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Le travail est un objet de recherche et de réflexion qui taraude l’humanité en toute période et en tout lieu. Il est au centre des échanges humains; il est un lien économique et social. Il mobilise les sciences techniques, du vivant, humaines et sociales. Il est en proie à des transformations radicales avec l’avènement du numérique et de la dématérialisation, la robotisation, les cobots, l’homme augmenté, etc. Il est une lecture de nos sociétés, de leur diversité de niveau de développement économique, social, culturel, politique. En plus d’être un objet d’études disciplinaires, le travail est un objet de recherche qui exige des comparaisons internationales pour des raisons qui ne relèvent pas du seul registre de la mondialisation de l’économie. Si, contrairement à certaines prédictions, le travail n’a pas connu sa fin et qu’au contraire il reste le vecteur d’intégration sociale (en tant que participation à une œuvre collective) et de réalisation individuelle qu’il n’a cessé d’être, ses formes, sa densité, sa portée, sa place, son sens connaissent des mutations en ce début de XXIe siècle que seule une approche pluridisciplinaire et comparative permettra de saisir dans leurs nuances, leur complexité et leur variété. L’ambition de cette université d’été est de s’adresser aux jeunes chercheurs pour les initier et les convaincre des atouts et des ressources d’une approche pluridisciplinaire et comparative pour être en capacité de mieux appréhender et comprendre les bouleversements à l’œuvre en ce début de XXIe siècle. L’Université d’été pluridisciplinaire et internationale sur le travail, organisée à Bordeaux du 3 au 7 juillet 2017 s’est concentrée pour sa première édition sur la santé et le travail, thème naturellement propice à la pluridisciplinarité et au débat.
L’objectif était de mettre en exergue cette thématique à travers les disciplines artistiques et littéraires de manière à ouvrir de nouvelles perspectives et proposer des objets intermédiaires favorisant les interactions interdisciplinaires. Autrement dit, le recours à l’image sous ses différentes formes (films, documentaires, dessins, photos…) comme objet de médiation au service de la pluridisciplinarité. Le présupposé était qu’il s’agissait d’un objet intermédiaire ou frontière facilitateur des interactions, confrontations, voire disputes entre disciplines. Les laboratoires porteurs du projet, le COMPTRASEC UMR 5114 et l’équipe EPICENE du Centre sur la santé de la population U1219, se sont associés avec l’Université de Poitiers et de Pau dans une démarche de médiation scientifique et culturelle, basée sur une collaboration avec le Festival international Filmer le travail de Poitiers. Cette médiation s’inscrit dans une dynamique de décentralisation du festival en Gironde et plus généralement dans la grande région Nouvelle-Aquitaine.
Les objectifs étaient de structurer un retour d’expérience sur des projets pluridisciplinaires en cours dans l’Université de Bordeaux ou de la nouvelle région, afin de valoriser les résultats ainsi atteints, d’encourager le développement de cette pratique de recherche pour répondre aux besoins aux enjeux des évolutions sociétales, d’encourager des doctorants et futurs doctorants à s’engager dans ce type de recherche tout en veillant à sécuriser leurs débouchés.
Empreinte d’interrogations épistémologiques, l’université d’été a questionné le rôle des différentes disciplines dans la santé au travail, mais aussi comment entamer un dialogue, favoriser un « pas de côté » (Dos Santos) qui offrirait de nouvelles perspectives non encore envisagées jusque-là. L’université d’été a aussi montré une capacité à mettre en débat les questionnements scientifiques avec les acteurs sociaux et la société civile.
La santé au travail interroge les conditions de travail,
« comment le travailleur peut-il redevenir un sujet au sein d’un monde de production ? » (Cyril Cosme, BIT).
L’image en est un des vecteurs, mais aussi une voie pour resituer l’humain dans le travail, et réciproquement. Bon nombre de disciplines sont en débat autour de ces questions. L’université d’été sur le travail à l’aide de l’image a su leur donner un écrin pour les croiser, pour nous questionner sur la réhumanisation du travail.
Le professeur Pierre Verkindt rappelait que
« La pluridisciplinarité ne se décrète pas, elle se construit » ,
cette réflexion reflète bien l’ambition de ce projet d’université d’été sur le travail. Organiser le dialogue entre les disciplines est un levier utile pour retrouver du sens au travail, tendre vers des changements de paradigmes, réconcilier les approches abstraites et concrètes du travail. Le rôle de croiser les disciplines est aussi d’apprendre des uns et des autres; Marc Loriol soulignait justement qu’
« On apprend plus dans un collectif de proches que seul avec des inconnus ».
Catherine Laurent a souligné que bien souvent les difficultés rencontrées dans des exercices de recherche pluridisciplinaires sont liées à une sous-estimation des différences, voire des désaccords au niveau intra-disciplinaire, ce qui n’est pas toujours compréhensible pour les autres disciplines.
L’Université d’été pluridisciplinaire sur le travail a aussi montré dans cette première édition combien il était essentiel de savoir lire la société en n’étant pas surplombant de manière à empêcher la lecture du réel seulement au prisme de nos disciplines. La première journée était dédiée aux arts et aux sciences envisagés comme une voie pour la pluridisciplinarité. Le but était d’interroger les usages des images pour mettre en discussion les relations entre la santé, le travail et la culture artistique. Les questionnements se sont poursuivis le deuxième jour en invitant différentes disciplines scientifiques à expliquer leur rapport à la pluridisciplinarité. Ont ainsi été conviés les sciences de gestion (Jean-François Chanlat), le droit (Pierre-Yves Verkindt), l’ergonomie (Anne-Sophie Nyssen), l’anthropologie (Marc-Eric Gruenais), l’économie (Catherine Laurent), la sociologie (Jean-Noël Jouzel). Les troisième et quatrième journées ont abordé la pluridisciplinarité et le travail à travers deux exemples de réalisation de projet de recherche, respectivement sur les risques psychosociaux au travail et sur les pesticides. Enfin, la cinquième et dernière journée fut consacrée à la conclusion de l’université d’été en mettant en évidence les attentes de la société civile en matière de compétences pluridisciplinaires et formulant les conditions du développement de pratiques réellement pluridisciplinaires en santé au travail au sein de l’Université de Bordeaux.
Cette première édition de l’Université d’été pluridisciplinaire et internationale sur le travail a démontré combien il était essentiel de faire dialoguer les disciplines et de constituer des lieux d’apprentissage et d’écoute. Cet esprit va se prolonger au sein d’une deuxième édition organisée à Bordeaux du 2 au 7 juillet 2018 sur le thème « Innovations technologiques et travail ».