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Les images de Lucie Duval ont été réalisées en 2003 et 2004.
Impressions numériques au carbone.
Imaginer le sens d’un objet, c’est souvent le poser sous la forme d’une conscience imageante qui va au-delà d’une certaine littéralité. C’est ainsi que Lucie Duval inscrit le phénomène littéraire dans une dialectique où la textualité et l’image (lieu d’inscription) perdent un peu de leur autonomie pour entrer en dialogue avec un sujet désirant. Les oeuvres sont déictiques, elles montrent, elles ne définissent pas. Le désir de sens est engendré par des signes équivoques, flous, incertains, c’est-à-dire à travers une nébulosité de représentations mentales. La compréhension des oeuvres est guidée par des unités matérielles où un système arbitraire de signes sert d’intermédiaire entre le dispositif de transmission et celui de la capture des messages.
Le métissage fluide et fuyant des effets plastiques et des références linguistiques organise subrepticement des instabilités de sens, des flottements de valeurs, voire une certaine dérive des signifiés. Les rapports de force entre les signes verbaux et les signes visuels élaborent des aveux masqués d’une réécriture perpétuelle du regard et de ses résonances. Les forces d’expansions des éléments graphiques, des éléments plastiques et des sensations psychiques intimement liées créent des relations entre les mots et les images, formant un réseau inextricable d’intersections sémantiques. L’efficacité de la prosodie heurtée exprime des rapprochements de sens ainsi que des évocations de comportements. Les énoncés appartiennent à la description d’un jeu de langage s’affirmant dans les intonations et les attitudes d’une relativité sensible des états d’âme. L’existence des réalités exaltées n’ont d’égal que le fouillis de la pensée dans tous ses cheminements, ses débridements et, pourquoi pas, dans tous ses épanouissements.
Le niveau syntaxique d’organisation et la visibilité sémiotique impliquent un plan organisationnel où la morphologie fabriquée à partir de traits pertinents considère le caractère en suspension des signifiants. La puissance évocatrice des mots-propos éclate ; ils veulent dire tant de choses en interrogeant notre regard sur ce que nous voyons et sur ce que nous recevons. Entre les lignes interrompues du langage, de là à là, il y a des mots, des bribes de phrases, des phrases clairement écrites dont la calligraphie soignée et impersonnelle s’accorde au plus grand nombre de lecteurs, de regardeurs. La graphie est lisible, très lisible. La compréhension semble se personnaliser. On s’adresse à nous.
La multiplicité des résonances sollicite l’intérêt et résiste à une compréhension unilatérale. Le fragile équilibre topologique et topographique entre l’organisation verbale et celle des formes perçues amorce des codes significatifs variables de l’existence de réalités informelles qui s’expriment dans une discursivité dialogique à jamais inachevée. Les circonlocutions lexicales nuancent les propositions sinueuses en égarant l’interlocuteur, qui réduit le phonétisme à n’être, pour le regard d’un instant, qu’une rumeur grise qui complète les contours d’une figure (Michel Foucault). C’est une façon d’échapper à l’emprise des images et des mots retenus à l’intérieur d’un réseau significatif à sens unique. Ici, il s’agit de créer des ouvertures nominales descriptives, où le processus de communication se situe à travers la singularité des individus.
Les signes sont à la fois émotifs et analytiques. Ils traduisent des pulsions internes d’activité mnémonique ou encore des fluctuations du jugement. En favorisant des courts-circuits langagiers et visuels (perceptifs) selon des variables positionnelles, ce sont des messages partiels qui nous sont livrés. Une confrontation entre ce qui est perçu, ressenti et déjà connu s’installe à notre regard comme autant de doutes et d’incertitudes sur le visible, le lisible, le perceptible et l’audible. Goûter des trajectoires imprévisibles, c’est profiter d’une danse de substitutions, de permutations, de transpositions, d’interférences entre la pensée visuelle et la pensée verbale, selon des effets dynamiques hybrides et féconds.
Parties annexes
Note biographique
Lucie Duval
Lucie Duval vit à Montréal et à Saint-Jean-Port-Joli. Elle a étudié à l’École des beaux-arts de Toulouse et a obtenu, en 1983, le Diplôme national supérieur d’expression plastique (D.N.S.E.P.). Depuis plus d’une quinzaine d’années, son travail s’articule autour d’une interférence entre ce qui est lu et ce qui est vu, un parcours où les mots se jouent des objets et des images. Elle a exposé régulièrement au Québec, au Canada, au Mexique, en Europe et en Asie. Mentionnons quelques expositions individuelles : Studio d’arte contemporanea Pino Casagrande (Rome, 2002) ; Galerie Patricia Dorfmann (Paris, 1999) ; CIRCA (Montréal, 1997) ; Espace f : (Matane) ; Galerie Christiane Chassay (Montréal) ; L’Espace VOX (Montréal, 1996). Elle a participé à plusieurs expositions collectives : Body chemistry/La chimie des corps, VU (Québec) ; Une traversée de l’imaginaire, maison de la culture Marie-Uguay (Montréal) ; La photographie découpée, Art Mûr (Montréal, 2002) ; Trio pour estampe, Plein sud (Longueuil, 2001) ; Les 100 sourires de Mona Lisa, Musée métropolitain de Tokyo, Musée départemental de Shizuoka, Musée départemental d’Hokkaido (Japon) ; Le cadre, la scène, le site, Centro de la imagen (Mexico, 2000) ; Espaces intérieurs, Passage de Retz (Paris, 1999) ; True North : The Landscape Tradition in Contemporary Canadian Art, Musée des beaux-arts de Kaohsiung (Taïwan, 1998-1999) ; Fotoseptiembre, international 1998, Ex Collegio Jusuita (Patzcuaro, 1998) ; Montréal-Calgary, Stride Gallery, Truck Gallery et CIRCA, (1998) ; De fougue et de passion, Musée d’art contemporain de Montréal (Montréal, 1997-1998). Le plaisir de mettre en scène les mots se retrouve également dans des oeuvres publiques permanentes : le pavillon J.A. de Sève de l’Université du Québec à Montréal (1998) et le C.L.S.C. Hochelaga-Maisonneuve (2002).