Présentation : Mémoire et médiations[Notice]

  • Marie-Pascale Huglo et
  • Johanne Villeneuve

Dans la foulée du Quatrième Colloque international du Centre de recherche sur l’intermédialité de l’Université de Montréal, intitulé Mémoire et médiations. Entre l’Europe et les Amériques (octobre 2002), nous avons réuni un certain nombre d’analyses et de réflexions théoriques autour de la relation entre « mémoire » et « médiation ». Le concept de médiation renvoie essentiellement à deux niveaux d’analyse. Dans un premier temps, on peut le concevoir, de façon très large, comme une opération qui consiste à « faire passer » ou à « prendre ensemble », au sens de la poétique. C’est ce dont il est question, par exemple, chez Paul Ricoeur, lorsqu’il interroge le travail de la métaphore ou celui de la mimésis, en se basant sur la poétique aristotélicienne qui définit le muthos dans les termes d’un « agencement de faits » (è tôn pragmatôn sustasis ). La narration repose alors, selon Ricoeur, sur une opération de médiation qui consiste à faire passer un monde dans un autre, soit le monde de la praxis dans celui, imaginaire, du lecteur, par l’intermédiaire du (monde du) texte. Nous pourrions même ajouter, à rebours, que le monde de la praxis n’apparaît qu’en passant par des médiations. Le monde, en somme, est indissociable des médiations qui le font « épique » ou « romanesque ». À un premier niveau, donc, la médiation est le processus qui consiste à assurer une transmission, un passage constitutifs du monde, tel qu’il nous apparaît à un moment donné dans l’histoire. À ce titre, la mémoire est médiatrice, comme le sont la narrativité et la tradition. Mais à un second niveau d’analyse, on appelle médiation la matérialité des technologies assurant ce processus, soit les différents médias (oralité, image, archive sonore, écriture). Depuis les débuts de la réflexion portant sur la mémoire, on a associé celle-ci à des matérialités particulières : l’empreinte sur la tablette de cire ou la trace (dans Théétète de Platon, par exemple) ; le souffle des muses et le geste du griot, de l’aède ou du jongleur ; l’image dans le Ad Herennium. Les matérialités diverses, qui ont permis d’assurer la mémoire collective, ont eu une incidence importante sur le contenu de celle-ci, comme en font foi les événements relatés par la tradition épique, dont on attribue la valeur mémorielle particulière aux contraintes de l’oralité : l’exigence du présent qui est celle des cultures orales force à rejeter dans l’oubli les singularités au profit des modèles de « vainqueurs ». De la même manière, on peut conclure que les médiations actuelles transforment non seulement les opérations mémorielles, mais le contenu du souvenir. En ce sens, l’écriture romanesque d’un Carlos Fuentes devient emblématique de la relation tendue entre mémoire et médiation : l’histoire des vainqueurs est en quelque sorte exaltée et renversée par un travail textuel qui ne néglige aucune entrée dans le vaste répertoire des mémoires possibles (voir l’article de Julie Hyland). Les signes servant à transmettre la mémoire ne sont jamais effectifs sans cette matérialité qui en bouleverse la portée et le sens. En interrogeant «le pouvoir révélateur des instruments nouveaux » chez Pierre Perrault, c’est bien ce que Michèle Garneau montre : la mémoire dépend de la technologie qui la formule, si bien qu’elle ne capte pas une réalité préalable, mais la produit. C’est donc la transformation du lien entre mémoire et médiation que ce numéro cherche à explorer, en offrant un espace de théorisation et d’application des concepts de mémoire culturelle et de médiation dans des contextes médiatiques et interculturels particuliers. Les diverses analyses se penchent donc sur différents médias « artistiques », parfois sur …

Parties annexes