Volume 29, numéro 3, 2001 Iconoclasmes : langue, arts, médias Sous la direction de Jocelyn Girard et Michaël La Chance
Sommaire (9 articles)
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Présentation
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L’idole au regard de la philosophie des images
Jean-Jacques Wunenburger
p. 7–16
RésuméFR :
L’idole est une image paradoxale : image suprême, autosuffisante, elle inaugure aussi la mort de l’image qui ne vit que d’un rapport de dissemblance dans la ressemblance. Toute la philosophie de l’image en Occident, grecque (chez Platon), chrétienne (dans l’incarnation), moderne (dans l’esthétique du sublime), n’a peut-être fait que commenter ce paradoxe en reprenant sans cesse le patient travail de classification et de hiérarchisation des images afin de les sauver de leur contrefaçon idolâtre.
EN :
The Idol is a paradoxical image : it is the ultimate, selfsufficient image, but it also marks the death of the image, which lives only by a subtle dissimilarity within similarity. The occidental philosophy of image, be it Greek (as illustrated by Plato), Christian (as shown in incarnation), or modern (the aesthetics of the sublime), may have been a mere comment on this very paradox, ceaselessly working on a patient classification and hierarchy of images in order to salvage them from their idolatrous counterfeiting.
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L’iconophage mélancolique ou la digestion des images au début du troisième millénaire. Un cas : Timothy McVeigh
Catherine Mavrikakis
p. 17–25
RésuméFR :
Cet article analyse le dispositif des images qui présentent l’exécution, par le gouvernement américain, de Timothy McVeigh. Comment met-on en scène la mort d’un condamné ? Quelle est notre relation à la loi et à l’universalité de la justice par le biais des images ? Existet-il une image iconoclaste qui viendrait briser le scénario préfabriqué des représentations d’une exécution annoncée? Quel deuil est-il possible pour les spectateurs mondiaux du scénario de mise à mort d’un assassin ou d’un terroriste ?
EN :
This article analyses the complex images of Timothy McVeigh’s execution by the United States Government. How does one stage the death of a criminal? What is our relationship to the law ? To the universality of justice ? What images might break the preconceived scenario of representations depicting such an execution ? What mourning is possible for those seeing these images of an assassin or a terrorist being “ put to death ” ?
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Le logoclaste. L’entrelangue de Guyotat dans Progénitures.
Pierre Ouellet
p. 27–37
RésuméFR :
On dit de la langue de Guyotat qu’elle est iconoclaste ou, plus proprement, logoclaste, puisqu’elle ne se contente pas de détruire les « images » qu’elle suscite, dans son refus de toute mimesis, mais s’immole aussi en tant que langue, à quoi elle substitue cette sous-langue ou cette langue en miettes qu’incarne l’idiolecte où elle se réinvente. Loin d’être la ruine du langage humain, cette parole vive, matricielle et génératrice, qu’on trouve dans Progénitures et dans l’ensemble de son oeuvre, est peut-être la chance inespérée d’une nouvelle histoire de la langue parlée, qui ne s’appuie plus sur la lutte des identités linguistiques (des propriétés ethniques, sociales et religieuses du discours) mais sur la conscience ravivée du mélange dont toute langue est faite. Chaque idiome est « entrelangue » dans la mesure où il s’inscrit entre deux états de langues comme les organes de la copulation et de la génération prennent sens dans un entre-corps, où se mélangent le même et l’autre en un monde « prostitutionnel » que Guyotat décrit en détail pour montrer que l’homme et sa parole n’existent que dans une progéniture ou une pro-genèse sans fin, bien plus que dans une Histoire dont on a dit qu’elle était finie.
EN :
Guyotat’s language is said to be iconoclastic, or more acutely logoclastic since it does not merely ruin the “ images ” it produces in its strong denying of all mimesis, but also sacrifices itself as language for which it substitutes an infra or shattered language, which the idiolect it is reinventing itself in embodies. Far from ruining human language, this matricidal and generative discourse found in Progénitures, as well as in all of Guyotat’s works, could well be the opportunity for a new history of spoken language, a history that would no longer stress the fight between linguistic identities (ethnic, social and religious dimensions of discourse), but rather rely on a renewed awareness of the mixture every language is made of. Every idiom is an “ interlanguage ” because it lies in between two states of language just as the copulation and generation organs assume their full meaning in between two bodies, as an “ inter-body ”, one might say, where same and other get mixed in a “ prostitutionnal ” world. Guyotat details this world in order to show that man and its language live only in a progeny or an endless pro-genesis rather than within a History which, it was said, has come to its end.
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Hélène Roy : À l’image de l’Ouroboros
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Fonctions de l’image et vecteurs temporels. La régression iconoclaste
Michaël La Chance
p. 49–60
RésuméFR :
Cette étude tente de comprendre la violence d’actes iconoclastes récents à partir d’une analyse structurale de notre civilisation iconophile, où les fonctions de l’image (connotative, dénotative, signalétique) correspondent à des vecteurs temporels (théologico-politique, économico-rationnel, cyber-technicien) où le choix d’une régression vers le connotatif apparaît comme une tentative pathétique de retrouver une temporalité perdue.
EN :
This paper addresses the question of recent examples of iconoclastic violence. It undertakes this critique in terms of a structural analysis of our iconophiliac civilization where image functions (connotative, denotative, descriptive) match temporal vectors (theologicalpolitical, economic-rational, cyber-technical). At this intersection the choice of connotative regression appears as a pathetic quest to recover a lost temporality.
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Représentations corporelles et figures du « Je ». Iconogénétisme kristevien
Jocelyn Girard
p. 61–71
RésuméFR :
Cet article propose la lecture et l’esquisse théorique d’un fantasme à l’oeuvre dans le début des textes de Julia Kristeva, Les Samouraïs et La Révolution du langage poétique. L’énonciation y montre un penchant pour ce que nous nommerons l’iconogénétisme. Le fantasme en question est celui qui permettrait d’intervenir soimême, volontairement, dans la perception d’une médiation pour l’abolir et le remplacer par un signifiant singulier qui aura, pour le sujet de la perception-énonciation, valeur de vérité. Il ne sera pas question d’appliquer littéralement ce que nous dégagerons en théorie, mais de voir par un exemple concret comment se répartissent, ici à travers des représentations corporelles, ces mouvements fantasmatiques.
EN :
This article proposes an interpretation and the theoretical sketch to a fantasy present in the beginning of Kristeva’s texts, Les Samouraïs and La Révolution du langage poétique – texts, whose enunciation shows a tendency for what we call iconogénétisme. This fantasy allows oneself to voluntarily break into the perception of a mediation in order to abolish and replace it by a singular signifier, which will have, for the subject, a truth value. Our aim is not to propose a literal application of this theory brought out by our analysis, but to show, using an example, how fantasmatic variations are spread out over corporal representations.
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De la mémoire des traces au visage de l’éveil. La question de l’origine de l’image du Bouddha
Georges Leroux
p. 73–85
RésuméFR :
Le passage à la représentation du Bouddha au tournant de l’ère chrétienne n’a pas reçu d’explication entièrement satisfaisante dans les études d’iconographie et d’archéologie orientale. Pourquoi le bouddhisme a-t-il renoncé à l’aniconisme qui avait marqué ses origines ? Plusieurs hypothèses, discutées depuis les grands travaux d’A. Foucher sur l’art du Gandhara, engagent la recherche vers un fondement à la fois esthétique et théologique, et non seulement vers une influence stylistique provenant de la Grèce hellénistique. Dans cet essai, les principaux enjeux de cette esthétique sont passés en revue et rapportés aux oeuvres produites dans le Gandhara. Ainsi se trouvent éclairés les principaux canons du style propre à cet art et une réponse partielle est apportée à la question de l’origine de l’image du Bouddha.
EN :
The beginning of the representation of Buddha in the first centuries of the Christian era has not received a satisfactory account in oriental iconographical and archeological scholarship. Why has Buddhism abandoned its original aniconism, which was its trademark during the centuries before Christ ? Several hypotheses, beginning with the works of A. Foucher on the art of Gandhara, lead towards a discussion of its aesthetical and theological foundations, and not only in the direction of a stylistic influence originating in Alexandrian Greece. In this study, the main themes of this aesthetics are discussed and linked to the works produced by gandharan artists. In this way, the major stylistic canons of this art are clarified and a partial answer to the question of the origin of the Buddha image is put forward.
Hors dossier
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La littérature à l’écran. Approches et limites théoriques
Alexie Tcheuyap
p. 87–96
RésuméFR :
Du littéraire au filmique, quel est le lieu de la signification ? Qu’est-ce qui légitime la différence du texte dérivé ? Est-ce le code sémiotique, l’idéologie, l’institution ou la répétition poétique ? Voilà quelques-unes des interrogations que soulève cet article. D’André Bazin à André Gaudreault, la sémiotique du cinéma semble opérer de simples mutations de pouvoirs créateurs en passant de la prééminence du texte littéraire à celle de la machinerie audiovisuelle. Il importe pourtant, vu les répétitions poétiques émaillant l’histoire culturelle universelle, de recentrer le débat de la différence non sur un code, mais sur la fréquence de l’acte créateur. Une telle perspective de réécriture resitue le débat théorique dans une perspective transgénérique, transcodique et translinguistique.
EN :
How can we identify, where does the difference lie between a film and the text from which it was adapted ? Is it the code, the language, or the creative act of repetition ? From André Bazin to André Gaudreault, film theory seems to have reduced the discourse on “ adaptation ” to a shift of power and to a kind of technological determinism. This paper questions the validity of current theories and raises the relevance of repetition and poetics, which are trans-generic and trans-codal.