers la représentation de leur corps. Plus que tout autre dispositif, celui des « épingles parures » suggère, avec les têtes vues à l’extérieur, le luxe des broderies de fil de métal et des images de civilisation ; en revanche, les pointes apparentes à l’intérieur des formes témoignent d’une agressivité refoulée, de colère, et même du mal. Ces tensions, intérieur-extérieur / beauté-cruauté, font écho au travail de plusieurs femmes artistes actuelles, comme celui de Louise Bourgeois ou de Kiki Smith, pour ne citer que celles-là.
Danielle Lagacé tourne ainsi autour de plusieurs concepts reliés à la psyché des femmes ; on peut dire qu’elle tend à ériger un panthéon constitué de celles qui ont su aller au-delà des conditions sociales de leur temps. Dans cette perspective, son travail récent souligne comment les mystiques ont trouvé un échappatoire original à la condition féminine en exploitant des ressources intérieures. Ses oeuvres transforment, transcendent et aussi réhabilitent l’univers mental féminin en remontant des généalogies fictives et fécondes.
Photographies Gilles Roux.
Parties annexes
Note biographique
Danielle Lagacé
Originaire d’un petit village du Bas-Saint-Laurent, Danielle Lagacé a complété des études en arts plastiques à l’Université du Québec à Montréal. De retour près de la nature et des grands espaces de 1987 à 1996 (Baie-Saint-Paul, Havre-Saint-Pierre et Caraquet), elle y développe une réflexion sur son identité de femme et d’artiste. À partir de 1999, elle expose ses premières « sculptures-fables » dans des centres d’artistes et des centres d’exposition au Québec. À l’été 2005, elle participe au Symposium international d’art in situ organisé par la Fondation René Derouin à Val-David et réalise l’installation « Le petit théâtre de Marie ». Simultanément, le Centre d’exposition La Maison du village de Val-David lui consacre une exposition qui retrace sa production des dix dernières années et publie un opuscule, Trois fois passera, un thésaurus. L’exposition sera également présentée en septembre 2006 au Centre d’exposition de l’Université de Montréal.