Les défricheurs de PISTES

Entrevue avec Roch Lafrance - Les politiques de retour au travail après une lésion professionnelle et les travailleuses et travailleurs non syndiqué.e.s[Notice]

En juin 2020, Faïza Kadri s’est entretenue avec Roch Lafrance, porte-parole de l’Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM). Q : Monsieur Lafrance, en 2016, l’UTTAM a produit un rapport de recherche intitulé : « Quand la réadaptation professionnelle mène à l’appauvrissement et à la précarité d’emploi ». Comment est né ce mandat de recherche ? R : Nous sommes des praticiens sur le terrain, nous ne sommes pas des chercheur.e.s dans la vie. Nous rencontrons des travailleuses et travailleurs, nous défendons leurs droits, nous intervenons dans des dossiers, que ce soit au tribunal, mais aussi en première ligne, au niveau de la CNESST, sur la question de l’indemnisation ou de la réadaptation physique, sociale et professionnelle. Lorsque nous rencontrions des personnes qui étaient à l’étape de la réadaptation professionnelle, nous constations qu’il y avait des carences majeures. Nous constations également que beaucoup de recherche se faisait depuis une quinzaine d’années, mais principalement sur le retour au travail à court terme. Ces recherches exploraient quelles sont les meilleures pratiques pour faire en sorte que les travailleuses, travailleurs retournent rapidement sur le marché du travail, et souvent les conclusions étaient : « Plus les gens retournent rapidement sur le marché du travail ou au travail, plus la réadaptation est réussie ». Mais rien dans ces recherches ne portait sur ce qui se passe six mois plus tard, deux ans plus tard, 10 ans plus tard. De par notre expérience en réadaptation, nous nous disions qu’il risquait d’y avoir des impacts à long terme. Nous, notre travail se termine souvent lorsque le dossier est fermé : les personnes font une démarche à un moment donné, la CNESST détermine un emploi convenable, les personnes disent : « Je ne veux pas contester. Je veux l’essayer » et on les perd de vue. Nous n’avions trouvé, après recherche, qu’une étude du début des années 90 de l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail qui avait dressé des constats assez négatifs des impacts de la réadaptation professionnelle. Selon cette étude, quand nous regardons le parcours à long terme de ces personnes, souvent, elles terminaient leur vie sur l’aide sociale. C’était un peu le sentiment que nous avions. Face à cette carence en informations, nous nous sommes lancés. C’est comme ça qu’est venue l’idée de creuser la question : qu’arrive-t-il avec ces travailleurs et travailleuses qui ont été réadapté.e.s par la CNESST au niveau professionnel, un an, cinq ans, 10 ans, 20 ans plus tard ? Quels ont été les impacts sur leur sécurité financière, par exemple ? Q : Quand vous affirmez déjà dans le titre du rapport que la réadaptation professionnelle mène à l’appauvrissement et à la précarité, comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ? R : Avant de vous répondre, il est peut-être important de comprendre comment nous avons fait le recrutement. Depuis environ une vingtaine d’années, nous avons informatisé les dossiers, et nous nous sommes dit : « On va leur écrire, on va les inviter à participer à la recherche ». Nous parlons de milliers d’envois qui ont été faits. Sur les milliers d’envois, il y en avait des centaines qui étaient évidemment déménagés, mais il y a plus de 300 personnes qui ont répondu à l’invitation que nous leur avons faite par écrit et nous avions aussi mis des annonces sur Internet. Le questionnaire était assez imposant et, selon le parcours des répondant.e.s, contenait souvent plus d’une centaine de questions. Nous avons compté 215 personnes qui ont participé et qui ont répondu à l’entièreté de la démarche. Quand les questionnaires sont arrivés, on s’est rendu …