Résumés
Résumé
Dans la démarche lesson study, des chercheurs et des enseignants travaillent ensemble à la résolution de problèmes d’enseignement-apprentissage identifiés par les praticiens. Cette contribution présente trois exemples de lesson study menées auprès de différents publics (primaire et secondaire) en mathématique et en physique. Les auteurs analysent les différentes postures construites et adoptées par les chercheurs dans chacune de ces situations et tentent d’identifier quelques conditions et contraintes plus ou moins favorables à la construction d’un partenariat entre chercheurs et praticiens. Les démarches lesson study semblent pouvoir relever de la recherche collaborative, mais à certaines conditions, notamment liées aux postures des chercheurs qui accompagnent ces groupes de recherche. Ces conditions rejoignent l’idée de double vraisemblance qui caractérise la recherche collaborative.
Mots-clés :
- Lesson study,
- recherche collaborative,
- partenariat,
- postures d’accompagnement
Abstract
In the lesson study approach, researchers and teachers work together to solve teaching and learning problems identified by practitioners. This paper presents three examples of lesson study conducted with different audiences (primary and secondary) in mathematics and physics. The authors analyze the different postures built and adopted by researchers in each of these situations and try to identify some conditions and constraints more or less favorable to building a partnership between researchers and practitioners. The lesson study’s approaches seem to be part of collaborative research, under certain conditions, especially in connection to researchers postures that accompany these research groups. These conditions meet the idea of the double likelihood that characterizes collaborative research.
Keywords:
- Lesson study,
- collabortative research,
- partnership,
- accompanying postures
Corps de l’article
Introduction
À la Haute école pédagogique (HEP dans la suite du texte) du canton de Vaud, a été inauguré en 2014 le Laboratoire Lausannois Lesson Study (www.hepl.ch/3LS). Né d’une collaboration entre l’Unité d’Enseignement et de Recherche de didactique des mathématiques et des sciences et l’Unité d’Enseignement et de Recherche enseignement-apprentissage-évaluation, ce laboratoire vise à contribuer à l’étude et à la diffusion du dispositif lesson study (LS) dans le monde francophone.
Dans le cadre de la formation continue des enseignants, nous travaillons avec des groupes d’enseignants de tous les degrés dans la perspective de l’amélioration de leur enseignement à travers la mise en oeuvre d’un dispositif LS. Nous avons d’abord exploré ce dispositif en formation initiale à l’enseignement (Clerc-Georgy & Martin, soumis ; Martin & Clerc-Georgy, 2015 ; Clerc & Martin, 2011 ; Fernandez & Robinson, 2006), puis depuis quelques années en formation continue. Tel que nous en faisons usage dans notre contexte, ce dispositif permet la collaboration entre chercheurs et praticiens et favorise des démarches de recherche qui partent réellement des préoccupations du terrain.
Dans cette contribution, nous explorerons deux recherches en cours, une lesson study en mathématique avec des enseignants primaires et une autre en physique avec des enseignants du secondaire II. Nous questionnerons plus particulièrement ces expériences en regard de la possible construction d’un partenariat entre chercheurs et professionnels, du point de vue de la négociation des objets de questionnements propres au démarrage de toute lesson study et du processus d’accompagnement de cette démarche par les chercheurs.
Nous faisons l’hypothèse que les postures endossées par les formateurs-chercheurs, que nous appellerons dès lors « facilitateurs » comme c’est souvent le cas en anglais (voir par exemple, Takahashi & Yoshida, 2004), ont des répercussions sur la nature du partenariat et sur le développement ou pas d’une démarche de recherche clinique de type collaborative.
Après avoir présenté le dispositif lesson study (ci-après LS) et ses caractéristiques en lien avec la recherche collaborative, nous ferons le récit de la construction d’un partenariat entre facilitateurs et enseignants dans trois cycles LS. L’analyse de ces situations débouchera sur une identification des différentes postures adoptées par les facilitateurs et nous permettra de re-questionner dans quelle mesure ces postures favorisent ou pas le développement de démarches de recherche collaborative. Nous conclurons par une synthèse des liens entre posture de facilitateur et construction d’un partenariat dans les démarches LS.
1. La démarche lesson study et ses liens avec la recherche collaborative
Ce dispositif rend compte d’un processus de développement professionnel que les enseignants mettent en oeuvre pour examiner systématiquement leur pratique (Fernandez & Chokshi, 2002 ; Lewis, 2002, 2015 ; Lewis, Perry & Murata, 2006 ; Miyakawa & Winsløw, 2009 ; Stepanek, Appel, Leong, Turner Mangan, & Mitchell, 2007), soit l’étude collective d’une leçon (lesson study), essentiellement utilisé en formation continue. L’objectif de l’étude collective d’une leçon est d’améliorer l’impact des expériences d’apprentissage que les enseignants procurent à leurs élèves.
L’activité centrale de ce dispositif est de faire travailler ensemble des enseignants sur un petit nombre de leçons dans le but d’analyser les processus d’enseignement qui participent à l’amélioration des apprentissages des élèves. Plus précisément, l’étude collective d’une leçon est un processus cyclique à travers lequel un groupe d’enseignants : 1) choisit une thématique et définit des objectifs d’apprentissage ; 2) prépare et planifie la leçon et son étude ; 3) enseigne la leçon et rassemble des faits et des observations concernant cette mise en oeuvre ; 4) analyse les faits récoltés, évalue l’impact de la leçon et la révise ; 5) ré-enseigne et ré-étudie la leçon ; 6) documente et diffuse le travail effectué autour de la leçon qui a fait l’objet de l’étude.
Les LS contribuent à la construction d’une communauté d’apprentissage (Vinatier & Morrissette, 2015) et poursuivent des buts tels que la compréhension et l’évolution des pratiques ou encore la résolution de problèmes (Lenoir, 2012). Par la formalisation de démarches de recherche et par l’itération de ces démarches, le dispositif LS poursuit clairement une visée d’émancipation des acteurs du terrain. Ainsi, les LS relèvent des types de recherche où le facilitateur travaille « avec » plutôt que « sur » les enseignants et tente de rapprocher la recherche scientifique de la pratique professionnelle (Vinatier & Morrissette, 2015). La mise en oeuvre de tels processus dans notre contexte se situe dans un mouvement qui vise à construire des dispositifs de recherche qui se rapprochent du terrain et qui favorisent la collaboration entre chercheurs et praticiens.
Le dispositif cherche donc à mettre les enseignants dans une posture qu’on pourrait qualifier de « en recherche », selon l’expression de Beillerot (1991), en leur permettant de s’approprier quelques outils de la recherche en en faisant usage avec des formateurs-chercheurs. Les cycles LS sont des démarches de recherche collective faisant collaborer des enseignants et des chercheurs à l’exploration de questions issues du terrain (difficulté à faire apprendre une notion, erreurs récurrentes des élèves, etc.). Nous retrouvons ici la définition de Takahashi et McDougal : LS « is research, a search for a solution to a teaching–learning problem » (2016, p. 7). Dans cette perspective, il convient de relever que le processus LS présente une forte analogie avec la démarche clinique (Bulterman-Bos, 2008), dont l’appropriation par les enseignants fait partie des objectifs. En effet, il s’agit bien 1) de partir d’un problème, d’une question (par exemple, certains élèves ont des difficultés importantes à comprendre certains concepts) ; 2) de recueillir des données en lien avec le problème de départ (descriptif de la séquence d’enseignement et des tâches proposées aux élèves pour les aider à s’approprier le concept qui fait problème, recueil de productions d’élèves, etc.) ; 3) d’analyser les données recueillies afin de faire des hypothèses sur les raisons des difficultés des élèves ; 4) d’élaborer un plan d’action pour permettre aux élèves de surmonter leurs difficultés (élaboration d’une nouvelle séquence d’enseignement, choix de nouvelles tâches, modifications des interventions de l’enseignant, etc.) ; 5) de mettre en oeuvre le plan d’action et d’en mesurer l’impact sur les apprentissages des élèves. Si le problème n’est pas résolu à ce moment-là, un nouveau cycle démarre.
Ainsi, le dispositif LS est à la fois une démarche de formation et une forme de recherche collaborative dans la mesure où elle répond aux trois conditions qu’une telle recherche doit remplir, selon le modèle proposé par Desgagné (1997, 2001). Tout d’abord, elle « suppose la co-construction d’un objet de connaissance entre un chercheur et des praticiens » (Desgagné, 1997, p. 383). En l’occurrence, les enseignants qui participent à une démarche LS s’engagent à concevoir des leçons, à les mettre en oeuvre dans leur classe, à en évaluer l’impact sur les apprentissages des élèves et à modifier leurs leçons pour en améliorer la qualité. Dans une LS, une dimension essentielle de l’objet de recherche est bien l’analyse des pratiques d’enseignement censées favoriser les apprentissages de tous les élèves. Ce travail d’analyse est mené conjointement par les enseignants et le(s) chercheur(s) participant à la démarche. Chaque membre d’un groupe LS y apporte son expertise et contribue ainsi au bon déroulement du processus de recherche.
De plus, la recherche collaborative « allie à la fois activités de production de connaissances et de développement professionnel » (Desgagné, 1997, p. 384). Dans le cadre de ce dispositif, la réflexion sur les pratiques d’enseignement des enseignants est à la fois un objet d’investigation et de production de connaissances pour le chercheur (activités de production où, parfois, les enseignants jouent également un rôle actif) et une occasion de formation et de développement professionnel pour les enseignants. En effet, le dispositif LS, par sa centration sur les effets des choix d’enseignement sur les apprentissages des élèves, favorise le travail d’investigation des différentes phases du travail enseignant : la planification de l’enseignement et des apprentissages, l’expérience de différents scénarios d’enseignement et de leurs effets sur les apprentissages des élèves, la prise d’informations sur les processus d’apprentissage et la progression des élèves, les nécessaires ajustements de l’enseignement durant la leçon, l’analyse a posteriori des relations réciproques entre les choix pédagogiques et les apprentissages des élèves. Cette forme d’enquête permet non seulement la production de connaissances sur l’apprentissage d’un contenu donné et sur les relations entre enseignement et apprentissage, mais encore le développement des compétences professionnelles des enseignants en lien avec ces connaissances.
Enfin, la recherche collaborative « vise une médiation entre communauté de recherche et communauté de pratique » (Desgagné, 1997, p. 384). Ainsi, dans un processus LS, le facilitateur s’efforce de rapprocher la culture de recherche et la culture de pratique tant dans le processus même de construction des connaissances que dans le processus de développement professionnel. Cette articulation doit tenir compte des caractéristiques (degré scolaire des élèves, formation et expérience des enseignants, discipline enseignée, expérience ou non de la démarche LS, etc.) et des contraintes (disponibilité des enseignants, temps accordé par la direction de l’école pour la participation à la démarche, compatibilité des horaires d’enseignement pour observer en direct les leçons données dans la classe d’autres collègues, etc.) propres à ces deux contextes.
2. Problématique
Sur un plan théorique, comme nous venons de le voir ci-dessus, les caractéristiques des LS ainsi que celles des recherches collaboratives semblent suffisamment converger pour considérer que les LS sont bien une forme de recherche collaborative. Est-ce effectivement le cas dans les faits, dans la pratique des LS ? À notre connaissance, cette question n’a pas fait l’objet de recherche empirique. Ce travail vise à fournir quelques éléments de réponse à cette question. Plus spécifiquement, nous nous interrogerons sur les conditions de mise en place d’une recherche collaborative, et donc d’un partenariat entre facilitateurs et enseignants, dans le cadre des LS. Pour ce faire, nous nous focaliserons essentiellement sur l’analyse des postures adoptées par les facilitateurs durant les LS ainsi que de leur variété et leur éventuelle évolution au cours des LS. Ensuite, le rôle de la temporalité de la démarche et celui de la nature de l’expertise des facilitateurs dans cette mise en place seront plus brièvement étudiés. La question posée dans ce travail est donc triple : 1) Dans quelle mesure les postures adoptées par les facilitateurs contribuent à la construction d’un partenariat entre facilitateurs et enseignants ? 2) Peut-on considérer les LS comme une recherche collaborative dès le début de leur mise en oeuvre ou doit-on plutôt imaginer que la dimension collaborative de cette forme de recherche peut être progressive ou varier au cours de la réalisation d’une LS ? 3) En quoi la nature de l’expertise des facilitateurs influe à la fois sur les postures adoptées par les facilitateurs durant la démarche et sur la construction d’un partenariat entre facilitateurs et enseignants ?
3. Méthodologie
Les propos présentés ci-dessous reposent sur une analyse rétrospective de la mise en oeuvre de la démarche en s’appuyant sur des notes prises par les chercheurs tout au long du déroulement de la démarche, des discussions entre les chercheurs qui ont accompagnés ces trois cycles ainsi que les enregistrements des échanges menés avec le groupe d’enseignants lors des moments de préparation et de débriefing des leçons. Le travail s’est déroulé en deux temps. Tout d’abord, il s’est agi de reconstituer le déroulement des séances de préparation et de débriefing des leçons et d’y repérer les interventions des facilitateurs ainsi que les sollicitations faites à leur égard par les autres participants. Ces dernières, assez peu fréquentes, pouvant indiquer quelle posture était attendue des facilitateurs par les autres participants. Les réactions des facilitateurs à ces sollicitations indiquant en retour dans quelle mesure ils endossaient ou non les postures attendues. Sur cette base, une catégorisation émergente a progressivement été élaborée par les deux auteurs de l’article permettant d’identifier des postures adoptées par les facilitateurs. Ces postures seront présentées dans la suite du texte.
4. Trois cycles LS sous la loupe
Notre but étant de comparer dans trois cycles LS différents, les postures endossées par les facilitateurs ainsi que le rôle de celles-ci dans la construction d’un partenariat avec les enseignants, nous commencerons par présenter le déroulement de chacun de ces cycles. Ceci afin d’identifier les répercussions de ces postures sur le développement ou pas de démarches de recherche de nature collaboratives. Les deux premiers cycles sont issus d’une démarche LS mise en oeuvre en mathématique au primaire et le troisième est issu d’une démarche LS mise en oeuvre en physique au secondaire II.
4.1 Lesson study en mathématiques au primaire
En septembre 2013, un groupe de huit enseignants de 5H-6 H[1], porteurs d’un diplôme d’enseignement primaire, travaillant dans deux établissements primaires de la région lausannoise, a démarré une LS en mathématiques. Encadré par deux facilitateurs, une spécialiste des processus d’enseignement-apprentissage et un didacticien des mathématiques[2], le groupe a effectué, en 2 ans, quatre cycles de leçons de mathématiques consacrées à la numération décimale, aux transformations géométriques et à la résolution de problèmes. Pour tous les acteurs, la démarche était nouvelle.
La constitution du groupe a été initiée par les facilitateurs qui ont aussi pris en charge l’organisation et l’animation des séances collectives. Lors de la toute première séance, les enseignants ont été invités à proposer des sujets pour lesquels ils estiment rencontrer des difficultés dans leur enseignement ou dans les apprentissages des élèves. Ils ont alors relevé, dans l’ordre de leurs préoccupations, la résolution de problème, les échanges dans le système décimal et les transformations géométriques.
C’était la première fois que les facilitateurs accompagnaient des enseignants dans un processus LS. Ils leur ont proposé de commencer par les échanges dans le système décimal, notamment parce qu’ils se sentaient à l’aise avec ce sujet pour lequel la didactique des mathématiques propose des pistes de travail. Ils ont ainsi proposé au groupe de repousser les questions de résolution de problèmes à des cycles ultérieurs (3e et 4e cycles).
4.1.1 Cycle sur les échanges dans le système décimal
Ce cycle, première expérience du groupe en question, a traité de l’enseignement de la numération décimale de position. La leçon de recherche s’est construite autour d’un jeu et le travail du groupe a principalement porté sur le sujet mathématique et sur les questions liées à la consigne et au jeu. Lors des séances de préparation de la leçon, les facilitateurs ont demandé aux enseignants de prendre avec eux des tâches qu’ils estimaient problématiques. Pour aider les enseignants à mieux comprendre à la fois le sujet mathématique et les causes possibles des difficultés des élèves, ils ont à leur tour proposé d’analyser des tâches et des traces d’élèves.
Le groupe a ensuite planifié une leçon qui a été donnée dans la classe d’une enseignante. À la suite de cette première leçon de recherche et en regard des observations faites du point de vue des apprentissages des élèves, le groupe a décidé de modifier la tâche (le jeu) pour qu’elle soit plus susceptible de faire apprendre les élèves. Une deuxième leçon a donc été donnée dans la classe d’une autre enseignante. L’analyse de ces deux leçons a conduit le groupe à la rédaction d’un plan de leçon commenté à l’intention des enseignants.
Ce premier cycle a été animé par les facilitateurs qui ont assumé toutes les charges organisationnelles et matérielles nécessaires : prise de notes, documents pour les leçons, demandes de congés pour les enseignants, mise au propre des planifications et des réflexions de l’équipe, etc.
4.1.2 Cycle sur l’aide à la résolution de problèmes
Le cycle retenu ici est en fait le quatrième cycle de la démarche LS en mathématique au primaire. Il s’est déroulé à la fin de la seconde année de travail et a porté sur la résolution de problèmes. Plus particulièrement, il a été question des aides que peut apporter l’enseignant dans la phase de représentation du problème.
Ce quatrième cycle a démarré totalement différemment des précédents. Le groupe avait déjà effectué un cycle sur la résolution de problème (le troisième), en s’appuyant sur divers travaux de recherche en la matière, mais cette première tentative n’a pas été concluante. Cependant, cette première exploration des questions liées à la résolution de problème a permis au groupe d’identifier l’importance de l’enseignement dans l’aide à la représentation des problèmes par les élèves. Les facilitateurs ont alors guidé le groupe vers l’importance d’identifier les stratégies possibles (adéquates ou non) que les élèves pouvaient adopter avant de déterminer les aides potentielles.
Ainsi, l’analyse de l’objet d’apprentissage et des difficultés rencontrées par les élèves a nécessité la prise de données complémentaires. Le groupe a décidé de se rendre dans une classe pour prendre des informations quant aux démarches entreprises par les élèves dans la représentation d’un problème ainsi que des effets de certaines aides sur ce processus. Chaque membre du groupe a travaillé avec deux élèves, de façon à relever les démarches qu’ils mettaient en oeuvre, les difficultés qu’ils rencontraient et l’effet des aides que l’enseignant pouvait leur apporter.
À partir de ces données, le groupe a planifié une leçon pouvant être assumée par une enseignante seule face à ses élèves. La leçon a eu lieu dans la classe d’une enseignante du groupe et comme pour le premier cycle, l’analyse de cette leçon a débouché sur la rédaction d’un plan de leçon commenté.
4.2 Lesson study en physique au gymnase (lycée)
Le groupe était composé de six personnes. Quatre étaient enseignants de physique dans un gymnase de la région lausannoise, une était à la fois enseignant de physique dans le même établissement et didacticien de la physique à la HEP et une était professeur à la HEP. Le statut particulier du didacticien de la physique l’a conduit à laisser la responsabilité de l’accompagnement de la démarche au professeur non physicien. Le groupe de recherche était ainsi principalement guidé par ce dernier, bien que le didacticien ait par moment oscillé entre ses deux appartenances : collègue et facilitateur de la démarche. C’est pour ces raisons que dans le cadre de cette contribution, nous nous sommes principalement focalisés sur l’analyse des postures adoptées par le facilitateur non physicien. Il faut relever que les cinq personnes enseignant la physique détenaient un doctorat en physique pour quatre d’entre elles et un en mathématiques pour la dernière.
Les travaux ont commencé au printemps 2015. Sous l’impulsion de la personne ayant la double casquette d’enseignant et de formateur, un groupe de recherche s’est constitué au sein du gymnase. Plusieurs rencontres, d’environ 90 minutes chacune, réunissant tout le groupe ont eu lieu jusqu’au printemps 2016. Avant chaque rencontre avec le groupe, les coanimateurs ont préparé les séances communes. Également durant cette période, plusieurs leçons de recherche ont été données dans les classes des enseignants membres du groupe. Les débriefings des leçons ont été réalisés soit immédiatement après la leçon, soit lors de la séance suivante réunissant tous les membres du groupe. La chronologie de la démarche est présentée plus en détails ci-dessous.
4.2.1 Cycle sur l’électricité
En mai 2015, une première séance a eu lieu durant laquelle la démarche LS a été présentée et discutée et un tour de table sur les thématiques possibles à travailler a été effectué.
En juin 2015, le groupe s’est réuni pour choisir le thème de travail de l’année, et c’est finalement celui de l’électricité qui a été retenu et, plus spécifiquement, il a été décidé d’élaborer une leçon autour du concept de tension électrique. Durant cette séance, les différents enseignants ont aussi présenté leur manière d’enseigner ce concept et ont également commencé à évoquer les obstacles et les difficultés que leurs élèves rencontrent dans l’appropriation de cette notion.
En novembre 2015, deux séances ont eu lieu pour préparer la leçon de recherche. Ces réflexions se sont poursuivies en dehors des séances plénières et ont débouché sur un plan de leçon ainsi que sur la conception et la construction d’un matériel de jeu pour travailler la notion de tension électrique.
En décembre 2015, la première mouture de la leçon de recherche a été donnée dans la classe d’une enseignante.
En janvier 2016, le débriefing de cette leçon a eu lieu avec tout le groupe. Cette rencontre a permis à la fois de revenir sur ce qui s’était passé et d’aménager la leçon, notamment en ajustant certaines consignes et modalités d’intervention durant son déroulement. Cependant, la modification majeure a été d’introduire une évaluation des acquisitions faites par les élèves à la fin de la leçon. Quelques jours plus tard, la deuxième mouture de la leçon a pu être donnée dans la classe d’un autre enseignant du groupe. Un rapide débriefing a eu lieu immédiatement après la leçon. Les réflexions du groupe ont débouché sur la décision de redonner cette même leçon dans un contexte en partie différent. En effet, les deux premières moutures de la leçon se sont déroulées avec une classe complète d’une vingtaine d’élèves. Il a été décidé que la troisième mouture se déroulerait avec une demi-classe d’une dizaine d’élèves dans le cadre des TP de physique. Il faut relever que, dans ces trois premières leçons de recherche, les membres du groupe avaient la possibilité d’intervenir durant la leçon, notamment en répondant à certaines questions des élèves lorsqu’ils travaillaient en groupe ou encore en leur posant des questions d’explicitation sur ce qu’ils étaient en train de faire.
Enfin en février 2016, la leçon a été donnée une dernière fois. Le canevas était le même que pour la troisième leçon qui s’est également déroulée avec une demi-classe. La différence majeure a consisté à donner la leçon en l’absence de tout observateur afin de voir dans quelle mesure il était possible de donner la leçon sans l’appui des collègues.
Un seul cycle a donc été mené autour de différentes moutures d’une même leçon qui a été donnée quatre fois.
5. La construction d’un partenariat entre facilitateurs et enseignants : une question de posture ?
Dans cette partie, nous examinerons dans quelle mesure le dispositif LS permet de construire un partenariat entre facilitateurs et enseignants et, pour ce faire, nous identifierons les différentes postures adoptées par les facilitateurs en mettant en évidence les convergences et les divergences en fonction des différentes situations discutées dans ce travail. La notion de posture est empruntée à Bucheton (1998) qui la définit comme un ensemble de schèmes d’actions cognitives et langagières convoquées par un sujet dans une situation donnée. La posture correspond à un comportement spécifique lié à cette situation.
Plus particulièrement, dans les situations d’accompagnement, plusieurs auteurs dont Guignon (2012) ont répertorié les différentes postures adoptées par les accompagnateurs : coach, mentor, formateur, tuteur, consultant, etc. Nos analyses nous ont permis d’en identifier un certain nombre, liées par exemple au contexte de la LS, à la relation entre facilitateurs et enseignants, aux moments de la démarche, à la formation des enseignants, etc. Nous verrons ici que ces postures varient en fonction des réponses aux problèmes des enseignants dont les facilitateurs disposent (3.1.1 et 3.1.2) ou en fonction de la maîtrise des contenus des facilitateurs et des enseignants (3.1.2 et 3.1.3).
Nous reviendrons à la fin de ce chapitre sur ces différences et sur les hypothèses de leur origine.
5.1 Posture des facilitateurs
Les facilitateurs ont ainsi adopté des postures très variées au cours du déroulement de ces cycles LS. Au début des trois cycles observés, les facilitateurs ont tous endossé les habits de « l’initiateur ». En effet, dans chaque situation décrite plus haut, les groupes se sont constitués à l’initiative des chercheurs qui sont allés sur le terrain pour motiver des enseignants à participer à des démarches LS. Par la suite, les facilitateurs sont devenus des « organisateurs », parce qu’ils ont pris en charge l’organisation des séances. En revanche, selon le cycle LS et les enseignants concernés, les facilitateurs ont été conduits à adopter des postures particulières.
5.1.1 Cycle sur les échanges dans le système décimal : des facilitateurs - formateurs
Lors de ce premier cycle LS, les facilitateurs ont adopté prioritairement une posture de « formateur », posture probablement renforcée par la situation de formation continue dans laquelle s’inscrivait la démarche. Ceci s’apprécie non seulement dans le fait qu’ils ont assumé toute la charge organisationnelle et matérielle nécessaire au déroulement du cycle, ce qui pourrait relever du travail d’un « organisateur », mais surtout parce qu’ils ont décidé du sujet à traiter parmi ceux proposés par les enseignants et du travail nécessaire à accomplir avant de préparer la leçon. Par ailleurs, les demandes et questions des enseignants les ont conduits à plusieurs reprises à endosser le rôle d’« enseignant » des contenus mathématiques ou pédagogiques. Ils l’ont fait non seulement pour des raisons de formation, postulant qu’il serait difficile de s’approprier à la fois la démarche LS et les dimensions didactiques dans un même temps, mais ils l’ont fait aussi parce qu’ils débutaient dans ce type de démarche et que leur maîtrise du sujet mathématique retenu les a probablement sécurisés.
Durant les leçons de recherche, les facilitateurs ont endossé le même rôle que les enseignants, celui « d’observateur ». En effet, à l’aide de la même grille préparée collectivement, ils ont observé et noté les processus d’apprentissages des élèves, ainsi que les effets des interventions des enseignants sur ces processus, comme tous les autres membres du groupe. À la suite de ces observations, lors des séances de débriefing, ils se sont à nouveau différenciés des enseignants et ont joué le rôle « d’animateur » du groupe, passant la parole à chacun et gérant et organisant la mise en commun des observations. Ils ont encore une fois été conduits à adopter, en fonction des éléments apportés par les enseignants, le rôle de « formateur », proposant des explications mathématiques, didactiques ou pédagogiques liées aux observations menées dans la classe ainsi que des pistes d’action pour améliorer la leçon, sa gestion et les apprentissages des élèves.
Dans ce cycle, les rôles principaux adoptés par les facilitateurs sont ceux d’organisateurs, d’animateurs et de formateurs. Ces postures ne sont pas le fait des seuls facilitateurs, mais se construisent en lien avec le contexte de mise en oeuvre de la démarche (une première pour tous les participants) et se produisent dans les interactions avec les enseignants et leurs attentes (la démarche s’inscrit dans un programme de formation continue des enseignants). Ainsi, nous pouvons relever que dans une telle situation où les facilitateurs se sentent responsables de former les enseignants et où les enseignants ont des attentes en termes de formation, la répartition des rôles entre facilitateurs et enseignants est plutôt traditionnelle et ne relève pas ou peu d’une dynamique collaborative.
5.1.2 Cycle sur l’aide à la résolution de problèmes : des facilitateurs « partenaires »
À l’inverse du cycle précédent, le sujet de ce cycle (quatrième cycle pour le groupe) a émané des difficultés rencontrées à cet égard par l’équipe lors du cycle précédent. Bien que suggéré par les facilitateurs, la nécessité de reprendre ce sujet s’est imposée à tous. L’absence de réelles pistes « prêtes à l’emploi » ou issues de la littérature en la matière a réellement favorisé un positionnement de tous les acteurs en posture de « chercheur » face à des questions pour lesquelles personnes n’avait d’emblée de réponse.
Il s’agissait cette fois non seulement de construire une leçon pour répondre à un objectif d’apprentissage, mais bien plus de mieux comprendre ce qui se joue pour les élèves dans une situation de résolution de problème afin de pouvoir construire des aides adéquates. Le groupe a alors décidé de se doter de connaissances particulières non encore disponibles et estimées préalables par l’ensemble des participants. Les outils de collecte des données (le suivi des élèves dans une situation de résolution de problème) n’ont pas été construits par les facilitateurs-chercheurs seuls, mais bien par l’ensemble des partenaires, rejoignant ainsi un des critères méthodologiques d’une recherche collaborative : la double vraisemblance (Bednarz, 2013 en référence à Dubet, 1994). En effet, comme défini par Morrisette (2012) à ce sujet, la démarche de construction de connaissances à propos des processus mis en oeuvre par les élèves dans le cadre de la résolution de problèmes mathématiques est devenu l’objet des préoccupations mutuelles des chercheurs et des praticiens.
Lors de la prise de données, les facilitateurs ont fonctionné comme des « enseignants », travaillant comme les autres enseignants avec quelques élèves à l’identification des difficultés et des processus de résolution de problèmes qu’ils pouvaient possiblement mettre en oeuvre. Ces connaissances ont permis la construction d’une leçon de recherche durant laquelle les facilitateurs ont à nouveau endossé le rôle « d’observateur », relevant, comme tous les membres du groupe et à l’aide de la même grille collectivement construite, les indices d’apprentissages et les effets des interventions de l’enseignant sur les processus de résolution de problème des élèves.
À la fin du cycle, les facilitateurs sont redevenus « animateurs », « organisateurs », « guides » et « formateurs ». Ils ont pris en charge l’animation des séances de débriefing, le guidage de la rédaction du plan de leçon et la conduite de l’analyse du processus de recherche-formation tel que vécu par les enseignants.
Si, comme dans le cycle précédent, les facilitateurs ont joué les rôles d’animateurs et de formateurs, ils se sont cette fois retrouvés dans la posture de « chercheur », ou plus particulièrement de « partenaires » d’une recherche collective. Ceci est la conséquence d’au moins deux éléments. Le premier est lié à la temporalité. En effet, le groupe travaillait depuis un an et demi et la relation de confiance a eu le temps de se construire. Lors du premier cycle, les facilitateurs se sentaient probablement responsables de proposer aux enseignants des éléments de formation et que leur noviciat en la matière les a conduits à prendre les rênes du processus. Le second élément est lié à la maîtrise des questions traitées par les facilitateurs. Dans ce cycle, les facilitateurs n’avaient pas de réponse préconstruite à proposer aux enseignants en matière d’aide à la résolution de problème et ont été nécessairement conduits à adopter une posture de chercheur. Cet élément est probablement fondateur d’un changement dans la relation entre les différents partenaires qui, de « formateurs-formés », où les premiers transmettaient leurs connaissances aux seconds, sont devenus « chercheurs » collaborant à l’investigation d’un problème et la construction de connaissances dont aucun membre du groupe ne disposaient préalablement.
5.1.3 Cycle sur l’électricité : un facilitateur « anthropologue » et « facilitateur »
Dans cet exemple, les deux facilitateurs ont assumé conjointement ce rôle d’« organisateur » en élaborant un ordre du jour pour la prochaine séance sur la base des constats effectués lors de la séance précédente.
Les deux facilitateurs ont également assumé la fonction « d’animateur » des séances, consistant non seulement à présenter l’ordre du jour prévu et à le faire respecter, mais aussi et surtout à intervenir durant la séance à travers des relances principalement sous la forme de questions visant à faire expliciter plus en profondeur ce qui se dit ou ce qui pourrait être réalisé en cours de leçon ou ce qui aura été effectué durant la leçon. Il s’agit ici d’amener les enseignants non seulement à donner les raisons de leur propos, mais aussi les processus de pensée qui les amènent à affirmer telle ou telle chose, à poser tel ou tel argument ou à proposer telle ou telle tâche. Il est intéressant de relever que suivant le type de séance (préparation de leçon ou débriefing) la nature des interventions des facilitateurs peut varier. En effet, lorsqu’il s’agit de préparer une leçon, le facilitateur demande des précisions et des explications sur les propositions faites par les enseignants (« Pourquoi faire cela ? », « Dans quelle mesure ce que tu proposes est en accord avec l’objectif d’apprentissage visé ? » ou encore « Y aurait-il une autre manière de faire ? »). Il joue ainsi en quelque sorte un rôle d’accoucheur. Il pousse également à imaginer des alternatives et à soupeser les forces et faiblesses de chacune d’entre elles. Il peut également faire des propositions, mais ce cas de figure est assez peu fréquent. Par contre, lorsqu’il s’agit de revenir sur une leçon donnée, le facilitateur cherche avant tout à construire avec l’ensemble du groupe une compréhension de ce qui s’est passé en identifiant les aspects positifs et les aspects négatifs de la leçon et de son déroulement et d’imaginer des améliorations de la leçon et de la manière dont elle a été menée. Si, dans ces moments, le facilitateur pose également des questions, il contribue aussi très activement à l’analyse de la leçon et à l’élaboration de pistes pour transformer la leçon et la gestion de son déroulement.
Durant les séances de préparation et de débriefing, le facilitateur s’est trouvé à quelques reprises dans la posture d’un « anthropologue amateur » interloqué et fasciné à la fois d’assister aux échanges pointus, rapides et parfois obscurs, à ses yeux de novice en physique, entre cinq enseignants de physique.
Durant la leçon, le facilitateur est avant tout un « observateur ». Ce rôle se limitant parfois à tenir la caméra ! Dans le meilleur des cas, il peut prendre des notes sur la base d’une grille ou à l’aide d’un logiciel iPad conçu spécialement pour les LS (lesson note). L’usage de l’iPad n’a pas semblé très utile dans cet exemple. La difficulté relative à prendre des notes à l’aide de cet outil et la pauvreté de leur exploitation a amené le groupe a abandonné assez vite son usage.
En résumé, dans ce cycle le rôle du facilitateur a consisté avant tout 1) à favoriser la réflexion en profondeur des membres du groupe sur le cheminement de leur pensée tant au moment de l’élaboration des leçons que de leur analyse, 2) ainsi qu’à mener avec les enseignants un travail conjoint d’analyse des leçons et de leur déroulement et de proposer des améliorations. Le facilitateur est donc à la fois un « anthropologue », un « questionneur » et qui de ce fait assume un réel rôle de « facilitateur ». Ces postures sont probablement la conséquence du fait que le facilitateur non physicien maitrisait moins les contenus disciplinaires que les autres membres du groupe. Les attentes des enseignants ne pouvaient pas se situer à ce niveau et la co-construction des postures et des rôles a dû se faire sur un autre plan.
5.2 Expertise du facilitateur versus des participants
Dans la LS menée avec des enseignants du primaire, la maîtrise mathématique, didactique et pédagogique des facilitateurs semble propice à générer l’adoption d’une posture de formateur dont le rôle est de dispenser un certain nombre de savoirs qu’ils estiment nécessaires pour l’enseignement à partir de leur propre interprétation des difficultés relayées par les enseignants. Ainsi, conformément au contrat de formation, ce sont bien au titre de formateurs de la Haute Ecole Pédagogique qu’ils ont accompagné des enseignants dans leur développement professionnel. Cette posture a probablement été renforcée par les attentes des participants. En effet, les enseignants se sont engagés dans une recherche-formation qui s’inscrivait dans le cadre de leur quota de formation continue. Ce n’est que lors du 4e cycle, quand les formateurs se sont retrouvés dans une situation de « non-maîtrise » qu’ils ont pu s’engager dans une posture de chercheur, de partenaire, de facilitateur.
Dans le cas de la LS menée au gymnase, le facilitateur a joué un rôle bien différent et a été conduit à adopter d’autres postures. En effet, n’étant pas physicien de formation, il ne pouvait intervenir ni sur les contenus disciplinaires traités durant la leçon, ni sur l’agencement de ces mêmes contenus dans le plan de la leçon. Cette donnée l’a conduit à se positionner en retrait dans les questions concernant la matière enseignée. En revanche, en tant que spécialiste des apprentissages, il s’est autorisé à poser des questions sur comment savoir ce que les élèves ont appris et comment faire pour aider celles et ceux qui pourraient rencontrer des difficultés. Cette posture liée aux rôles d’incitateur ou d’initiateur d’un questionnement a probablement été favorisée par le fait que le facilitateur se trouvait lui-même en situation de questionnement ou d’étonnement face à l’enseignement d’une matière qu’il ne maîtrisait pas. Cette posture plus naïve semble favoriser la mise à distance de son statut de formateur au profit de celui de facilitateur. Dans cette perspective, le rôle de facilitateur impliquerait donc de considérer les expertises des uns et des autres comme complémentaires : reconnaître celles des enseignants physiciens et faire reconnaître celle du formateur spécialiste des apprentissages.
Cette posture génératrice d’un partenariat entre chercheurs et praticiens, rencontrée dans les cycle sur l’aide à la résolution de problème et dans celui sur l’électricité, semble favorisée par la reconnaissance de la complémentarité des expertises des différents partenaires ET par le partage de la question de recherche. Ceci nous renvoie à l’un des critères fondateurs de la recherche collaborative lié à la double vraisemblance : la double pertinence sociale. En effet, ce n’est qu’à cette condition que la démarche LS répond au défi de la définition d’un projet commun qui rencontre à la fois les préoccupations des chercheurs et des praticiens (Bednarz, 2015 ; Desgagné, 2001).
5.3 Temporalité et construction du climat de confiance
Un autre facteur semble jouer un rôle dans la possible construction d’un partenariat entre chercheurs et enseignants, celui du temps. En effet, la mise en place réussie d’une LS nécessite la construction d’un climat de confiance entre les différents partenaires et cet apprivoisement réciproque prend du temps. Cet aspect est important à relever car il peut avoir des incidences sur la nature des interactions entre facilitateurs et enseignants. Dans l’exemple mené en mathématique au primaire, cette construction a passé, d’une certaine manière, par la démonstration des compétences des facilitateurs du point de vue de leur maîtrise du contenu et de son enseignement. Ceci a probablement légitimé les facilitateurs dans leur posture de formateur (tant pour eux-mêmes que pour les praticiens). Au contraire, dans l’exemple de LS menée au gymnase, le facilitateur, n’étant pas un spécialiste de la discipline, est davantage intervenu sur certains sujets au fur et à mesure des séances. Par exemple, la question de savoir quel était l’impact de la leçon sur les apprentissages des élèves n’a été posée que lors de la préparation de la troisième mouture de la leçon. Parfois, il a même choisi de ne pas intervenir du tout, estimant que cela pouvait nuire au bon déroulement de la démarche. Ainsi, malgré ses réticences quant à certains choix didactiques effectués par le groupe d’enseignants, il n’a pas fait de commentaires critiques ni fait de propositions concernant les orientations communes aux membres du groupe. Ce choix reposait aussi en partie sur l’hypothèse que la mesure de l’impact de la leçon sur les apprentissages des élèves pourrait amener de facto les enseignants à remettre en question certains de leurs choix didactiques.
6. Discussion
À la fin de cette contribution, nous retenons trois éléments qui soulèvent de nouvelles questions : la multiplicité des rôles endossés par les facilitateurs, la négociation de ces rôles entre enseignants et facilitateurs et, enfin, l’évolution des rôles des facilitateurs tout au long du processus visant l’autonomisation des groupes d’enseignants.
Tout d’abord, il apparaît que les facilitateurs endossent de multiples rôles (initiateur, organisateur, formateur, observateur, enseignant, partenaire, chercheur, guide, anthropologue, incitateur, etc.). Généralement, ces différents rôles s’enchainent, mais parfois, plusieurs cohabitent, selon les exigences interprétées des situations. De plus, et suivant le contexte et les temporalités, ce ne sont pas les mêmes rôles qui sont pris en charge comme on l’a vu pour les deux cycles LS mis en oeuvre au primaire et celui mis en oeuvre au gymnase. Enfin, il faut encore relever un point qui n’a pas été discuté plus haut : les rôles adoptés par les deux facilitateurs dans un même cycle ne sont pas nécessairement les mêmes. Ces quelques constats nous interrogent. À quelles conditions cette multiplicité des rôles est-elle un gage d’efficacité tant dans la mise en oeuvre du dispositif que dans son impact sur le développement des compétences professionnelles des enseignants et sur les apprentissages des élèves ? Y a-t-il des rôles à renforcer et d’autres à minimiser, voire à proscrire ? L’hétérogénéité des rôles endossés entre facilitateurs est-elle un obstacle ou un levier pour le bon fonctionnement du dispositif LS ? Comment former les facilitateurs par rapport à ces différents rôles ? Quels sont les rôles les plus propices à favoriser une recherche de type collaboratif ?
Un deuxième élément que nous souhaitons évoquer est celui de la négociation des rôles entre facilitateurs et enseignants. En effet, si certains rôles semblent aller de soi comme celui d’initiateur présentant le dispositif LS à un groupe d’enseignants novices en la matière, d’autres comme celui de formateur peut être attendu par les enseignants, positionnant parfois le facilitateur à devenir formateur ou, à tout le moins, l’amenant à négocier la prise en charge de ce rôle. Cette incitation forte à former est d’autant plus probable que les LS que nous menons s’inscrivent dans le cadre de la formation continue des enseignants. Cette posture doit-elle être négociée explicitement avec les enseignants ? Si oui, comment ? Peut-elle être rejetée ? Plus généralement tout ou partie des rôles endossés par les facilitateurs doivent-ils être définis préalablement et explicités auprès des enseignants ? Doivent-ils être négociés ?
Enfin, la question se pose de savoir comment faire en sorte que les facilitateurs finissent par se retirer de leur rôle actif afin que les groupes d’enseignants ayant participé à une démarche LS deviennent progressivement autonomes dans l’usage collectif et individuel de la démarche clinique sous-jacente au dispositif. Pour notre part, nous défendons l’idée que l’évolution des rôles endossés par les facilitateurs pourrait passer par trois phases principales, chacune d’entre elles pouvant se dérouler sur un temps très variable et en fonction de l’évolution des groupes. Au début de sa mise en oeuvre, une démarche LS est souvent caractérisée par une prise en charge forte du processus par les facilitateurs. Ceux-ci assument alors un triple rôle de guide, d’analyseur et d’incitateur. Lorsque la démarche devient plus collaborative, les facilitateurs mettent l’accent sur le double rôle d’accoucheur et d’incitateur. Enfin, si la démarche évolue véritablement dans la direction d’une collaboration, aussi bien les enseignants que les facilitateurs devraient tous pouvoir assumer les rôles d’analyseur, de guide, d’accoucheur et d’incitateur. Dans ce cas de figure, les facilitateurs devraient pouvoir « disparaître du paysage » et remettre les clés du dispositif LS aux enseignants qui sont aptes à mettre en oeuvre, aussi bien collectivement qu’individuellement, une démarche clinique pour analyser et réguler leurs pratiques d’enseignement en s’appuyant sur la mesure de l’impact de ces dernières sur les apprentissages de leurs élèves. Cette évolution, certes idéale, pose un certain nombre de questions. À quelles conditions est-elle possible ? Dans quelle mesure le contexte culturel et institutionnel dans lequel le dispositif LS est implanté est-il un facteur stimulant ou un facteur de résistance ? Que se passe-t-il réellement une fois les facilitateurs partis ? Quel impact sur les pratiques enseignantes à moyen et long terme et sur le fonctionnement des équipes d’enseignants ? Que reste-t-il de la démarche clinique six mois, une année, deux ans après le départ des facilitateurs ?
Conclusion : La Lesson study : une modalité de recherche combinant recherche-action et recherche collaborative
L’une des originalités de la démarche LS réside dans le fait qu’elle est un processus de formation et de recherche sur l’enseignement-apprentissage (dans une perspective clinique telle qu’évoquée plus haut) pour celles et ceux qui y participent, y compris les facilitateurs. En cela, elle contribue au développement professionnel aussi bien des enseignants que des chercheurs. Elle remplit ainsi les deux conditions qui caractérisent une recherche collaborative selon Desgagné (1997, 2001) et Morrissette (2013). En effet, le processus d’élaboration de la leçon ainsi que l’analyse de son déroulement nécessitent que tous les membres du groupe LS adoptent une posture clinique. Il s’agit, tout d’abord, de choisir un thème sur lequel travailler, d’analyser l’objet d’apprentissage retenu, de définir un objectif d’apprentissage, d’identifier les obstacles et les difficultés que peuvent rencontrer les élèves dans l’appropriation de cet objet, d’explorer différentes variantes d’une leçon et d’en examiner les forces et les faiblesses pour en retenir une qui sera mise à l’épreuve dans une classe. Ensuite, il s’agit d’observer et d’analyser la leçon, notamment les interactions entre enseignant et élèves ainsi que les processus d’apprentissage mis en oeuvre par les élèves et les résultats obtenus, et donc de mesurer l’impact de la leçon sur les apprentissages des élèves, de repérer les failles de la leçon donnée pour l’améliorer. Dans cette perspective, toutes les personnes impliquées participent au processus de recherche qu’est une LS, chacune avec son champ d’expertise et ses compétences.
De surcroit, cette participation à la démarche LS offre l’occasion à l’ensemble des partenaires (enseignants et chercheurs) de se développer sur le plan professionnel. D’un côté, les enseignants ont la possibilité d’améliorer l’efficacité de leurs pratiques d’enseignement. De l’autre, l’implication des chercheurs peut leur permettre de renforcer la qualité de leur accompagnement dans les LS et leur connaissance du terrain des formateurs avec lesquels ils travaillent.
Enfin, les différentes traces récoltées durant la réalisation d’une LS (les enregistrements des échanges pré- et post-leçons, les plans des leçons, les enregistrements des leçons ainsi que les observations faites en classe durant leur déroulement, les productions des élèves, etc.) fournissent un ensemble de données riches et variées qui peuvent être analysées dans le cadre de recherches menées sur la démarche LS elle-même ou de recherches pour lesquelles le processus LS fournit des données pertinentes.
Si ces différents éléments correspondent bien aux caractéristiques de la recherche collaborative, il est important de relever que la démarche LS ne s’y réduit pas dans la mesure où celle-ci est, dans son fondement même, une forme de démarche de résolution de problème qui relève davantage de la recherche-action que de la recherche collaborative. En effet, il s’agit bien de partir d’un problème récurent rencontré en classe et d’élaborer une leçon ou une séquence d’enseignement à même de surmonter ce problème. Il semble donc que, d’une part, la démarche LS combine les caractéristiques de la recherche collaborative : exploration et analyse d’un aspect de la pratique enseignante, production de connaissances sur la pratique enseignante, développement professionnel des participants et mise en oeuvre d’une démarche en trois étapes (co-situation, coopération et coproduction) (Morrissette, 2013). D’autre part, il semble aussi que la LS mette en oeuvre des caractéristiques de la recherche-action : visée de changement « au travers d’une démarche de résolution de problèmes susceptible de contribuer à améliorer une situation problématique », partenariat entre chercheurs et enseignants et mise en oeuvre d’une démarche cyclique (planification à action à observation à réflexion) (Morrissette, 2013).
Parties annexes
Notes
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[1]
Le degré de 5e HarmoS (Suisse), noté 5H, correspond à la 5e année d’école primaire, c’est-à-dire au CE2 (France), à des élèves de 9 à 10 ans. Le degré 6H correspond au CM1 (France), à des élèves de 10 à 11 ans.
-
[2]
Dans le cadre des projets d’adaptation des LS au contexte local, le laboratoire lausannois lesson study (www.hepl.ch/3ls) a fait le choix de proposer systématiquement aux groupes LS, un facilitateur didacticien et un facilitateur transversal.
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