Volume 26, numéro 3, 1998 Logique de l’icône Sous la direction de Tony Jappy
Sommaire (12 articles)
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Présentation
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Qui dit quoi?
Francesca Caruana
p. 7–16
RésuméFR :
Dans le domainede l’imitation, l’art contemporain pourrait avoir l’apanage de l’imitation dans la mesure où la plupart du temps il n’offre pas de difficultés techniques majeures à être reproduit et pousserait à reconsidérer la problématique du faux. En réalité, la complexité des motivations esthétiques indexée au contexte socio-historique montre que les artistes, qui ont « imité » des manières, des styles, ont procédé à une relève critique de la question de l’imitation. C’est en soumettant principalement deux mouvements à l’analyse sémiotique, l’hyperréalisme et le surréalisme, que la proposition s’est formée d’aborder la question du faux sous l’angle du réel de la création.
EN :
Given that most of the time reproducing contemporary art presents no major technical difficulties, its relationship to imitation can be seen as strong, thereby encouraging us to reconsider the problem of the fake. However, the complexity of aesthetic motivations linked to specific social and historical contexts shows that the artists who have “ imitated ” various manners and styles have conducted a critical reappraisal of the question of the fake. It is by subjecting two art movements, Hyperrealism and Surrealism, to semiotic scrutiny that I propose to address the question of the fake in art from the point of view of the reality of creation.
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Accord réciproque. Pierce, Kandinsky et le potentiel dynamique du qualisigne
David Scott
p. 17–23
RésuméFR :
Une des conceptions-clefs de la sémiotique peircienne est la structure relationnelle de la représentation – relation triadique entre representamen, objet, et interprétant et entre icône, indice et symbole. Un domaine privilégié pour l’étudier est fourni par l’art abstrait moderne : Wassily Kandinsky (1866- 1944), par exemple, contemporain de Peirce (1839-1914) et sémioticien sans le savoir, comme artiste autant que comme théoricien de l’esthétique, a essayé de cerner les potentialités de la qualité pure. Cet article essayera de montrer comment la sémiotique peircienne, surtout dans le domaine de la théorie de l’iconicité, nous aide à mieux comprendre le potentiel dynamique des formes abstraites dans la peinture de Kandinsky, et de montrer comment sa théorie et sa pratique portent la marque des processus sémiotiques fondamentaux théorisés par Peirce.
EN :
One of the key concepts of Peircean semiotics is the relational structure of representation – the triadic relation between representamen, object and interpretant and between icon, index and symbol. A privileged domain for its study is provided by modern abstract art. Wassily Kandinsky (1866-1944), for example, contemporary of Peirce (1839-1914), – and a semiotician without knowing it – tried to define the potential of pure qualities, both as artist and theorist of aesthetics. This paper will, on the one hand, show how Peircean semiotics, especially in the field of the theory of iconicity, helps us understand the dynamic potential of abstract forms in Kandinsky’s paintings ; and, on the other hand, show how the latter’s theory and practice manifest the fundamental semiotic processes theorized by Peirce.
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Sémiotiques du texte et de l’image
Tony Jappy
p. 25–34
RésuméFR :
Je me préoccupe dans cet article d’un problème soulevé il y a plus de deux cents ans dans le Laocoön, qui oppose entre les signes picturaux et textuels une différence de support et de dimensionnalité. Or, aucune sémiotique ou sémiologie « rigoureuse » ne se permettrait le luxe d’avoir deux définitions distinctes du signe, l’une qui s’appliquerait aux signes linguistiques, textuels, et l’autre réservée à des signes picturaux. Ce problème a ainsi fait l’objet au cours de ce siècle de différentes tentatives de réponses dont deux qui m’intéressent plus particulièrement. La première s’inscrit dans l’optique du tournant linguistique ; la seconde est la sémiotique de Peirce, dont la composante la plus pertinente est la logique des icônes. C’est le problème posé dans ce contexte par la métaphore, qui servira d’illustration des différences fondamentales qu’on peut constater entre les deux approches.
EN :
My concern in this article is to review a problem raised over two hundred years ago in Lessing’s Laocoon, which drew attention to differences in support and dimensionality between pictorial and textual signs. Obviously no serious semiotic or semiological theory can allow itself the luxury of two definitions of its principal unit, the sign, one for pictures and one for texts. Over the course of the century we have witnessed several attempts to address the problem raised by Laocoon, of which two are of particular interest. The first is a theoretical outcome of the so-called “ linguistic turn ”, the second is Peirce’s logic of the icon. The problem raised by metaphor in this context is used to illustrate fundamental differences in the two approaches to the problem.
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Quand le discours se veut langage d’un sujet plutôt qu’instance indifférente de la langue
Joëlle Réthoré et Cécile Paucsik-Tourné
p. 35–44
RésuméFR :
Pour justifier une telle interprétation de certaines démarches d’écriture à visée poétique, nous tenterons de montrer que ce ne sont pas tant des signes qui nous sont « donnés » à lire qu’un langage fait de « jugements perceptuels » sur la réalité, vision préconsciente favorisant le musement du lecteur et visant à modifier suffisamment ses habitudes de lecture pour qu’il remette en cause sa pensée du monde et de sa propre place dans le monde. L’accent est non seulement porté sur la priméité de l’expression, mais le texte appelle le lecteur à oublier le fait que toute représentation verbale relève, fondamentalement, de l’univers de la tiercéité, c’est-à-dire de la loi établie par convention comme mode communicable de représentation. Des illustrations ont été choisies dans la trilogie de Dos Passos (The 42nd Parallel et The Big Money).
EN :
We will attempt to show that, in certain types of writing, what is given to the reader is not simply mere signs but “ perceptual judgements ” on reality, a preconscious vision which releases the musement of the readers and aims at modifying their habits of reading to such an extent that they eventually question their perception of the world and their place in it. While the emphasis is placed on the firstness of expression, more significantly, the text leads the reader to forget the fact that all speech representation pertains to the universe of thirdness, i.e. of conventional laws understood as a communicative mode of representation. Illustrations will be taken from Dos Passos’s trilogy (The 42nd Parallel et The Big Money).
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Parler du virtuel. La musique comme cas exemplaire de l’icône
Jean Fisette
p. 45–54
RésuméFR :
L’auteur cherche à reproduire les diverses circonstances suivant lesquelles il serait possible de saisir la notion d’« icône ». En premier lieu, il dresse une liste des principales caractéristiques de l’icône, telles qu’on peut les répertorier dans les textes de Peirce. Puis, une confrontation de ces traits au signe visuel qui devrait, suivant l’étymologie, exemplifier l’icône démontre plutôt que, contre toute attente, cette équivalence entre l’icône et le signe visuel vient créer des difficultés majeures qui sont liées à l’une des questions centrales de toute théorie du signe, à savoir la place que l’on doit réserver à la question de la représentation. Or il s’avère que les caractères reconnus par la majorité des travaux des spécialistes au signe musical correspondraient de façon beaucoup plus juste à l’icône dans la mesure où cette dernière ménage, à l’intérieur du signe, une place à l’imaginaire, d’où il est possible d’appréhender le virtuel et de laisser l’émotion s’inscrire dans le processus de la « sémiosis ». L’auteur évalue cette hypothèse et en mesure les retombées sur la théorie du signe.
EN :
This paper starts off by presenting the various circumstances whereby the notion of “ icon ” can be apprehended, after which it draws up a list of the principal characteristics of icons, as defined in Peirce’s writings. These are then contrasted with definitions of visual sign, which etymologically should correspond to the icon. However, the traditional icon – visual sign equation raises major difficulties with respect to one of the central issues of sign theory, namely the status to be accorded to representation. Now, it so happens that the characters attributed to the musical sign by musicologists correspond more closely to the icon. Within the musical sign, there is greater scope for the workings of the imagination, making it possible for the virtual to be perceived and for emotion to find its proper place in semiosis. This hypothesis is tested and its implications for sign theory are assessed.
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Comment faire des nations avec des signes. L’hypoicône et la genèse des communautés imaginées
Fernando Andacht
p. 55–63
RésuméFR :
L’article revient sur la recherche entreprise par B. Anderson sur la communauté imaginée à la lumière de la conception peircienne de la qualité incarnée, ou hypoicône. L’analyse de la naissance des nations modernes révèle des implications insoupçonnées dues à la tension entre la qualité pure et son incarnation matérielle. L’article a pour but d’illustrer le potentiel analytique de la recherche sémiotique en ce qui concerne le fonctionnement de l’imaginaire.
EN :
The paper revisits B. Anderson’s work on the imagined community in the light of the concept of the embodied quality, or hypoicon, in C. S. Peirce’s semiotics. The analysis of the birth of modern nations brings out the less obvious implications of the semiotic tension between pure quality and its material embodiment. Our purpose is to illustrate the analytic potential of semiotic inquiry into the workings of the human imagination.
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Françoise Sullivan
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Support et iconicité, ou l’apparence sans qualités
Anne-Marie Christin
p. 69–76
RésuméFR :
À partir de remarques de Peirce prouvant qu’il était sensible à la «qualité » de certains supports, on s’interroge sur le fait qu’il n’ait pas pris en compte cette qualité dans sa conception de l’« icône ». L’hypothèse avancée ici est que cette ignorance – ou ce refus – a son origine dans la définition que Platon avait donnée luimême de l’icône, et qui est fondée sur l’amalgame d’interprétations erronées relatives à la peinture et à l’écriture. La notion de « représentation », notamment, est à l’origine de confusions qui ont interdit à Platon – puis à Peirce – de voir que la différence essentielle qui sépare idéogramme et lettre alphabétique repose sur la relation fonctionnelle que l’un entretient, et l’autre non, avec son support.
EN :
From remarks by Peirce proving that he was sensitive to the “ quality ” of certain fields or supports, I am led to inquire into the reasons for his not having taken this quality into account in his conception of the icon. I hypothesize that this ignorance – or refusal – stems originally from Plato’s definition of the icon, which is based upon a confused set of interpretations concerning painting and writing systems. The notion of “ representation ” in particular is at the heart of misconceptions which prevented first Plato, then Peirce, from realizing that the essential difference between an ideogram and a letter of the alphabet is determined by the former’s, but not the latter’s, functional relation with its supporting medium.
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Rhèmes d’amour
Michel Balat
p. 77–87
RésuméFR :
Cet article met à l’épreuve la distinction classique icône/symbole dans l’étude de graphes. Accessoirement, il démontre qu’à partir d’une proposition simple, du type sujet–verbe–complément direct, et de la négation des ses parties, on peut constituer 448 propositions distinctes.
EN :
The article tests the classic icon-symbol distinction in the study of graphs. It also demonstrates that, starting with one simple Subject– Verb–Complement proposition, and the operation of negation of its parts, it is possible to generate 448 different propositions.
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John Dewey et sa glose approfondie de la théorie peircienne de la qualité
Robert E. Innis
p. 89–98
RésuméFR :
Dans un article peu connu sur la doctrine peircienne de la qualité, John Dewey a non seulement précisé la nature et le rôle du qualitatif dans le système des catégories, mais il a également mis en évidence les implications philosophiques et méthodologiques de cette découverte fondamentale. Il s’est attaché à développer cette doctrine et à en chercher les applications dans d’autres écrits essentiels, où la catégorie de la qualité se trouve associée à la production de formes proprement iconiques et à la constitution de formes de l’expérience moins artistiques qu’esthétiques. J’essaie dans cet article de retrouver les racines de la pensée de Dewey dans l’oeuvre de Peirce et de dégager non seulement les rapports qu’entretiennent les deux projets philosophiques, mais aussi leurs capacités heuristiques respectives.
EN :
In a little known article on Peirce’s doctrine of quality, John Dewey not only defined the role and nature of the domain of quality within the theory of categories, but he also drew attention to the philosophical and methodological implications of Peirce’s fundamental discovery. Dewey endeavoured to develop the doctrine and investigate its applications in a number of essential texts, wherein the category of quality is associated with the production of iconic forms and the establishment of forms of experience which are more aesthetic than artistic. In this article, I attempt to trace the roots of Dewey’s thought in Peirce’s philosophy, and to specify not only the relations between the two philosophies but also their respective heuristic potential.
Hors dossier
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L’art ex situ. À propos du catalogue Kounellis au Château de Plieux.
Jan Baetens
p. 100–107
RésuméFR :
Le catalogue d’exposition est un genre fort particulier, qui oscille en permanence entre document et monument : s’il s’agit en effet de rendre compte d’une pratique souvent éphémère, il n’est pas rare de constater que le double photographique de l’oeuvre tend à s’en faire le substitut, voire à l’effacer à tout jamais. À partir d’un exemple précis – emprunté au corpus de l’arte povera (l’exposition Kounellis à Plieux) –, cet article propose une microlecture de la façon dont l’auteur, le photographe ainsi que le metteur en pages d’un catalogue retrouvent et accentuent le geste créateur initial.
EN :
The exhibition catalogue is a strange genre, permanently oscillating between the opposite poles of document and monument : on the one hand, a good catalogue should be a trace of what has been shown or produced ; on the other hand, it often tends to function as a work of art in itself. This article proposes a close-reading of one such ambiguous publication – the catalogue of a recent Kounellis exhibition – in order to show how the creative impulse of the “arte povera” artist is saved and even reinforced by the conjugated efforts of a writer, a photographer and a graphic designer.