Corps de l’article

Notre contribution porte sur l’observation de pratiques professionnelles mises en place autour d’un dispositif pédagogique original dans les écoles élémentaires françaises. Il est en effet question de situations moins ordinaires bien qu’elles soient désormais inscrites au programme national puisqu’il ne s’agit pas d’apprentissages fondamentaux, mais de discussions à visée philosophique (DVP). L’idée n’est pas de prétendre enseigner la philosophie aux enfants à cet âge, mais de les inviter à interroger des questions existentielles faisant sens pour eux, de les amener à développer leur esprit critique, de les amener à s’entre-écouter lors du travail collectif et ainsi de considérer leur construction collective émanant d’idées au départ individuelles (Specogna 2013). Nous expliciterons le dispositif dans la partie suivante. À trois moments distincts au cours de la même année scolaire, nous avons observé trois enseignantes à qui nous avons livré la même demande et dispensé les mêmes éléments de formation. Les enseignantes observées étaient volontaires pour participer à la recherche.

Bien que les critères ne soient pas identiques sur chacune des classes, ni pour chacune des enseignantes, nous rendrons compte, au sein de cet article, pour chacune d’elles, de la variabilité et de la régularité des pratiques ainsi que des résultats obtenus et ce, afin d’interroger ce qui pourrait être identifiable comme critère pour construire la norme DVP. Nous rendons compte de la trajectoire professionnelle de chacune des enseignantes et de la trajectoire mise en place pour la pratique d’enseignement poursuivie tout au long de l’année afin de mesurer les deux concepts énoncés préalablement soit variabilité et régularité. Aussi, nos analyses s’appuient sur les échanges qui ont lieu dans la classe lors de ces temps différents en rendant compte également de l’organisation pédagogique effectuée. Les résultats bruts exploités dans cette étude ont fait l’objet d’une publication - cf. Saint-Dizier, Specogna, Luxembourger (2016). En vue de répondre à l’objectif poursuivi dans cet article, ils seront analysés à la lumière de la question dont nous voulons nous saisir soit : la norme DVP, la variabilité et l’invariabilité de l’activité.

1. Éléments de Contexte de la recherche

Dans sa globalité, notre étude s’appuie sur des données longitudinales recueillies auprès d’enseignants des 1ers et 2ds degrés. Pour cet article nous nous focaliserons sur trois classes du 1er degré que nous nommerons E1 (Cours Préparatoire-6ans), E2 (Cours élémentaire 2e année 9 ans) et E3 (Cours Moyen 2e année-11ans). Les trois enseignantes n’ont ni le même niveau d’expertise ni le même niveau d’expérience pour ce type de pratiques. E1 est une jeune enseignante, elle a une ancienneté de deux ans dans le métier et s’essaie à cette nouvelle pratique pour la première fois. E2 a une ancienneté de 11 années dans le métier et est également novice pour ce type de pratique. E3 quant à elle a une ancienneté plus importante dans le métier : 24 ans. Elle est également PEMF[3] et a une expérience pour ce type de pratiques. Quels que soient le parcours et le degré d’expertise, elles reçoivent toutes trois en même temps une formation dispensée en deux temps et s’appuyant sur la méthode Lipman (1995). Le premier temps vise à leur présenter comment l’utilisation de la lecture de jeunesse permet aux élèves d’élaborer des questions qui seront le point de départ des DVP. Le second temps de cette formation vise à préconiser des conseils relatifs à l’animation des DVP : favoriser la curiosité, approfondir les mots chargés conceptuellement, faire une animation libre avec si possible des reformulations, ne pas tenter de coincer les propos, laisser aller les prises de paroles, faire trois mini synthèses dans une discussion, ne pas hésiter à intervenir pour donner son point de vue, ne pas être moralisatrice.

Suite à cette formation, sans avoir dû suivre un style d’animation imposé, chacune a oeuvré dans sa classe pour la mise en place de moments dédiés à la DVP, tout au long de l’année scolaire. Les enregistrements ont eu lieu sur une même période. Pour chacune, le recueil s’est effectué sur trois DVP par classe. Aussi chacune ayant avancé dans sa classe à son rythme, des écarts ont eu lieu sur le nombre[4] de DVP dispensées au cours de l’année. Nous sommes intervenues en recueil de données deux mois après la rentrée scolaire.

Les séances de discussions que nous avons enregistrées et transcrites ont toutes été précédées par une séance de recherche de la question à visée philosophique à traiter par l’ensemble des élèves de façon consensuelle - des questions du type : À quoi ça sert de partager ? Faut-il toujours dire la vérité ? Qu’est-ce qu’être libre ? Et c’est à partir de ce type de question que la séance DVP peut prendre forme. Ces séances DVP constituent l’objet de nos investigations.

2. Éléments de cadrage théorique de la recherche

En psychologie ergonomique comme en didactique professionnelle, former à une activité professionnelle requiert en amont de comprendre comment l’activité se déroule. Dans le contexte qui est le nôtre ici, nous voulons comprendre ce que les acteurs, en particulier les animateurs, sont amenés à faire dans ce type d’activité et comment ils s’y prennent.  Nous allons privilégier l’étude de la transcription de comportements langagiers produits en DVP, ce qui nous amènera à réfléchir sur le style d’animation engagé par l’enseignant et comment ce/ces style(s) impactent l’agir des élèves. L’objectif est ici de savoir si ces styles sont réguliers ou s’ils varient au vu d’éléments propres à la situation.

Observer et analyser les échanges entre partenaires demandent d’une part de s’intéresser à ce que font les animateurs pour le développement dans le collectif des échanges langagiers et à leur impact dans l’espace de travail. Notre approche s’inscrit dans un cadre pragmatique, interactionniste et systémique de l’activité ; ce qui suppose une prise en compte du contexte. Il convient donc que les interactions soient investies dans leur ensemble.

Les méthodes d’analyse des comportements langagiers reposent sur des théories et sur des modèles développés en psychologie sociale, en psychologie ergonomique et en sciences du langage. Elles permettent d’investir l’activité enseignante sous plusieurs angles. En l’occurrence, nous procédons à 1) l’étude de l’implication enseignante dans la gestion communicationnelle du groupe classe ; 2) l’étude de la structuration de l’activité et de la contribution des enseignants à cette construction et 3) l’identification des fonctions opératoires réalisées par les enseignantes.

Dans l’optique de dégager la forme du déroulement de la communication pour chacune de ces enseignantes au cours de l’année, nous nous exploitons les formalismes et schémas utilisés dans les années 50-60 en psychologie sociale pour l’étude des réseaux de communication (cf.Flament, 1965), pour une synthèse de ces travaux. Quand les groupes ont possibilité de s’organiser, ils adoptent un réseau de communication correspondant à la nature de la tâche qu’ils réalisent (Abric, 1984). S’il s’agit de trouver une solution à un problème, le réseau qui va se mettre en place est dit « centralisé » - un acteur prend en charge la répartition de la tâche et son affectation aux membres du collectif -, quand il s’agit de faire preuve de créativité, le réseau est dit « tous circuits » - le groupe s’auto-régule (Faucheux & Moscovici, 1960). Pour notre étude, si un élève ne parle qu’au maître ou si le maître parle à ses élèves pris un à un, le réseau qui se met en place est donc centralisé ; la centralité est occupée par le maître.

Qu’en est-il pour les DVP à étudier ? Est-ce les place et rôle occupés dans le groupe qui vont définir sa forme ou les contenus propositionnels des énoncés et leurs effets dans l’interaction ? Pour cette étude de l’organisation des communications, nous avons intégré la notion de « Boucle Conversationnelle » (BC). Les BC sont des structures conversationnelles qui apparaissent assez régulièrement dans les activités scolaires (Specogna, 2013).

Une BC est une séquence produite par deux locuteurs qui prend place dans un polylogue. Une BC comporte plusieurs interventions. L’intervention est la plus grande unité monologale (Roulet et al., 1985). Une BC s’ouvre lorsqu’un locuteur s’adresse à un interlocuteur particulier à propos d’un thème et se ferme lorsque l’interaction se déplace vers d’autres locuteurs que ceux impliqués dans la BC pour un autre thème ou pour une extension de celui-ci. Nous avons en outre affiné la notion de BC en distinguant les BCEE d’une part qui sont des BC impliquant un enseignant et un élève, des BCNE, d’autre part, qui sont des BC impliquant uniquement des élèves (en général deux, voire trois). Nous considérons également le nombre d’interventions par BC (Saint-Dizier, Specogna, Luxembourger, 2015). Pour définir les styles d’animation, nous nous sommes appuyés sur les catégories de Bales (1972) et le modèle de Genève (Roulet et al., 1985).

3. Résultats de la recherche

Observons les données issues de l’analyse des BC et de la distinction de celles-ci en BCEE et BCNE : (nous reprenons pour cela les 3 DVP filmées par enseignante).

Tableau 1

Nombre de BC et nombre moyen d’interventions par BC avec écart-type pour chaque DVP

Nombre de BC et nombre moyen d’interventions par BC avec écart-type pour chaque DVP

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3.1 Résultat tableau 1

On observe que le nombre de BC est plus important en CP qu’en CE1-2 et CM2 et que le nombre d’interventions par BC est moindre en CP qu’en CE1-2 et CM2. Ce qui somme toute est relativement banal comme constat, du fait de la jeunesse du public et du peu d’expérience de E1. Par contre, concernant E2 et E3, on constate que le nombre de BC est quasi équivalent avec cependant un écart entre le nombre moyen d’intervention pour ces deux classes. On pourrait penser que plus ils sont grands plus ils ont d’arguments. Plus l’expérience est importante plus on laisse de place aux échanges, voire qu’un enseignant PEMF serait plus à même de créer des espaces pour échanger à l’instar d’un enseignant non PEMF. Ici ce n’est pas le cas, la situation est relativement équilibrée entre la pratique de classe menée par E2 et celle menée par E3. Toutefois, observons si au sein des BC nous avons davantage de situations dialoguées soit des échanges impliquant un élève et l’enseignante ou si cela implique plusieurs élèves pour une même BC.

3.2 Résultats BCNE et BCEE sur les 3 conversations analysées par enseignantes :

  • En classe de CP, les 192 BC se distribuent en 156 pour les interventions impliquant un élève et l’enseignant soit 81,25 % des BC et 36 pour les interventions impliquant plusieurs élèves soit 18,75 % des BC.

  • En classe de CE les 126 BC se distribuent en 42 pour les interventions impliquant un élève et l’enseignant soit 33,33 % des BC et 84 pour les interventions impliquant plusieurs élèves soit 66,66 % des BC.

  • En classe de CM, les 112 BC se distribuent en 72 pour les interventions impliquant un élève et l’enseignant soit 64,28 % des BC et 40 pour les interventions impliquant plusieurs élèves soit 35,71 % des BC.

Comme déjà signalé (Saint-Dizier de Almeida, Specogna, Luxembourger, 2015), les occurrences de BCEE versus BCNE varient d’un enseignant à l’autre et de manière significative ([2] = 74,99, p<.01). Si le résultat pour la classe de CP peut avoir plusieurs explications en lien avec le début de pratique et d’expérience, le résultat que nous obtenons pour la classe E2 au regard de la classe E3 est davantage questionnant. On peut se demander en effet si la différence constatée est due au nombre d’années d’expérience ou à la fonction PEMF. Ce qui va faire l’objet d’une observation particulière ce sont d’une part le mode opératoire mis en place par le biais des échanges et d’autre part, l’observation des dispositifs pédagogiques développés par les enseignantes.

3.3 Norme DVP : variabilité versus invariabilité de l’activité

Chaque enseignante utilise l’interaction pour la menée des DVP. Dans chacune, des temps d’échanges dialogués s’effectuent ainsi que des temps d’échanges entre pairs. Aussi, la norme DVP s’élabore au travers des interactions verbales enseignant-élève et/ou élèves-élèves. Lorsque l’on approfondit l’étude des données, on constate des taux de participation différents des élèves ce qui somme toute est relativement attendu du fait de l’âge, de la capacité à argumenter, de la facilité à prendre la parole… que l’on connait des travaux en psychologie du développement. Pouvons-nous pour autant dire que cette différence est due au style d’animation de E ou à l’effet maître ou à la différence d’expérience dans la menée de DVP ou au thème de la conversation ? Le recueil de données tel que nous l’avons effectué ne nous permet pas d’y répondre.

3.4 Qu’en est-il du mode opératoire des enseignants ?

Les interventions produites en DVP ont été catégorisées en deux domaines en référence aux travaux de Bales (1972) : la gestion organisationnelle/émotionnelle (GOE) et la gestion de la tâche (GT) ; cette dernière subdivisée en apport (GTA) et demande (GTD). Chacune d’elle, ayant fait l’objet de codage en référence aux travaux de l’Ecole de Genève (Roulet et al. 1985) a permis de distinguer les interventions initiatives, des interventions réactives initiatives. En outre, les caractéristiques du corpus, nous ont conduites à également distinguer les actes adressés au collectif (IRI-coll) ou à un groupe d’élèves ou 1 élève (IRI-E). Le tableau ci-dessous en donne les valeurs quantifiées.

Tableau 2

Occurrences et catégorisation des actions opératoires pour chaque DVP

Occurrences et catégorisation des actions opératoires pour chaque DVP

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Le nombre[5] total des interventions est quasi identique pour E1 et E3 alors qu’il est moindre pour E2. Ce qui varie également, c’est d’une part le mode sur lequel E intervient en groupe classe ou non et d’autre part le contenu propositionnel. Observons à ce propos les résultats du tableau 3 en nous focalisant sur les occurrences catégorisées en Gestion Organisationnelle/Emotionnelle versus Gestion de la Tâche.

On peut constater[6] que les deux sphères sont mobilisées de la même manière par E1 et E3, mais qu’elles diffèrent pour E2 et ce, de manière importante. Observons la répartition de la Gestion de la Tâche dans la distinction apport et demande et ce, notamment pour les interventions réactives adressées à un groupe d’élève ou un élève (IRI-El) en rendre intelligible et guider, assister approfondir.

  • Pour E1, les 388 interventions en GT se répartissent en 212 apports soit 54,63 % versus 176 demandes soit 45,36 %.

  • Pour E2 les 148 interventions en GT se répartissent en 62 apports soit 41,89 % versus 86 demandes soit 58,10 %.

  • Pour E3 les 390 interventions en GT se répartissent en 187 apports soit 47,94 % versus 203 demandes soit 52,05 %.

  • Pour E1, E2 et E3, un équilibre s’observe entre apports et demandes pour les interventions en gestion de la tâche.

Arrêtons-nous sur la photographie de ces résultats : que font les enseignantes lorsqu’elles s’adressent aux élèves ? Pour E1 sur les 318 IRI-El en GT, 183 sont du côté des apports et 135 du côté de la demande. Pour les deux catégories confondues :

  • 208 IRI-El servent à rendre les propos intelligibles soit 65,40 % et 110 à les guider, assister, approfondir soit 34,59 %,

  • 162 IRI-El apports servent à rendre les propos des élèves intelligibles soit 88,52 % et 21 à les guider, assister approfondir soit 11,47 %,

  • 46 IRI-El demandes servent à rendre les propos des élèves intelligibles soit 34,07 % et 89 à les guider, assister, approfondir soit 65,92 %.

Pour E2 sur les 135 IRI-El en GT, 55 sont du côté des apports et 80 sont du côté de la demande. Pour les deux catégories confondues :

  • 106 IRI-El servent à rendre les propos intelligibles soit 78,51 % et 29 à les guider, assister, approfondir soit 21,48 %,

    • 54 IRI-El apports servent à rendre les propos des élèves intelligibles soit 98,18 % et 1 à les guider, assister approfondir soit 1,81 %,

    • 52 IRI-El demandes servent à rendre les propos des élèves intelligibles soit 65 % et 28 à les guider, assister, approfondir soit 35 %.

Pour E3 sur les 338 IRI-El on obtient un parfait équilibre entre apports et demandes 169 versus 169. Pour les deux catégories confondues :

  • 191 interventions servent à rendre les propos intelligibles soit 56,50 % et 147 à les guider, assister, approfondir 43,50 %,

    • 134 IRI-El apports servent à rendre les propos des élèves intelligibles soit 79,28 % et 35 à les guider, assister approfondir soit 20,71 %,

    • 57 IRI-El demandes servent à rendre les propos des élèves intelligibles soit 33,72 % et 112 à les guider, assister, approfondir soit 66,27 %.

Les résultats extraits de ce tableau montrent une invariabilité du mode opératoire des enseignantes puisque :

  • Chacune investit d’une part la sphère de la tâche et, d’autre part, la sphère socio-émotionnelles.

  • Chacune, s’adresse au collectif ou à un groupe d’élèves ou à un élève.

Ce qui est une donnée assez habituelle dans le mode opératoire des situations d’enseignement quelles qu’elles soient.

  • De la même manière, chacune des enseignantes, aborde les situations d’échanges par des demandes et des apports, ce qui est aussi une spécificité des situations d’enseignements.

De ce point de vue, la norme DVP ne diffère pas d’autres formes d’enseignements au sens où elle déroule des échanges à propos de la tâche et à propos de la sphère socio-émotionnelle. Cependant, il est à noter que ce qui est variable et de manière significative entre enseignantes, ce sont les occurrences des différentes actions opératoires. Nous pouvons aussi remarquer au sein des résultats obtenus, combien les situations de DVP génèrent des contenus propositionnels qui s’orientent vers la direction suivante « rendre les propos des élèves intelligibles plus que de les accompagner, guider, approfondir ». Ce résultat est aussi un résultat riche d’informations. En effet, les situations de DVP sont mises en place pour étayer l’esprit critique des élèves et pour développer leur capacité à argumenter. Aussi, il est essentiel de produire des contenus suffisamment clairs afin de cerner au mieux la pensée individuelle et ainsi permettre une plus grande construction collective. Si les trois enseignantes ont eu une formation qui les amène à axer leurs propos vers des demandes d’argumentations de la part des élèves, c’est probablement aussi ce en quoi chacune d’elle croit pour ce qui est notamment de la pratique d’enseignement. Cela nous amène à un nouvel invariant de l’activité d’enseignement en DVP.

Enfin, les observations qui sont les nôtres portent aussi sur les dispositifs pédagogiques mis en place afin de dégager la forme du déroulement de la communication. Nous nous référons pour cela aux données vidéo, (les scènes sont schématisées ci-dessous, figure 1-2 et 3). Nous présentons les résultats obtenus dans le tableau n° 1.

Figure 1

Disposition E1

Disposition E1

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Figure 2

Disposition E2

Disposition E2

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Figure 3

Disposition E3

Disposition E3

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3.5 Commentaires du Tableau 1

E1 a généré des réseaux de communication centralisés (dit également réseau en X ou en étoile), autant dans la représentation spatiale que dans la forme des échanges. E2 a généré des réseaux de communication tous circuits jusqu’à permettre aux élèves d’être assis là où ils le désiraient dans la classe, là aussi le choix est fait autant pour la disposition spatiale que pour la forme des échanges. E3 a généré des réseaux de communication centralisés ; comme ses collègues, elle fait un choix effectué quant à la disposition spatiale et quant à la forme des échanges. E1 a notamment été une animatrice démocratique de séance (Tozzi : 2012), elle se donne le droit de distribuer la parole, de questionner, de demander des précisions, probablement en raison de la jeunesse du public et de sa non expérience, E2 et E3 quant à elles qui sont deux enseignantes confirmées, effectuent des choix différents.

Toutes les deux utilisent un dispositif que l’on pourrait qualifier de libre, E2 permet aux élèves de choisir leur place et E3 les place en regroupement. Toutes les trois se donnent un rôle de secrétaire. E2 et E3 ont une place assise avec chaise et table, un cahier et un stylo alors que les élèves sont au sol, sur un banc en cercle ou pas, sur le côté, derrière ou devant… E1 a une place assise avec une table, les élèves sont par contre dans la même disposition en ayant une place typiquement scolaire. Là aussi un autre invariant apparait, l’identité de secrétaire attribué aux enseignantes avec une variabilité du point de vue de l’exécution de la tâche. En effet E2 et E3 effectuent leur rôle différemment.

E2, se donne les mêmes droits que E1 pour ce qui est de la gestion communicationnelle, mais organise le travail de réflexion des élèves non pas en les laissant réagir de suite et individuellement, elle les fait se questionner au préalable en petits groupes en désignant des porteurs de parole et met en regard ce qu’ils disent et ce qu’elle pense de ce qu’ils disent. E3 quant à elle du début à la fin, tout en se donnant les mêmes droits que E1, ne se donne que le rôle de répétiteur du dire élève et de scribe. Elle utilise d’ailleurs une reprise de notes sur grande affiche dans le but de les exposer à la classe en termes de carte heuristique.

Côté invariabilité, tout au long de l’année ces trois collègues ont animé de façon démocratique les DVP. Elles ont fait varier le rôle et la spécificité de leur place au sein du dispositif. Les choix qui ont été effectués par ces enseignantes autant dans la gestion des flux de communication que dans la mise en place de dispositifs pédagogiques pour interagir, permettent de mettre en exergue des styles d’animation tels que nous les avons décrits dans Saint-Dizier de Almeida, Specogna et Luxembourger (2015). Ces styles, qui peuvent être soit autoritaire, démocratique ou laisser faire en référence à Lewin, Lippit et White (1939), varient d’une enseignante à l’autre.

Discussion-Conclusion

En somme, si nous reprenons les divers regards et résultats obtenus, que pouvons-nous en dire ? Rendre compte de la variabilité et de l’invariabilité de l’activité pour ce qui nous concerne, s’effectue en observant et analysant l’activité professionnelle énoncée verbalement et réalisée et ce, à travers divers angles. Les nôtres prennent davantage appui sur les entrées psychologie sociale, psychologie ergonomique et didactique professionnelle comme nous l’avons exposé.

Au vu des résultats et analyses obtenus, ces axes théoriques permettent de traiter des questions suivantes : comment s’organisent les flux de communication pour une situation d’enseignement donnée ? Comment se caractérisent les énoncés des interactants ? Comment les contenus propositionnels permettent-ils d’avoir une plus grande compréhension de l’agir verbal enseignant à l’égard des élèves ? Nous avons tenu à étudier les dispositifs pédagogiques mis en oeuvre, volontairement ou non, par les enseignantes. Notons que parfois les contraintes spatiales des classes empêchent d’effectuer des choix volontaires. Nous pouvons donc par le biais de ce cadre théorico-méthodologique, faire émerger une norme DVP en observant ce qui se réalise en DVP sous les différents angles suivants : social, communicationnel et, opératoire.

Notre étude montre que des variations en termes d’occurrences dans la façon de gérer la sphère de la tâche et la sphère socio-émotionnelle. Les invariants, d’un point de vue de la pratique d’enseignement, ne semblent pas différer d’autres situations didactiques.

Effectivement, nous retrouvons des modalités des pratiques d’enseignements classiques chez les enseignants tels attribuer/distribuer la parole, rappeler à l’ordre, les demandes d’explications, d’explicitations, de précisions, la place importante laissée aux échanges verbaux... Par contre, le dispositif pédagogique d’un point de vue spatial et le rôle que s’attribuent les enseignantes dans la façon d’interroger les élèves varient d’une enseignante à l’autre tout en laissant entrevoir néanmoins des invariants tels les supports utilisés pour déclencher les situations de DVP.

Nous pouvons alors interroger l’effet de la liberté pédagogique laissée de manière institutionnelle aux enseignantes et l’effet de la formation dispensée dans la mise en place des DVP. Ainsi, pour mettre en exergue variabilité et invariabilité de l’activité nous nous sommes centrées sur l’agir des enseignantes à travers l’étude de l’activité verbale en DVP. Il est évident que nous ne pouvons pas apprécier l’entièreté de leurs croyances, soit leurs théorèmes en actes, mais uniquement leurs concepts en actes (Vergnaud, 1985, 2000). Pour aller plus loin et pour rejoindre le cadre de Léontiev (1972) où l’activité est une structure hiérarchique à trois niveaux interdépendants, et considère les comportements langagiers comme la réalisation d’actions opératoires guidées par des finalités et des valeurs pour cerner certains déterminants de l’activité, il serait intéressant de poursuivre l’investigation via la conduite d’entretiens en auto-confrontation. Ce type d’entretien permet de recueillir les verbalisations d’un professionnel qui décrit et commente un enregistrement vidéo de son activité. L’étude des verbalisations produites permet d’accéder aux finalités, aux actions, à des règles d’action et à des techniques et également à des explications sur la pertinence des techniques et leur emploi en situation (Saint-Dizier de Almeida, 2015). Dans le contexte de cette étude, l’étude des verbalisations en auto-confrontation permettra notamment de cerner d’autres composants de l’activité telles les intentions, les finalités et les valeurs des enseignantes dans ces situations d’enseignement.