Corps de l’article

Introduction

Dans différents contextes d’enseignement, et particulièrement dans le contexte universitaire, le cours magistral occupe une place centrale. C’est pourquoi, dans une optique d’amélioration des pratiques d’enseignement, il est nécessaire de se pencher sur ce processus de transmission et d’apprentissage très répandu (Daele et Sylvestre, 2013). Plus particulièrement, notre recherche se centre sur l’étude de la pragmatique de ces « actes de parole » (Nuchèze, 2001) c’est-à-dire à l’exploration conjointe :

  • des différents usages de la langue par les enseignants

  • des effets produits et des significations construites par les étudiants en regard des moyens langagiers mobilisés par l’enseignant (Auriac-Slusarczyk, 2013).

Nous focaliserons notre attention sur une pratique langagière quasi spontanée pour l’enseignant et faisant partie intégrante du discours pédagogique : l’exemple (Delserieys et Martin, 2016). Nous suivons en cela notamment les propositions de Denhière et Richard (1990) qui plaident pour la mise en place de recherches consacrées aux exemples. Plusieurs auteurs (Barth, 1987 ; Watson et Mason, 2002) insistent en effet sur l’importance du choix de l’exemple afin d’accompagner les étudiants dans leur apprentissage. Or, étonnamment, peu de recherches ont été menées sur le recours à l’exemple, ses usages ou ses vertus pédagogiques. Les quelques recherches consacrées actuellement à l’exemple comme pratique langagière se focalisent essentiellement sur le point de vue de l’enseignant, ses usages, ses intentions, ses régularités. C’est notamment le cas des analyses de discours de l’enseignant, notamment à travers des interviews par autoconfrontation avec celui-ci. (e.g. Vinatier, 2013). En revanche la manière dont les exemples sont perçus et reçus par les étudiants est peu documentée (Delserieys et Martin, 2016). Or, pour compléter notre connaissance sur les exemples en contexte pédagogique, il est crucial de s’intéresser également au point de vue des étudiants et de comprendre la manière dont ils reçoivent et donnent sens à l’exemple qui leur est présenté (Beaudoin et al., 2014). On notera toutefois l’exception de la didactique des mathématiques pour laquelle plusieurs travaux ont été consacrés à l’exemple mais davantage au sens illustratif représentation, modèle, diagramme, formule, qu’au sens langagier qui sera le nôtre.

Intentions et objet de la recherche

Notre recherche vise l’étude des impacts que produisent les exemples chez un étudiant en fonction de certaines propriétés identifiées dans le discours exemplificateur de l’enseignant. Notre objectif est de répondre à trois questions principales :

  • Quelles sont les différentes propriétés des exemples mobilisés dans le contexte universitaire ?

  • Quels sont les différents impacts que les exemples peuvent produire chez les étudiants ?

  • Existe-t-il des liens entre les propriétés de l’exemple mobilisées et les impacts produits ?

Revue de la littérature

Le langage constitue un objet essentiel de l’étude du travail enseignant (Bucheton, 2005).

Il regroupe « les différentes interventions dont le but est d’agir sur la classe ou sur les élèves, et même de les faire (ré-) agir pour qu’ils construisent les connaissances visées » (Roditi, 2014, p. 87). Au sein de ce langage, l’exemple y représente un élément clé (Delserieys et Martin, 2016). L’exemple, en tant qu’élément de discours, constitue un objet d’étude transversal à de nombreuses disciplines : en linguistique (Fischer, 1995 ; Badir, 2011), en rhétorique (Amossy, 2012), en pédagogie (Pieron, 2011), en psychologie cognitive (Clément, 2014), en histoire des idées (Angenot, 2014), en littérature (Van Beveren, 2011), en philosophie (Brinton, 1988).

Les types d’exemples

Amossy (2012), en référence à Aristote, mentionne deux types d’exemple :

  • Les exemples réels qui relatent des faits accomplis antérieurement ;

  • Les exemples fictifs qui sont inventés par le locuteur à des fins d’illustration.

Par ailleurs, en pédagogie, nous pouvons distinguer également deux autres types d’exemples :

  • L’« exemple emblématique » (Faulx et Danse, 2015), ou « exemple abstrait » (Vezin, 1972), est une illustration prototypique dont chacune des caractéristiques correspond à chacun des points du concept exemplifié. Il constitue en quelque sorte la « parfaite illustration » de la théorie, parfois au prix de certains compromis avec la réalité ;

  • L’« exemple heuristique » (Faulx et Danse, 2015), ou « exemple concret » (Vezin, 1972), ne « colle » pas tout à fait à la théorie. Il comprend généralement des informations supplémentaires qui ne sont pas directement liées à la théorie et ne reprend pas parfaitement tous les éléments de la théorie qu’il est censé illustrer. C’est généralement en raison de son caractère plus « réaliste » qu’il s’éloigne du prototype illustratif de la théorie. Dès lors, nous pouvons déjà mettre en parallèle ces types d’exemple et élaborer une typologie comprenant quatre exemples particuliers.

Tableau 1

Croisement des types d’exemple selon Amossy (2012) et Faulx & Danse (2015)

Croisement des types d’exemple selon Amossy (2012) et Faulx & Danse (2015)

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En pédagogie, plus spécifiquement, exemplifier permet d’illustrer des concepts abstraits par des situations concrètes, du général par du particulier, de la « théorie » par de la « réalité » ou de la « pratique » (Faulx et Danse, 2015). L’utilité de l’exemple ne se limite donc pas uniquement au « goût du concret » (Pachet, 2007, p. 11), mais possède également une force propre (ibid.). Structurellement, un discours contenant un exemple est toujours composé de deux parties : (1) le concept, la thématique ou la notion que l’on veut illustrer, appelée partie exemplifiée et (2) la narration d’un cas, d’une situation, d’un récit, dénommée la partie exemplifiante (Miéville, 1983). On peut donc dire que l’exemple signe le passage de l’argumentatif au narratif (Angenot, 2014). Fonctionnellement, Miéville (1979, voir Delcambre, 1997, p. 65) distingue deux rôles différents de l’exemple selon l’agencement des parties exemplifiée et exemplifiante :

  • « illustrative » si la partie exemplifiée précède la partie exemplifiante. Eggs (2014, p. 137) parle d’exemple déductif. Dans ce cas de figure, le but de l’exemple est de rendre plus lisible et accessible le contenu transmis par l’enseignant.

  • « constructive » lorsque l’exemple précède les concepts théoriques. Le but est alors l’induction du concept visé en mobilisant des objets qui possèdent la propriété que l’enseignant veut mettre en évidence. Pour Eggs (2014), il s’agit d’exemples inductifs puisque le récit est suivi de la généralisation.

Enfin, Miéville (1983) mentionne le cas d’exemples où ces deux parties sont enchâssées les unes dans les autres, mettant en scène un constant va-et-vient entre exemplifié et exemplifiant (Nonnon, 1993 voir Perrin et Martin, 2007). Dans ce type de configuration, l’exemple joue simultanément une fonction illustrative et constructive.

Les impacts des exemples

Van Lehn (1996) pointe l’importance des exemples dans l’acquisition des connaissances. De leur côté, Denhière et Richard (1990) estiment que l’exemple joue un rôle primordial dans la « construction d’un contenu abstrait » et, plus largement, « dans l’acquisition d’une connaissance nouvelle » (ibid. p. 177). En outre, il apparaît que, dans le cadre des tâches d’abstraction, l’exemple permet une meilleure appréhension globale du concept et une prise en compte plus complète des éléments constitutifs de celui-ci (Vezin, 1972). Il apparaît notamment que les exemples concrets (ou emblématiques) permettent une prise en compte plus complète des constituants du concept ainsi qu’une empreinte mnésique plus importante alors que les exemples abstraits (ou heuristiques) facilitent « la capacité d’envisager successivement deux concepts différents » (Vezin, 1972). Dans le domaine de l’apprentissage des mathématiques, selon Kaminski (2006) et De Bock et al. (2013), un exemple abstrait favorisera le transfert vers un contexte abstrait alors qu’un exemple concret facilitera un transfert vers un contexte concret. La recherche de Na Sio, Kotovsky et Cagan (2015) met en évidence des liens entre exemple et créativité. Selon ces auteurs, l’introduction d’exemples dans le discours augmente la qualité des idées développées par les étudiants ainsi que le caractère innovant de celles-ci. En revanche, elle limite la quantité d’idées formulées par ces mêmes étudiants. Au terme de cette revue de littérature, nous constatons qu’un exemple peut se décrire à partir de sa structure et de son type. Ces deux aspects seront observés dans le cadre de cette recherche.

Méthodologie

Du point de vue épistémologique, notre recherche revêt trois spécificités par rapport aux travaux antérieurs sur le sujet :

  • Comprendre les propriétés de l’exemple à partir de la perception de l’étudiant plutôt que de celle de l’enseignant concerné ou d’un chercheur qui réalise une analyse de discours.

  • Observer l’effet du discours pédagogique sur les états internes des étudiants. Généralement, lorsque l’effet du discours est abordé, il l’est au travers de manifestations observables en classe (e.g. Bucheton et Soulé, 2009) ou de performances particulières (e.g. Na Sio, Kotovsky et Cagan, 2015). Les états internes sont, par contre, beaucoup moins investigués.

  • Investiguer tout type d’impact en ne se limitant pas aux seuls aspects de compréhension et d’acquisition de connaissance, ce qui constitue plutôt la tendance historique des recherches dans le domaine (Vezin, 1972 ; Van Lehn, 1996 ; Perrin et Martin, 2007).

Contexte de la recherche

La recherche se déroule à l’Université de Liège (Belgique) dans le cadre de cinq cours dispensés en baccalauréat (3e année) et Master en Psychologie, en Sciences de l’Éducation et en Sciences Sociales. Il s’agit de cours magistraux portants sur

  • la psychologie de la santé (143 étudiants),

  • la dynamique des groupes (105 étudiants),

  • le développement psychologique de l’enfant (217 étudiants),

  • les normes sociales (174 étudiants),

  • la psychopathologie du développement (203 étudiants).

Design de la recherche

Cette recherche repose sur un design méthodologique en six temps :

Filmer les enseignants : l’enseignant en train de donner cours est filmé

Sélectionner les extraits : pour chacun des cinq cours, nous relevons tous les exemples mobilisés par l’enseignant. Nous en tirons alors cinq au hasard destiné à être présentés à l’étudiant lors de l’entretien. Nos analyses porteront donc sur 25 exemples différents, chaque étudiant en commentant cinq. L’option de les tirer au hasard a été prise en raison de la perspective heuristique de cette recherche.

Mener les entretiens individuels : après le cours, une feuille remise à chaque étudiant lui permet de signifier sa volonté ou non de participer à la recherche et d’indiquer ses coordonnées. 15 étudiants ont répondu positivement. Nous avons alors pris contact avec eux.

Afin d’assurer le caractère éthique de la recherche, seule l’équipe de recherche connaît les étudiants qui ont participé. Le coeur de cette recherche concerne l’expérience vécue et le point de vue des acteurs. C’est pourquoi nous avons utilisé la méthode de recherche du rappel stimulé (Tochon, 1996), méthode consistant à montrer des traces vidéos d’une activité passée afin d’en favoriser le rappel et de remettre le sujet en situation. Il s’agit donc d’une méthode selon trois dimensions :

  • rétrospective car nous invitons l’acteur à se remettre dans une situation qu’il a préalablement vécue ;

  • objectivante car nous adoptons un point de vue extérieur et notre objectif est d’expliquer les comportements de l’interviewé

  • contrôlée dans le sens où nous donnons des consignes et décidons du fond et de la forme de la tâche à réaliser (Forget, 2013).

Concrètement, l’entretien commence par deux questions très générales : « qu’est-ce que tu peux me dire de l’exemple que tu viens de visionner ? » ; « qu’est-ce que ça fait chez toi ? ». Par la suite, on procède par reformulations et demandes d’approfondissement. Nous avons fait le choix méthodologique de questionner les étudiants sur les propriétés de l’exemple et simultanément sur les impacts générés chez eux. La tâche de l’étudiant était double :

  • Identifier les propriétés des exemples et leurs impacts

  • Expliciter les liens et les interactions entre chacun d’eux.

Réaliser une pré-analyse : la collecte des données est en constante interaction avec leur(s) analyse(s). La démarche adoptée mobilise le caractère itératif de recueil et d’analyse prôné par Glaser et Strauss (1967) dans le cadre de la Grounded Theory Method (GTM). Ainsi, après chaque entretien, l’équipe de recherche procède à une analyse à deux niveaux du discours del’étudiant. Cette analyse est archivée dans les résultats. Ces résultats soulèvent alors de nouvelles questions, qui sont réinjectées dans l’entretien suivant.

Ces nouvelles questions ou micro-hypothèses agissent ensuite comme guide à la collecte des matériaux suivants (Lejeune, 2014). Il ne s’agit donc pas d’un guide d’entretien standardisé. En revanche, la manière de concevoir les entretiens suit une trame identique en cinq étapes :

  1. Identification des catégories et thématiques mises en évidence par l’apprenant (e.g. nombre de situations relatées dans l’exemple).

  2. À partir de ces regroupements, analyse de la manière dont se comportent les nouvelles données en regard des précédentes catégories (e.g. lorsque l’étudiant commente le nombre de situations, il fait mention de la variété de contextes relatés).

  3. Hypothétisation permettant de confirmer les hypothèses ou d’ouvrir vers d’autres hypothèses de travail sur de nouvelles catégories ou encore de complexifier des catégories existantes au préalable (e.g. la variété de situations peut agir sur la compréhension et le transfert mais également sur la motivation et l’engagement de l’étudiant, impacts qui n’étaient jusqu’alors pas mis en évidence).

  4. Test des nouvelles hypothèses afin de vérifier si elles se confirment ou sont conditionnelles à d’autres facteurs (e.g. introduction de la notion proximité de contexte).

  5. Atteinte de la saturation théorique lorsque « les nouvelles données n’ajoutent pas de nouveau sens à ce qui est déjà compris » (Savoie-Zajc, 2007, p. 109).

Coder les entretiens : après chaque entretien, l’analyse des données se déroule en deux phases :

  1. Une analyse « de surface » où nous identifions et étiquetons les propos des étudiants. Ces annotations peuvent faire référence explicitement à une caractéristique spécifique de l’exemple ou ce que les étudiants disent de cette caractéristique. En d’autres termes, ce dont parle l’étudiant et ce qu’il en dit (Lejeune, 2014).

  2. Une analyse rigoureuse et systématique consistant en la mise en lien les différentes rubriques précédemment mises en évidence et les catégories émergentes. Tout d’abord, le chercheur distingue, d’une part, les propriétés des exemples et, d’autre part, les impacts. Ensuite, à partir des mots-clés de la première phase, le chercheur regroupe les propos du participant et les relie avec des catégories déjà existantes ou en crée de nouvelles. Enfin, il observe dans quelle mesure les nouvelles données apportent une nouvelle vision de la catégorie et, si nécessaire, en précise les points afin de les réinjecter dans l’entretien suivant.

    • Conceptualiser : après avoir réalisé l’étape précédente, nous recensons et mettons en évidence des caractéristiques précises de l’exemple mises en parallèle avec leur(s) impact(s) potentiel(s). Pour ce faire, nous réalisons des tableaux de synthèse. Ils croisent, en ordonnée, les impacts identifiés par les apprenants et, en abscisse, les propriétés identifiées par les étudiants. Il est alors possible d’identifier pour chaque propriété, les impacts (positifs et négatifs) mis en avant par les étudiants et d’y accoler les verbatim correspondants. Cette représentation graphique offre une vision synoptique des résultats.

Tableau 2

Représentation de l’intégration des résultats mettant en évidence les impacts et les propriétés

Représentation de l’intégration des résultats mettant en évidence les impacts et les propriétés

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Résultats

Les impacts des exemples

De manière générale, les impacts du recours à un exemple sont à la fois positifs et négatifs :

« L’exemple est utile ; C’est une aide ; Il n’y a pas eu pour cet exemple-là un premier apprentissage, en relisant, j’ai dû chercher un autre exemple ».

Plus précisément, l’analyse des entretiens nous apprend que l’impact perçu des exemples relève de six dimensions différentes qui s’influencent mutuellement.

Tableau 3

Les 7 gammes d’impacts de l’exemple

Les 7 gammes d’impacts de l’exemple

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Les propriétés des exemples

L’analyse des résultats fait ressortir trois familles de propriétés des exemples.

La nature de l’exemple représente le caractère emblématique ou heuristique de l’exemple. Les étudiants commentent le fait que l’enseignant recoure à des exemples simples, concrets et dépourvus de données non-nécessaires à la compréhension du concept (exemple emblématique) ou utilise des exemples qui comprennent beaucoup de détails, de données ou d’éléments qui ne relève pas spécifiquement du contenu abordé (exemple heuristique).

J’ai des éléments (de contexte) dans l’exemple (Heuristique)
C’est bien concentré sur l’explication. (Emblématique)

Les dimensions narratives de l’exemple font référence aux aspects relatifs à la manière dont l’exemple est raconté. Nous en identifions trois dans les propos des étudiants : La première a trait au statut de l’exemple par rapport à la réalité : l’exemple est soit présenté comme une situation qui s’est réellement passée (exemple réel) soit comme une situation inventée par l’orateur (exemple fictif).

C’est vraiment une explication de ce qu’il se passe réellement.

La seconde renvoie à la place de l’orateur dans l’exemple (Genette, 1972 ; 1983). Soit celui-ci est un protagoniste de la situation racontée (exemple homodiégétique) soit l’exemple met en scène d’autres personnages que lui (exemple hétérodiégétique).

(un exemple personnel de sa vie. (Exemple homodiégétique)

Il prend des exemples de la vie quotidienne. (Exemple hétérodiégétique)

La troisième se focalise sur la valence de l’issue de la situation racontée, selon que celle-ci est positive ou négative.

(il peut être face à des difficultés comme nous plus tard ou comme on a déjà pu l’être. (Valence négative)

Quand il dit « moi j’ai vécu ceci » et qu’il dit tout ce qu’il a fait… waw… (valence positive)

Les caractéristiques formelles de l’exemple correspondent à la forme de l’expression (Hjelmslev, 1928) de l’exemple telles que relevées par les étudiants :

  • La durée correspondant au temps vécu de l’exemple ;

  • Le registre lexical simple ou complexe mobilisé par l’enseignant lors du recours à l’exemple ;

  • Le rythme auquel parle l’enseignant, sa vitesse de locution ;

  • L’ordre dans lequel se succèdent les deux parties de l’exemple : concept puis exemple ou exemple puis concept ;

  • L’explicitation ou non du lien entre concept et exemple ;

  • La perception ou non du lien qui unit concept et exemple.

Figure 1

Propriétés de l’exemple

Propriétés de l’exemple

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Le lien entre les propriétés et les impacts de l’exemple

Tour à tour, nous allons reprendre les différentes propriétés des exemples identifiées par les étudiants et les mettre en parallèle avec les différentes gammes d’impacts perçus ou ressentis par eux.

La nature de l’exemple

Les impacts des exemples emblématiques

Les apprenants font état d’impacts positifs pour les exemples emblématiques. Plus particulièrement, les étudiants mettent en exergue le fait que lorsque l’enseignant se limite aux données essentielles et indispensables à la compréhension de l’exemple, cela simplifie et favorise leur compréhension. Ils mettent également en évidence des impacts positifs comme, d’une part, l’assurance de savoir à quel concept se réfère l’exemple et d’autre part, une limitation des risques de perte de sens et de complexité du discours.

Un exemple doit être simple pour l’étudiant. Même si c’est complexe dans les notions abordées, il doit être simple dans la compréhension. Pas de données accessoires. Ça n’a pas lieu d’être donc on perd finalement en essence et en simplicité du discours et on ne va plus à l’essentiel.

C’est pas comme s’il faisait plein des digressions et qu’il donnait l’exemple, non, c’est directement collé donc on sait tout de suite que c’est par rapport à ça.

Les impacts des exemples heuristiques

Par ailleurs, ils mettent en évidence des impacts plus contrastés concernant les exemples heuristiques. Nous allons nous intéresser dans cette section à ce qui fait qu’un exemple heuristique va plutôt générer des impacts positifs ou des impacts négatifs. Du côté des positifs, l’introduction par l’enseignant d’informations périphériques favorise, selon les étudiants, une meilleure mémorisation, une compréhension plus profonde et une intégration des apprentissages. De plus, ces données supplémentaires permettent aux étudiants de se représenter la situation et de tisser des liens entre l’exemple et leurs propres situations de vie.

Plus j’ai d’éléments dans l’exemple, plus je vais pouvoir m’en rappeler plus tard, je pourrai associer… plus il y a des éléments particuliers dans l’exemple, plus je vais avoir facile pour le récupérer plus tard.

Je prends, quand il donne plein de ces détails-là, pour réfléchir… on a le temps d’approfondir notre pensée.

Je retiens plus facilement quand il y a des détails.

C’était des détails mais qui offrent un peu plus de visualiser l’environnement… je pense que c’est tout ça qui rend un impact dans l’exemple et qui permet de s’en souvenir.

Ça permet de revenir dans la vie, dans des situations qu’on pourrait rencontrer.

À l’inverse, ces informations supplémentaires fournies peuvent générer chez les étudiants de la confusion et du doute. Ils pointent des risques d’incompréhension dus à la quantité d’information à traiter. Ils mentionnent également la difficulté à percevoir la pertinence entre le concept appréhendé et les informations délivrées.

Il passe quand même une bonne partie de l’exemple à vraiment insister sur l’importance d’informations jugées accessoires, ça ne percute pas… je ne comprends pas, je n’ai pas compris cette partie-là.

À cause des informations « inutiles », c’est difficile à suivre, on peut partir dans beaucoup de directions, c’est assez vague.

Dans les discours des étudiants, l’impact positif ou négatif d’un exemple heuristique est lié à trois éléments enchevêtrés :

  • L’adéquation de l’exemple par rapport au concept exemplifié ;

    • C’est directement collé au concept

    • L’exemple doit être représentatif

    • L’exemple n’était pas en lien, ça n’illustre pas

  • La capacité de l’enseignant à expliciter les liens existant entre les données présentées et le concept ;

    • Il manque des liens plus clairs entre le concept et l’exemple… ce n’est pas bien ordonné

    • On peut suivre (le raisonnement) concrètement où on est et voir à quoi se rapporte l’exemple

  • La capacité de l’étudiant à identifier ces différents liens.

    • On pouvait directement saisir le lien entre cette définition et avec un cas concret.

Les dimensions narratives de l’exemple

En ce qui concerne cette famille de propriétés, les étudiants se sont essentiellement focalisés sur les exemples présentés comme réels et les exemples homodiégétiques (appelés par les étudiants témoignages ou exemples vécus). De plus, ils ont également abordé de manière ponctuelle les exemples à valence positive et négative.

Exemple présenté comme réel : Pour ce statut narratif de l’exemple, les apprenants mettent en évidence des impacts positifs sur la mémorisation, la compréhension et le transfert du concept exemplifié. Plusieurs dynamiques ont été identifiées pour comprendre cet impact. Tout d’abord, le fait que l’exemple soit réel le situe dans un contexte et, pour les étudiants, cela rend le concept plus utile et légitime.

Ça rend les choses plus concrètes et qu’il y a vraiment une application à ce que l’on voit… c’est vraiment quelque chose appliqué à la vraie vie, c’est vraiment une explication de ce qu’il se passe réellement.

Ensuite, dans les extraits qui suivent, on voit également que le caractère quotidien de l’exemple impacte positivement sa réception.

Il prend des exemples de la vie quotidienne, il fait des parallèles avec la vie courante, des éléments qu’on pourrait rencontrer dans la vie de tous les jours. Ça m’aide vraiment à comprendre.

Un parallèle avec quelque chose de ce moment-là, quelque chose de l’actualité… ça me permet de fixer.

Par ailleurs, nous pouvons pointer l’importance de « l’effet d’écho » dans la réception de l’exemple. Cet effet d’écho fait référence à l’activation chez l’étudiant d’un déjà-là. Ce déjà-là peut concerner une expérience antérieure, actuelle ou future chez l’étudiant. En revanche, on note une diminution de l’intérêt et une difficulté à s’en faire une image quand l’exemple est réel mais ne fait pas écho aux étudiants.

Tandis que… expliquer ce que quelqu’un d’autre a vécu, c’est moins intéressant.

C’est plus dur de me le représenter parce que j’ai pas du tout ça dans mon vécu.

C’est difficile de se représenter la situation.

Exemple homodiégétique : Les impacts positifs des exemples homodiégétiques, relevés par les étudiants, sont liés à différents processus.

Une facilitation de la mémorisation générée par le côté singulier, particulier, unique de l’exemple

J’aime bien un exemple personnel de sa vie, comme c’est particulier ça me permet de fixer plus facilement en mémoire… c’est une nouvelle donnée, c’est différent.

Je retiens plus facilement quand il y a des détails et que ça ne se confond pas avec ma vie… il n’y a pas de liens qui se fait avec des données que je pourrais avoir à moi, de mon côté et qui pourraient venir contaminer le truc… j’ai un exemple pur et clair.

Une accroche émotionnelle (2 premiers) généré par le côté vécu, personnel de l’enseignant

J’aime toujours bien les exemples qui sont un peu personnels parce que, du coup, ce sont des exemples qu’on ne voit pas partout.

J’aime bien on ressent que c’est du vécu, qu’il essaie de nous le transmettre.

Une facilitation du transfert et une projection identitaire activées par l’introduction d’une situation qui est nouvelle pour l’étudiant et qui le questionne

Ça me remet même parfois en contexte à certains moments d’essayer de voir par moi-même dans un contexte vécu qui est celui que je n’arrive pas forcément à comprendre.

Je me dis aussi si ça m’arrive, si ça arrive dans une classe avec quatre ou cinq petits.

L’analyse des discours montre que cette structure narrative peut avoir également des impacts négatifs. En effet, l’exemple homodiégétique provient, par définition, du monde de l’enseignant et peut donc être plus ou moins éloigné du monde de l’étudiant. La méconnaissance de ce monde par l’étudiant peut :

  • l’amener à avoir des difficultés à se représenter la situation et

  • générer un travail cognitif d’intégration et de mise en lien avec son propre monde plus difficile et intense.

Je ne connais pas du tout le monde de la supervision, c’est difficile de se représenter la situation.

C’est plus dur de me le représenter parce que j’ai pas du tout ça dans mon vécu.

Il m’a fallu du temps pour l’intégrer justement et pouvoir l’illustrer avec d’autres exemples que j’avais vécus pour vraiment vérifier si j’avais compris justement cette notion ou non.

Les impacts des exemples homodiégétiques réels avec issue à valence positive

Les étudiants ont également identifié des impacts quant à une combinaison particulière de dimensions narratives : les exemples homodiégétiques réels à valence positive EHoR + Ces exemples sont, selon eux :

  • Une puissante accroche motivationnelle et émotionnelle. En effet, les étudiants témoignent de l’intérêt, du plaisir et de l’amusement qu’a généré l’écoute ce type d’exemple.

  • Un moyen de légitimation de la source du message (éthos), de l’institution universitaire qu’elle représente et de la valeur perçue du concept exemplifié.

Ça assied sa légitimité.

J’étais partie, j’ai été accrochée par l’exemple

Il s’implique… ils ont déjà fait autre chose que donner cours dans leur vie.

Ça me donne l’impression que c’est plus vrai, plus palpable, plus réel !

Néanmoins, il semble que proposer des EHoR + peut nuire à la créativité des étudiants en les empêchant d’imaginer des pistes d’actions alternatives à la situation présentée. Ainsi, la solution présentée par l’enseignant devient, en quelque sorte, la seule et unique solution au problème présenté.

Quand il dit « moi j’ai vécu ceci » pour moi c’est un problème en fait… on pourrait aussi proposer d’autres pistes car pour moi, il n’y a jamais une seule solution dans ce genre de situation.

Les impacts des exemples homodiégétiques avec issue à valence positive

Au contraire, les exemples EHoR négatifs (EHoR-) semblent stimuler la créativité en activant la recherche d’alternatives d’action par rapport à la situation problématique exemplifiée.

Je me mets à la place de la fille qui est dans la situation et j’essaie de voir ce que je pourrais faire…

De plus, ils conduisent à un rapprochement entre l’orateur et les participants dans le sens où le fait d’être face à un problème ou d’avoir « mal agi » humanise en quelque sorte l’enseignant et rassure les étudiants dans leur capacité à faire face aux problèmes.

Il est humain comme nous.

Ça permet de voir que c’est un être humain, qu’on est des êtres humains, qu’on communique ensemble sur des faits qui lui sont arrivés en tout cas.

C’est normal, il y a des moments où on ne comprend pas ce qu’il se passe, c’est pas grave.

On peut considérer que ça me rassure dans le sens que… justement il peut être face à des difficultés comme nous plus tard ou comme on a déjà pu l’être.

Les caractéristiques formelles de l’exemple

Nous reprenons ici tour à tour chaque caractéristique formelle de l’exemple relevé par les étudiants et détaillons les impacts qu’ils leur attribuent. Il est important de préciser que lorsque les étudiants abordent les caractéristiques formelles de l’exemple, ils parlent de la perception qu’ils en ont. Cette posture s’incarne dans la ligne de cet article qui s’intéresse à l’expérience de l’étudiant et comment il relie la perception qu’il a de l’exemple avec les impacts qu’il identifie chez lui.

Les impacts de la durée

Les étudiants ont mis en évidence des impacts contrastés liés à la durée de l’exemple. Le premier impact commenté concerne le relâchement de la charge cognitive généré par l’exemple jugé long. Ce relâchement est lié à des impacts positifs sur l’apprentissage dans le sens où l’exemple octroie une forme de pause à l’étudiant.

Le temps dont il en parle, ça nous permet de suivre c’est plus au niveau de la durée dessus, au niveau des exemples.

C’est un temps de pause pour assimiler.

D’un autre côté, ce relâchement peut également générer un décrochage du discours.

Pour qu’il soit efficace, l’exemple ne doit pas être trop long parce qu’au bout d’un moment, on décroche dans l’exemple.

Pour expliquer ce phénomène, les étudiants mettent en évidence des difficultés de compréhension et une perte de sens dues à la trop grande charge cognitive mobilisée par l’exemple. De plus, une durée jugée trop longue de l’exemple semble provoquer un désengagement et une baisse de l’attention.

Les impacts du registre lexical

Les étudiants pointent que le recours à un registre lexical simple facilite leur compréhension et la clarification du concept abordé.

Avec des termes beaucoup plus faciles et un langage proche de nous… je trouvais que c’était clair…

Ça me parle parce que je comprends tous les termes qu’il utilise.

C’est compréhensible par tout le monde les termes qu’il utilise ne sont pas compliqués, pas trop alambiqués.

Ils notent également qu’un registre trop complexe nuirait à leur attention.

Il n’y a pas de termes un petit peu trop scientifiques qui va faire qu’on décrocherait.

Lorsqu’ils sont confrontés à un registre lexical qu’ils jugent complexe, les étudiants doivent faire face à une tâche double :

  • Retenir l’exemple mobilisé (notamment grâce aux prises de notes) ;

  • Le reconstruire avec ses propres termes afin de le rendre intelligible.

Cette charge cognitive ne semble pas à la portée de tous les étudiants qui mettent en évidence des difficultés de compréhension et de mémorisation. Ici on voit un premier étudiant qui explique qu’il parvient a posteriori à intégrer le contenu exemplifié alors que le second échoue dans la phase d’acquisition.

En redécomposant le vocabulaire utilisé par ce que je connais, en remontant le puzzle, je vois où il veut en venir mais ça ne se passe pas au moment du cours, ça se repasse par après. C’est vraiment un travail en 2 temps… j’ai compris l’idée générale grâce à son exemple même s’il a fallu que je me questionne sur certains mots.

Je ne me souvenais pas du tout de ce terme-là, je ne l’ai pas imprimé.

Par ailleurs, le registre lexical suscite des émotions telle que la réassurance pour le registre lexical simple (premier extrait) et le doute, le découragement et le stress pour le registre lexical complexe (deuxième et troisième extraits), celles-ci impactant directement les capacités cognitives et motivationnelles de l’apprenant.

Ça me rassure.

Ça engendre du stress… ça me décourage plus que tout.

Je suis perdue, déstabilisée.

Les impacts du rythme

Un rythme perçu comme soutenu ou rapide semble impacter négativement la capacité des étudiants à mémoriser, à vérifier leur compréhension du concept et, par conséquent, à l’assimiler.

Donc je pense vraiment que ça allait fort vite et je ne me souviens pas qu’elle ait dit “premièrement et deuxièmement”.

Je n’ai pas le temps d’intégrer, d’assimiler ce qu’elle dit.

À l’inverse, un rythme plus lent donne, aux étudiants, le temps de se représenter la situation, de suivre le cours et leur permet de rester attentifs tout au long du discours.

Il prend bien le temps, il nous laisse le temps, de, de nous identifier, d’imaginer la situation.

Ça nous permet de rester avec lui et de se faire une image.

Le temps dont il en parle, ça nous permet de suivre.

Les impacts de l’ordre

Il semble que présenter d’abord le concept suivi de l’exemple permet une meilleure compréhension et clarification du concept ainsi qu’une identification explicite du concept exemplifié. Ces trois extraits témoignent d’une plus-value pour la compréhension lorsque la définition du concept exemplifié arrive avant l’exemplification.

Quand il présente d’abord le concept. C’est beaucoup plus clair pour moi, pour la compréhension.

Quand le concept est avant. Je trouve que c’est plus facile de comprendre que l’inverse.

D’abord, ça permet de voir le concept, ça nous permet de faire une fine analyse… et puis il y a l’illustration de l’exemple qui vient exemplifier, illustrer le concept, la définition… donc on cadre les choses pour être sûr qu’on parle tous de la même chose.

À l’inverse, présenter l’exemple avant le concept génère chez les étudiants une difficulté à identifier le concept auquel l’enseignant fait référence à travers son exemple. Cela génère de l’inconfort et la confusion.

Ça m’embrouille d’avoir d’abord l’explication < ici, l’exemple > avant de dire ce que c’est… je me dis à quoi elle se réfère avec cet exemple-là.

Je ne sais pas à quoi rattacher, quel concept est-ce… ?

Les impacts de l’explicitation du lien entre exemplifié et exemplifiant

Expliciter le lien entre concept et exemple semble permettre une meilleure compréhension et rassurer l’étudiant sur la qualité de son écoute et de sa compréhension.

Quand il dit quel concept l’exemple illustre. On peut suivre < le raisonnement > concrètement où on est.

Comme il nous avait expliqué le lien avant. On pouvait directement saisir le lien entre cette définition et avec un cas concret.

En complément, nous voyons que ce n’est pas seulement le fait que l’enseignant explicite le lien qui importe mais aussi le fait que l’étudiant l’identifie lui-même avec ou sans l’aide de l’enseignant. Dans le cas où le lien est perçu, l’exemple impacte essentiellement la mémorisation et la compréhension de l’étudiant.

C’est quelque chose qui est très frappant, ça marche, ça colle, ça match, ça vient bien illustrer son propos.

C’est directement collé au concept, donc c’est directement compréhensible.

Dans le cas où ce lien n’est pas perçu, il peut constituer un frein à la compréhension. Notons que cette non-perception peut soit venir du fait soit que l’enseignant n’a pas précisé le lien qui unissait son exemple au concept qu’il illustre soit que l’étudiant n’a pas identifié ce lien.

Il manque des liens plus clairs avec les concepts… ce n’est pas bien ordonné. Ça part dans plein de sens, moi dans ma tête en tout cas.

Pour comprendre au cours, j’ai besoin de liens clairs.

Il passe quand même une bonne partie de l’exemple à vraiment insister sur l’importance de < contenu spécifique > ça ne percute pas.

L’exemple n’était pas en lien, ça n’illustre pas… j’ai pas très bien compris.

Je ne vois pas trop la pertinence d’insister sur le fait… ça m’embrouille plus qu’autre chose en fait, je les comprends à moitié, je pense avoir compris mais je suis pas sûr à 100 %.

Nous pouvons constater que cette non-perception peut amener également des impacts positifs dès lors que l’étudiant entreprend la démarche de les tisser lui-même. En effet, le no-matching concept-exemple peut pousser l’étudiant à mettre en place des stratégies personnelles d’explicitation : en savoir plus, à en débattre, à y réfléchir voire à élaborer lui-même ses propres liens.

Je dois faire moi-même les liens, ce qui n’est pas plus mal non plus. Comprendre par moi-même, ce qui va s’inscrire plus facilement du coup.

Ça a piqué ma fibre de chercheur.

Ça matchait pas… ça a éveillé ma curiosité.

Ça a créé du débat, du partage.

Je dois faire moi-même les liens, ce qui n’est pas plus mal non plus. Comprendre par moi-même, ce qui va s’inscrire plus facilement du coup.

Autres observations

Au-delà de l’analyse qu’on peut faire exemple par exemple, les étudiants ont également fait référence au fait que l’enseignant mobilise plusieurs exemples dans sa démarche d’exemplification. Les étudiants font référence à deux dimensions :

  • La multiplicité des exemples relatés par l’enseignant ;

  • La proximité de contexte entre les différents exemples proposés au sein de sa démarche d’exemplification. Ainsi, les exemples peuvent être issus ou non d’un même contexte professionnel ou spatio-temporel.

Les impacts des exemples multiples

Présenter plusieurs exemples a des impacts diversifiés sur les plans cognitif et motivationnel. Ainsi, proposer plusieurs exemples permet à l’étudiant de mieux comprendre. En les multipliant, l’enseignant favorise le fait que les étudiants comprennent et suivent son raisonnement grâce à, au moins, une de ses situations. De plus, ces différentes situations peuvent également continuer à nourrir et à affiner la compréhension du concept.

Si on loupe une partie, ça nous permet de suivre et de récupérer, je vais dire qu’on comprend quand même.

Si on n’en comprend pas un, on devrait logiquement comprendre les autres.

Là, il utilise deux exemples, c’est encore mieux.

En revanche, le danger est de proposer plusieurs exemples pour un concept déjà assimilé par les étudiants. Cette avalanche d’exemples provoque alors une baisse de l’attention et un désintérêt pour le cours.

C’est bon, on a compris.

Il insiste en donnant des exemples, il n’y a pas besoin.

Les impacts de la proximité de contexte entre différents exemples

Ici, le premier extrait met en évidence l’impact positif sur la compréhension que permet la multiplication des cas issus d’un même domaine. Les deux suivants, soulignent les impacts sur la capacité à transférer le concept exemplifié à d’autres contextes.

Selon les étudiants, une proximité de contexte entre les exemples améliore la compréhension. D’un autre côté, une variété de contextes amène d’autres impacts positifs tels que la capacité de l’étudiant à envisager différents contextes d’application du contexte ou la possibilité d’identification à l’exemple multiples.

C’est comme ça que c’est plus facile parce que si on avait utilisé différents exemples qui n’allaient pas bien entre eux ça aurait été plus compliqué de comprendre.

Les exemples étaient différents. Ça permet de voir les contextes où ça s’applique.

Il peut parler au plus grand nombre ou faire écho chez plus de gens en faisant référence à 2 contextes distincts.

Discussion

Cette discussion sera structurée selon les trois questions de recherche présentées au début de ce travail.

Quelles sont les différentes propriétés des exemples mobilisés dans le contexte pédagogique ?

Le premier apport de cette recherche est la nouvelle structuration des propriétés de l’exemple en trois familles distinctes : la nature de l’exemple, sa structure narrative et ses caractéristiques formelles. En ce qui concerne la nature de l’exemple, les résultats confirment les observations de Faulx et Danse (2 015) quant à la distinction existant entre les exemples emblématiques et les exemples heuristiques. En ce qui concerne la structure narrative de l’exemple, nos investigations ont pu montrer que les exemples pouvaient se structurer selon deux critères mis en opposition :

  • Le caractère réel ou fictif de l’exemple (Amossy, 2012)

  • La présence ou l’absence de l’orateur dans l’exemple.

Il s’agit là d’un apport intéressant car si l’on se base sur Genette (1972, 1983), nous pouvons donc distinguer d’une part les exemples homodiégétiques, dans lesquels l’enseignant est présent dans l’exemple qu’il prend et les exemples hétérodiégétiques, dans lesquels l’enseignant est absent du récit. Dès lors, la combinaison de ces deux critères fait émerger quatre structures narratives différentes que peut revêtir l’exemple.

Figure 2

Structures narratives de l’exemple

Structures narratives de l’exemple

-> Voir la liste des figures

À ces deux dimensions croisées, nous pouvons ajouter une troisième dichotomie : l’issue à valence positive et l’issue à valence négative. De ce fait on crée une structure d’intelligibilité de l’exemple en huit modalités possibles. En ce qui concerne les caractéristiques formelles de l’exemple, outre les propriétés déjà abordées dans la littérature, les résultats ont mis également en évidence une liste importante de nouvelles modalités des exemples sur lesquelles l’enseignant peut s’appuyer pour élaborer ses exemples. Elles font référence à la durée de l’exemple, au rythme de présentation, au registre lexical utilisé, à l’ordre de présentation, à l’explicitation du lien et sa perception par l’étudiant et à la multiplicité des exemples et leur variété.

Quels sont les différents impacts qu’ils peuvent produire chez les étudiants ?

Là où la littérature scientifique se focalise essentiellement sur les impacts cognitifs des exemples, cette recherche a permis d’identifier un panel détaillé de six grands types d’impacts différents : cognitifs, motivationnels, identitaires, émotionnels, socio-affectifs et illustrateurs. Ceci permet de préciser la notion d’efficacité d’un exemple (Kersh, 1964 voir Vezin, 1972). Plus spécifiquement, en ce qui concerne l’impact cognitif, les recherches précédentes avaient déjà fait état de l’intégration de nouvelles connaissances, de la compréhension et de la mémorisation (Vezin, 1972 ; Perrin et Martin, 2007). Nos résultats confirment ces effets en y ajoutant d’autres : validation, accommodation, transfert, réflexivité. Par ailleurs, la littérature s’est intéressée aux impacts positifs des exemples. Nos recherches confirment cette tendance tout en mettant en lumière également l’existence d’impacts négatifs. À notre connaissance, les impacts négatifs des exemples et les processus qui conduisent à ceux-ci n’ont jamais fait l’objet de recherches.

Existe-t-il des liens entre les propriétés de l’exemple mobilisées et les impacts produits ?

Cette recherche révèle de multiples liens différents qui existent entre les propriétés identifiées et les impacts générés. Citons notamment :

  • Les impacts motivationnels positifs d’un exemple homodiégétique,

  • L’ajout de nouveaux impacts, tant positifs que négatifs, des exemples emblématiques et heuristiques (transfert, illustration, perte de sens).

  • La précision apportée aux liens existant entre le caractère réel ou fictif de l’exemple et ses impacts. En effet, c’est moins le caractère réel ou fictif intrinsèque de l’exemple qui semble impacter les étudiants mais bien la présentation qui en est faite par l’enseignant. En d’autres termes, c’est l’explicitation réalisée par l’enseignant de la situation exemplifiée comme relevant de la réalité ou de l’imagination de l’enseignant qui impacte l’étudiant bien plus que son caractère propre.

  • Les impacts négatifs d’un exemple éloigné du monde des étudiants. Ce constat rejoint les travaux de Overton et Bradley (2010) qui montrent que les exemples doivent faire partie de la sphère culturelle et sociale des étudiants.

  • Les impacts contrastés des exemples de nature différente ou de la multiplicité des exemples proposés, etc.

Ce constat met un focus tout particulier sur l’importance du choix de l’exemple (Watson et Mason, 2002) par l’enseignant.

Par ailleurs, nous notons que certaines propriétés des exemples ont un impact décisif sur le caractère jugé positif ou négatif de l’impact : la qualité du lien entre exemplifié et exemplifiant ; la simplicité/complexité du registre lexical ; l’ordre de présentation exemplifiant/exemplifié ; le rythme ; le nombre de situations, leur proximité de contexte, Nous discutons ci-après l’impact de certaines propriétés en lien avec la littérature existante :

  • L’explicitation du lien. Le constat selon lequel les étudiants accordent une forte importance à ce qu’il y ait un lien entre partie exemplifiée et partie exemplifiante (Miéville, 1986) nuance les conclusions de Vezin (1972) dans le sens où cette non-explicitation peut stimuler certains étudiants à construire eux-mêmes du sens.

  • Le lien avec la créativité. À l’instar de Na Sio, Kotovsky et Cagan (2015) nous avons pu relever des liens existant entre exemple et créativité. Néanmoins, nos résultats approfondissent et nuancent les conclusions des auteurs dans le sens où, d’une part, ce lien n’a été mis en évidence que dans le cas des exemples vécus et, d’autre part, que la valence de l’impact (positif ou négatif) dépend de l’issue positive ou négative de cet exemple.

  • L’ordre de présentation. Nos résultats abondent dans le sens des conclusions de Vezin (1972) sur l’intérêt de faire précéder le concept par l’exemple et les précisent en identifiant ce que recouvre « efficacité de l’exemple » pour les étudiants.

Pour terminer, comme l’a souligné Miéville (1983), nous avons pu observer à plusieurs reprises et sous différentes formes que les étudiants ne sont pas égaux face aux exemples. En effet, leur capacité à s’identifier à l’exemple, à pouvoir construire leurs propres liens, à comprendre le vocabulaire utilisé, etc. semble être une question cruciale qui mériterait d’être abordée dans des recherches futures. Cet article ouvre le champ à des pistes de recherches ultérieures comme l’approfondissement des dynamiques qui lient propriétés et impacts au départ des éléments identifiés dans cet article. À côté de ces perspectives scientifiques, d’un point de vue plus pratique, il serait possible à partir des résultats de bâtir un guide de bonnes pratiques quant à l’utilisation des exemples selon les impacts recherchés. L’apport de notre recherche a été de porter l’attention sur les propriétés critiques à prendre en compte dans le choix d’un exemple. Plus qu’un guide prescriptif, c’est un ensemble de dimensions pertinentes que le professionnel pourrait recevoir à partir de cette recherche.

Conclusion

Cet article invite à considérer l’exemple comme un geste professionnel à part entière. Cette pratique langagière intrinsèque à l’acte d’enseigner (Delserieys et Martin, 2016) est en effet loin d’être anodine. Alors qu’elle se développe souvent de manière intuitive, nous avons vu qu’elle peut se prêter à une analyse rigoureuse de ses différentes propriétés. En variant ces propriétés, l’exemple peut prendre des formes très différentes et produire des impacts également variés. Or, notre recherche montre que ce sont des mécanismes et des processus complexes qui lient les propriétés d’exemples à leurs impacts. Il invite donc les professionnels à diversifier les formes de recours à l’exemple en étant vigilants aux impacts provoqués et les scientifiques à poursuivre des recherches pour mieux connaître cet aspect fondamental du discours pédagogique.