Le retour au travail après une lésion professionnelle pour les travailleuses et travailleurs en situation de précarité[Notice]

  • Rachel Cox et
  • Andrée Bourbeau

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  • Rachel Cox
    Professeure au DSJ, UQAM

  • Andrée Bourbeau
    LL.B.

En adoptant en 1985 la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), le législateur québécois modifiait la façon par laquelle l’on remédiait à l’incapacité de travail permanente des victimes de lésions professionnelles. Alors que le régime antérieur menait à une rente viagère devant compenser la perte de capacité de gain ainsi que l’atteinte permanente, la LATMP met de l’avant un processus de réadaptation professionnelle visant en priorité la réintégration chez l’employeur, sinon ailleurs sur le marché du travail. Dans ce cadre, lorsque les limitations laissées par la lésion professionnelle empêchent le retour dans l’emploi occupé au moment où la lésion survient (dit « l’emploi pré-lésionnel »), la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) doit déterminer un titre d’emploi convenable et les mesures rendant possible de l’exercer, dont la formation professionnelle. Cette mesure devait permettre de surmonter la déqualification professionnelle subie par les victimes de lésions professionnelles et favoriser leur réinsertion en emploi. Cependant, plus de 35 ans plus tard, les rares études portant sur la réadaptation des victimes de lésions professionnelles au Québec suggèrent que le régime de réadaptation professionnelle laisse trop souvent des victimes à la marge du marché du travail et provoque leur appauvrissement. Les femmes, plus que les hommes, seraient susceptibles de se trouver dans la situation de déqualification professionnelle que l’adoption de la LATMP visait à contrer. En effet, en 1994, dans la vaste Étude exploratoire des processus de réinsertion sociale et professionnelle des travailleurs en réadaptation, Raymond Baril et collègues documentent les issues plus favorables pour les travailleuses et travailleurs qui ont pu réintégrer leur emploi pré-lésionnel, une avenue moins souvent ouverte pour les travailleuses et travailleurs ne détenant qu’un emploi précaire au moment de la survenance de leur lésion. En contraste, la trajectoire des victimes de lésions professionnelles qui n’ont pas pu réintégrer leur emploi pré-lésionnel « s’insèrent dans une logique du marché du travail où le travailleur exclu de son milieu de travail d’origine doit tenter de se réinsérer ailleurs chez un autre employeur » (Baril et coll., 1994 - à la p. 9, Résumé). Les auteurs notent que Plus spécifiquement, l’étude constate que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se retrouver à la marge du marché du travail à la suite d’une lésion professionnelle : À l’époque, Baril et collègues évoquent « l’absence presque complète d’études, au Québec, sur le processus de réinsertion sociale et professionnelle des travailleurs handicapés à la suite d’une lésion professionnelle » (Baril et coll., 1994 - Résumé à la p. 1). Qu’en est-il depuis ? En 1996, soit deux ans après l’étude de Baril et collègues, Katherine Lippel et Diane Demers procèdent à une recension de la jurisprudence, afin d’évaluer si la LATMP entraîne des effets discriminatoires pour les femmes dans l’accès aux formations professionnelles payées par la CNESST. Elles constatent que les emplois convenables déterminés pour les travailleuses se restreignent à des catégories d’emplois traditionnellement féminins et à bas salaire, ne nécessitant aucune formation. Les autrices font la démonstration que les emplois pré-lésionnels occupés par les femmes sont moins bien rémunérés, malgré un niveau de scolarité plus élevé que celui des hommes. Dans l’application de « la solution la plus économique » dictée par l’article 181 de la loi lorsque la CNESST doit mettre en œuvre un plan de réadaptation, ce profil d’emploi chez les femmes a pour effet de créer un obstacle à l’octroi d’une formation professionnelle. Aux travailleurs occupant des emplois mieux rémunérés, la CNESST choisira de payer une formation afin de déterminer un emploi convenable au salaire …

Parties annexes