Résumés
Résumé
Le stage est un dispositif pédagogique de plus en plus répandu dans l’enseignement supérieur, notamment universitaire, en raison de sa capacité supposée à favoriser la professionnalisation des études et à faciliter la future insertion professionnelle des jeunes diplômés. Cet article s’inscrit dans la logique d’une recherche-action menée depuis 2006 afin de mieux connaître la réalité des stages et de construire des préconisations pour en optimiser l’usage. Après avoir montré les limites d’efficacité du stage comme réponse aux difficultés d’insertion des diplômés qui relèvent d’abord du fonctionnement du système d’emploi et non du système de formation, il décrit les apports potentiels de ces stages en termes de formation, de socialisation et de professionnalisation, puis s’intéresse aux conditions à réunir pour qu’un « bon » stage concrétise ces potentialités tout en mettant en garde contre les risques importants que génère l’actuelle inflation des stages.
Mots-clés :
- Stage,
- professionnalisation,
- insertion,
- formation,
- socialisation
Abstract
Internships are part of a pedagogical system which is attracting more and more interest in Academia. This phenomenon may be explained by the fact that it would seem that they encourage the professionalization of studies and facilitate improved professional insertion of young graduates. This article falls in line with a research-work logic which has been led since 2006 in order to gain better understanding of the reality of internships, putting together sets of recommendations in order to improve their function. After having demonstrated the limits of the efficiency of internships in terms of a response to graduates’ insertion difficulties which are linked to the employment system as opposed to the educational system, the present work describes the potential input of these internships from the point of view of education, socialization and professionalization. The paper is further concerned by the conditions that should be brought together so that a « good » internship may materialize these possibilities while warning against the major risks that the current inflation of internships is generating.
Keywords:
- internship,
- professionalization,
- insertion,
- academic education,
- socialization
Corps de l’article
Introduction
On assiste ces dernières décennies à une multiplication des stages au sein des cursus de l’enseignement supérieur alors même que le dispositif du stage se développe dans d’autres structures et niveaux de formation. L’inscription de stages dans des maquettes de diplômes est devenue une pratique courante dont les effets positifs attendus sont supposés certains sans que les objectifs poursuivis ne soient toujours précisés par leurs prescripteurs (dans les établissements de formation) et leurs organisateurs (dans les organisations les accueillant), notamment auprès des étudiants concernés. On observe en outre que les résultats obtenus sont plus rarement encore évalués et analysés. Voilà qui donne matière à s’interroger d’abord sur les conditions et les raisons de l’inflation des stages, ensuite sur les effets possibles de ces stages en termes de potentialités mais aussi de risques avant d’ouvrir quelques pistes de réflexion autour de ce que pourrait être un « bon » stage.
1. Pourquoi les stages se répandent-ils dans les cursus d’enseignement supérieur ?
Le stage sert de longue date[1] d’outil pédagogique ou de période de probation dans différents parcours de formation. Longtemps limité à certains cursus préparant à quelques professions (médecins, ingénieurs, enseignants, fonctionnaires territoriaux, etc.), cet instrument s’est répandu dans l’enseignement supérieur en commençant par les diplômes professionnels des écoles (de commerce ou de management) et des universités (DUT ou DESS). Désormais, on trouve des stages dans des disciplines, des filières et des niveaux de plus en plus variés et leur mise en oeuvre est encouragée. Ainsi, le Conseil d’orientation pour l’emploi recommandait-il dans son diagnostic 2011 sur l’emploi des jeunes « de faire en sorte que chaque étudiant du supérieur bénéficie avant l’obtention de son diplôme d’une expérience en entreprise correspondant à sa formation » (COE, 2011). De son côté, le Plan pour la réussite en licence indiquait en 2007 que « tous les étudiants diplômés de Licence disposeront au moins d’un stage validé dans le cursus (dans l’administration, l’enseignement, ou l’entreprise...). » (MESR, 2011). Pourquoi un tel essor ?
1.1 Un essor justifié par la capacité postulée des stages à favoriser l’insertion professionnelle
L’argument avancé pour expliquer et légitimer cet abondant recours aux stages est leur capacité présumée d’améliorer la future insertion professionnelle des jeunes diplômés[2]. Celle-ci est en effet devenue une question sociale et un objectif politique majeurs dans le contexte d’un système d’emploi où se multiplient les difficultés d’accès et de stabilisation des jeunes dans l’emploi et où de plus en plus de débutants subissent un chômage, des emplois précaires et un déclassement professionnel parfois durables. La loi LRU votée en 2007 a formellement confié à l’enseignement supérieur la mission d’orientation et d’insertion professionnelle, ce qui a induit une multiplication des modalités de « professionnalisation » des études.
On ne peut comprendre l’essor quantitatif des stages qu’en le plaçant dans ce contexte, comme nous le faisons dans la recherche-action[3] que nous menons depuis 2006 au sein de notre laboratoire (le Largotec), puis dans le cadre du Restag (Réseau d’études sur les stages et leur gouvernance) (cf. Briant, Glaymann, 2013), travaux sur lesquels s’appuie ce texte[4].
Même si la loi prévoit que les stages reposant sur une relation tripartite entre un stagiaire, son organisme de formation (université ou école) et l’organisation (entreprise, administration ou association) qui l’accueille soient « intégrés à un cursus pédagogique scolaire ou universitaire » (JO, 2011), il existe des situations de stage très hétérogènes. La recherche de professionnalisation et de préparation à l’insertion dans l’emploi apparaît comme le point commun le plus fréquemment observé dans le cas des stages concernant des élèves et étudiants de l’enseignement supérieur.
Le « problème de l’insertion professionnelle des jeunes » est une expression appartenant au langage courant des médias, des responsables politiques et des acteurs socioéconomiques. L’entrée d’un nombre croissant de jeunes dans la vie active est en effet devenue une course à obstacles dans laquelle « les jeunes devront prendre en charges seuls la question essentielle de leur mise au travail » (Nicole-Drancourt, Roulleau-Berger, 2001, p. 110). De plus en plus souvent, les sortants de formation initiale vivent une phase d’insertion (de quelques mois ou de plusieurs années) marquée par des allers-retours entre chômage et « emplois de médiocre qualité » (Moncel, 2010, p. 11). C’est en réalité leur position de débutant plutôt que leur âge qui est en question car « il n’y a pas de jeunesse unifiée au regard de l’emploi (…) l’un des enjeux majeurs des premières années de vie active relève de la socialisation professionnelle. » (Rose, 1998, p. 23).
Si les travaux de Bernard Fourcade (1992) rappellent que l’entrée dans le monde professionnel constituait déjà une étape complexe dans les années 1945-1975, la difficulté s’approfondit et s’allonge depuis les années 1980 : « le fait de “devoir s’insérer” en essayant de trouver du travail, à la sortie de l’école ou de l’université est tout sauf un donné naturel qui aurait toujours existé. Au contraire, c’est une exigence relativement récente, en France comme ailleurs » (Dubar, 2001, p. 23). Chaque ralentissement économique s’accompagnant d’une hausse du chômage met en évidence le sur-chômage des moins de 25 ans, et cela ne vaut pas que pour la France comme le montrent les données ci-dessous :
1.2 Le stage, une réponse contestable aux difficultés d’insertion des jeunes diplômés
Beaucoup de recruteurs justifient leur réticence à embaucher des débutants même diplômés, en mettant en cause tant leur inexpérience qu’un écart supposé entre le contenu des formations et les réalités de la vie économique, du fonctionnement des entreprises et des exigences du travail. Lors d’un colloque sur l’emploi des jeunes diplômés organisé par le Sénat en juin 2006, le sénateur Emorine formulait clairement cette idée répétée à l’envi depuis 30 ans : « on observe encore une véritable inadéquation entre la formation initiale des jeunes diplômés et les offres des entreprises sur le marché du travail. Si elle porte parfois sur les savoirs et les compétences, cette inadéquation concerne aussi les savoir faire. Semblant résulter d’un fort cloisonnement entre l’université et le monde du travail, elle explique la longue attente entre l’acquisition du diplôme et l’insertion durable dans l’entreprise, ainsi que la diversité des étapes, souvent laborieuses, de l’entrée sur le marché du travail » (Emorine, 2006, p. 5).
Si l’enseignement supérieur français est perfectible à bien des égards, peut-on aussi simplement identifier son hypothétique éloignement ou sa supposée ignorance des réalités de l’économie et de l’emploi comme la cause principale (voire unique) des difficultés que rencontrent les jeunes diplômés quand ils tentent d’accéder à l’emploi ? Nous y voyons plutôt une de ces fausses évidences que leur affirmation récurrente ne suffit pas à démontrer. C’est en particulier oublier les recherches sur la relation formation/emploi (Tanguy, 1986 ; Giret et al. 2005) montrant l’existence de nombreuses variables qui ne se résument nullement à la proximité éventuelle entre le contenu de la formation initiale et les impératifs de la vie professionnelle.
Le manque d’expérience avancé par les recruteurs pour justifier leur timidité à embaucher des jeunes diplômés au sortir de leur formation initiale n’est pas un phénomène qui serait apparu ces trente dernières années. Par nature, un débutant est peu ou pas expérimenté. Sa productivité est donc réduite avant que l’expérience accumulée ne se combine avec la formation pour générer une qualification permettant d’atteindre l’efficacité et la productivité voulues par les employeurs. De ce fait, recruter un salarié débutant plutôt qu’un salarié confirmé génère des coûts et des risques. Parallèlement, cela permet de rajeunir sa main-d’oeuvre pour un coût salarial moindre tout en bénéficiant d’un dynamisme, d’une énergie et d’un renouvellement plutôt favorables à l’innovation et au développement d’une organisation. Recruter un jeune débutant n’est pas plus impossible aujourd’hui qu’hier.
Ce qui a changé, c’est avant tout que la France est passée d’une période de trois décennies où le taux de chômage n’a jamais dépassé 4 % à une période de dix ans d’essor continu de ce taux qui va dépasser 10 % puis ne plus jamais redescendre au-dessous de 8 % depuis trente ans. Ce fait majeur est une cause centrale de la transformation des pratiques de recrutement et de gestion des salariés. Face à une multitude de candidats à l’emploi (insiders souhaitant une mobilité interne, salariés en poste cherchant à changer d’employeur, chômeurs en quête d’embauche) dotés de qualifications, de diplômes et d’expériences divers, les recruteurs ont accru leurs niveaux d’exigence, réduit les embauches qu’ils considèrent comme les plus risquées et les plus coûteuses tout en développant différentes formes de flexibilité externe. Les débutants, même titulaires de diplômes élevés, sont dès lors fréquemment écartés au profit de plus expérimentés ou invités à faire leurs preuves dans des emplois non durables et sous-payés. Beaucoup éprouvent alors les pires difficultés pour obtenir un emploi stable en étant plus ou moins durablement condamnés à une alternance entre chômage et emplois précaires (CDD, intérim, contrats aidés et stages y compris de post-diplômés[5]). On observe là un des résultats et un des reflets de la mutation du système d’emploi en cours depuis les années 1980. Le chômage donne plus de latitude aux recruteurs face à une masse de demandeurs d’emploi en concurrence alors que les politiques publiques permettent des effets d’aubaine en proposant différentes sortes d’aides publiques pour inciter à embaucher.
Dans ce cadre, de nombreux recruteurs externalisent le coût de l’acquisition d’expérience des jeunes vers l’État et les organismes de protection sociale (via des subventions ou des exonérations de cotisations sociales en contrepartie du recrutement des jeunes) ou vers les jeunes eux-mêmes et leurs familles contraints d’accepter des rémunérations faibles et parfois du déclassement professionnel : « parmi les différents types de parcours, nombre d’entre eux sont marqués par des situations de “déclassement salarial”, c’est-à-dire des situations où le jeune occupe un emploi “faiblement rémunéré au regard de son niveau de diplôme”, situations de déclassement plus ou moins durables » (Nauze-Fichet, Tomasini, 2005, p. 58). L’empilement de mesures prises par les gouvernements successifs, le mimétisme et la force de l’habitude ont fait de ces pratiques une nouvelle norme sans évaluation discutée de la pertinence des arguments censés les justifier et de leurs effets réels.
Le chômage et le « halo du chômage » constitué de diverses situations de sous-emploi (au sens de l’Organisation internationale du travail) sont ainsi devenus l’horizon fréquent des jeunes en début de vie active compliquant et allongeant l’insertion professionnelle telle que la définit Michel Vernières : « un processus par lequel des individus n’ayant jamais appartenu à la population active, accèdent à une position stabilisée dans le système d’emploi » (Vernières, 1997, p. 12).
Ni le manque d’expérience des jeunes, ni l’inadaptation des formations n’expliquent l’émergence du problème d’insertion professionnelle. Ce sont la montée du chômage et l’évolution des modes de recrutement et de gestion de la main-d’oeuvre salariée qui en sont essentiellement à l’origine : « Le sur-chômage des jeunes n’est pas d’abord lié aux caractéristiques de certains jeunes, il est avant tout un problème de chômage et de mode de fonctionnement du marché du travail » (Lichtenberger, 1996, p. 37). On peut dès lors douter que l’essor des stages, même s’ils peuvent être fructueux, permette de répondre au problème. Il convient néanmoins d’analyser les effets possibles des stages pour interroger leur utilité.
2. Les potentialités et les risques des stages dans les cursus d’enseignement supérieur
Défini comme une période d’insertion dans une situation de travail d’un(e) étudiant(e) en formation initiale lui permettant à la fois de découvrir par lui-même et in situ une réalité du travail, de mettre en oeuvre ses connaissances et d’expérimenter ses compétences en milieu professionnel, le stage peut être assimilé à une participation observante dont nous voulons montrer qu’elle possède une triple portée formative, professionnalisante et socialisatrice.
2.1 Les apports possibles du stage à la professionnalisation des futurs diplômés
Les stages organisés dans de multiples dispositifs de formation peuvent contribuer de différentes façons à la professionnalisation. D’un point de vue large, on peut considérer que toute acquisition de connaissance et de savoir pratique est « professionnalisante » alors qu’un point de vue très étroit limite la professionnalisation aux seuls apprentissages immédiatement opérationnels ou comportementaux, ce qui paraît insuffisant pour la formation en général, et pour celles relevant de l’enseignement supérieur en particulier. Mais, aussi bien conçue et menée soit-elle, aucune formation, même « professionnalisante », ne suffit à apporter la combinaison de connaissances et de capacités que procurent l’expérience et la distanciation. Il est donc vain d’attendre d’une formation initiale qu’elle fabrique des professionnels « prêts à l’emploi », pleinement performants et productifs. Tout jeune formé a besoin d’années d’expérience et de confrontations aux réalités et aux difficultés du travail pour acquérir ce qui fait le « vrai » et le « bon » professionnel. Ce que doit apporter une formation supérieure de qualité pour « professionnaliser », ce sont les connaissances fondamentales et la capacité à réfléchir sur ce qu’on l’on fait et ce que l’on voit qui permettront de gagner en maturité, en efficacité et en productivité grâce aux acquis d’expériences que l’on saura faire fructifier. Au côté d’autres dispositifs pédagogiques, les stages peuvent y contribuer.
D’une part, ils donnent aux jeunes en formation la possibilité d’enrichir leur projet professionnel en prenant conscience des activités et des fonctions qui les attirent ou leur déplaisent grâce à l’expérimentation ou à l’observation directes qu’ils en font. D’autre part, les stages sont l’occasion de connaître des professionnels et de se faire connaître d’eux en leur montrant des qualités et des compétences en situation de travail. C’est aussi un moment où nouer des contacts que l’on pourra solliciter plus tard. Parfois, un stage fait plus directement office de période d’essai suivie d’un contrat de travail ; cela suppose que ce stage ait lieu en fin de cursus de formation, qu’il se passe bien et qu’il intervienne dans une conjoncture économique favorable.
Plusieurs enquêtes ont confirmé l’utilité potentielle des stages en matière d’accès à l’emploi. Un rapport du Conseil économique et social notait en 2005 que « lorsqu’ils occupent leur premier emploi salarié, 27 % des jeunes sortant de l’enseignement supérieur déclarent ainsi avoir déjà travaillé chez l’employeur qui les recrute, en tant que salarié ou dans le cadre de stages, et en avoir tiré un bénéfice en termes d’insertion. […] Près d’un tiers des diplômés de DESS ou d’écoles de commerce accèdent à une entreprise dans laquelle ils ont été stagiaires ou employés au cours de ses études » (Walter, 2005, p. 17). Selon une étude du Céreq, « plus du tiers des premiers emplois ont été occupés dans une entreprise où les jeunes avaient déjà travaillé pendant leurs études. Si une bonne part de ce premier passage dans l’entreprise s’est déroulée en tant que salarié ou intérimaire, dans la plupart des cas, c’était en tant que stagiaire » (Calmand et al, 2009, p. 15). Dans son enquête sur l’insertion des jeunes diplômés 2011, la Conférence des grandes écoles observait pour sa part que « l’immersion professionnelle, à l’occasion de stages ou de contrats d’apprentissage, reste le moyen privilégié d’accéder à l’emploi (40 %) » (Greneche, 2011, p. 18).
Il convient néanmoins de relativiser cet impact des stages d’abord en rappelant l’importance majeure du contexte de l’emploi et de la politique de recrutement de l’organisation où a lieu le stage. Encore une fois, « la question de l’accès à l’emploi reste un problème pour les scolaires ; un problème à traiter mais pas à résoudre, car il dépend avant tout de l’état du marché du travail et des politiques des entreprises » (Rose, 2006, p. 131). La deuxième et très importante limite tient à la distinction entre l’accès à un premier emploi et une insertion professionnelle réelle supposant une stabilisation dans un emploi durable (même si on est amené à le quitter un jour). Aussi cruciale soit-elle, l’étape du premier contrat n’est qu’un moment de la dynamique de carrière à laquelle aspirent les jeunes diplômés. Pour contribuer efficacement à cette dynamique, un cursus de formation doit reposer sur une diversité d’éléments de formation combinée avec différentes expériences. En tant qu’élément de cet ensemble, le stage peut apporter une aide lorsqu’il est de bonne qualité. Mais, il serait illusoire de croire et de faire croire que le stage est un remède miracle aux difficultés de l’insertion professionnelle, ce serait à la fois surestimer ce potentiel et en sous-estimer d’autres au moins aussi importants.
2.2 Le potentiel formatif du stage
Composante d’un cursus scolaire ou universitaire, le stage est (ou devrait être) d’abord un dispositif pédagogique à la portée formative. Dit simplement, c’est un outil permettant d’apprendre autrement que lors d’un cours, un TD, un TP, la rédaction d’un mémoire, la présentation d’un exposé, la construction d’un dossier ou une enquête de terrain. Il s’agit d’apprendre en expérimentant, en faisant, en mettant « la main à la pâte », en s’inscrivant « en vrai » dans des relations professionnelles (avec une hiérarchie, des collègues, des fournisseurs, des clients), mais aussi en observant et en ayant un recul réflexif sur ce que l’on fait et ce que l’on voit.
Cette richesse pédagogique du stage suppose que le stagiaire soit encadré par un enseignant de son école et par un tuteur sur le terrain du stage pour accompagner la mise en oeuvre de savoirs et de savoir-faire issus d’expériences précédentes, notamment ce qui a été appris durant la formation académique, en respectant les modes d’action propres au poste et à l’organisation où a lieu le stage. L’objectif est d’expérimenter en situation professionnelle pour compléter et élargir ses apprentissages par tâtonnement et par réflexion sur ses découvertes, ses réussites et ses erreurs. Si cet apprentissage complétant ceux résultant des situations d’enseignement plus « classiques » nécessite une aide d’un tuteur, il requiert et permet aussi le développement de capacités personnelles d’observation, de réflexion, de recul critique, d’étonnement, de documentation et de synthèse qui constituent des éléments de savoir et d’autonomie au même titre que la capacité de rédiger une note de lecture, une note de synthèse ou une dissertation que l’on construit à l’école ou à l’université.
On mesure ainsi combien est réductrice la vision distinguant un travail « théorique » pour ce qui se fait à l’université et un travail « pratique » pour ce qui se passe en stage. Dans les deux cas, une formation efficace repose sur des enrichissements réciproques entre la théorie (née de la confrontation à des problèmes pratiques et visant à les solutionner) et la pratique (source de difficultés et d’imprévus appelant des réponses théoriques efficaces et actualisées). Comme l’explique Michel Villette,
si l’école a un sens, c’est parce qu’on admet qu’il est possible de transformer des savoirs ésotériques, locaux et implicites en savoirs généraux discutables et transmissibles et que réciproquement, on pense que des savoirs généraux pourront être mobilisés utilement dans l’action. Assumer cette prétention, c’est répondre à la question : comment extraire d’un engagement temporaire dans une situation de travail quelques « connaissances » académiquement acceptables, c’est-à-dire, composées d’énoncés (d’images, d’objets) suffisamment « décontextualisés » pour être transportables, compréhensibles, discutables, vérifiables, utilisables par les autres élèves de l’école, les professeurs, les chercheurs, et des professionnels qui n’étaient pas impliqués dans la situation de référence ? Si une période de travail en entreprise mérite d’être inclue dans un cursus pédagogique de l’enseignement supérieur, c’est parce qu’on cherche effectivement à accomplir ce programme ambitieux et qu’on s’en donne les moyens
Villette, 1998
Cette dimension pédagogique aussi est professionnalisante, comme l’est le troisième apport potentiel du stage portant sur la socialisation.
2.3 Le rôle socialisateur du stage
En fonctionnant comme une expérience plongeant un jeune durant un temps plus ou moins long dans un milieu d’adultes au travail, un stage recèle un fort potentiel socialisateur ne se limitant pas aux seuls apprentissages formels et ne fonctionnant pas de la même façon que les relations enseignant/apprenant. Le stagiaire est (ou devrait être) en responsabilité sur des tâches : même encadré par un tuteur, il lui revient de prendre des décisions, d’organiser un suivi, de progresser pour essayer d’atteindre des résultats qui engagent non seulement sa formation et son avenir, mais aussi une organisation qui lui a accordé un rôle et qui attend un retour productif mesurable. Même sil n’est pas un salarié, il sera évalué sur un enjeu « performatif » qui dépasse l’enjeu « formatif ». Le stagiaire doit donc faire ses preuves dans un contexte réel et non dans un exercice. Même si ce n’est que provisoire, il vit et travaille « comme » un adulte en emploi et cela contribue à le « faire grandir ».
Le stage peut ainsi fonctionner comme un rite de passage du statut d’adulescent en formation à celui d’adulte en emploi : « Ce que les anthropologues appellent un rite de passage implique la répudiation d’une identité ancienne (celle de l’enfant par exemple) et l’initiation à une nouvelle identité (comme celle de l’adulte) » (Berger, 2006, p. 141). Un stage contribue à la socialisation à travers la découverte des réalités du travail et de l’emploi dans une posture qui n’est ni celle de l’étudiant regardant de l’extérieur, ni celle du jeune en formation occupant un « job étudiant » ou un « petit boulot » dont le contenu est dans la plupart des cas sans rapport avec la formation suivie et les espoirs professionnels.
Mais, le risque de confusion entre les positions de stagiaire et de salarié existe lorsque les exigences (en quantité de travail, en qualité ou en délai) fixées aux jeunes en stage sont excessives, ce qui est notamment le cas dans les organisations qui font travailler en permanence des stagiaires en lieu et place de salariés à moindre coût. De telles dérives peuvent générer des formes de socialisation pathologiques engendrant une dégradation de l’image de soi (face à une pression telle que le stagiaire se sent incapable d’atteindre les objectifs qu’on lui fixe) ou une vision négative de l’organisation et du travail.
Comme on le comprend, un stage est riche de potentialités, mais celles-ci ne se réalisent pas à tous les coups. Tout stage n’est pas un « bon » stage, c’est-à-dire qu’il ne permet pas de concrétiser ces apports potentiels. Cela tient à la diversité des attentes et des objectifs des différents acteurs concernés par « le triangle du stage ».
Les teintes indiquent la nature et le contenu des trois types de relation entre les trois catégories d’acteurs intervenant dans ce « triangle des stages » : le gris foncé renvoie à la formation et la socialisation ; le gris moyen porte sur le partenariat et les réseaux et le gris clair concerne la production et les liens marchands.
Un stage est jugé « bon » par chacun de ceux qui y contribuent en fonction de ce qu’il en espère. Les objectifs et les attentes des diverses catégories d’acteurs concernés (jeune en formation, responsable de diplôme, responsable de service des stages ou de BAIP d’école ou d’université, enseignant, chef d’entreprise, chef de service, recruteur, tuteur de terrain) sont différents et parfois contradictoires, même s’ils peuvent aussi être compatibles et même complémentaires. Pour notre part, nous considérons qu’un stage doit permettre d’atteindre en partie au moins les trois apports potentiels que nous avons identifiés. Nos observations nous ont fait comprendre que la réussite d’un stage suppose pour cela que les attentes des acteurs aient été suffisamment explicitées pour vérifier leur compatibilité et que la réalité du terrain permette de satisfaire plus ou moins chacun de ces trois acteurs, ce qui est loin d’être vérifié dans tous les cas.
C’est ce que montre la typologie en quatre catégories construite par Jean-François Giret et Sabina Issehnane à partir d’une étude portant sur près de 7 000 jeunes diplômés du supérieur en 2004 ayant suivi un stage de plus de 1 mois durant leur formation.
Au-delà de cette classification, l’analyse construite par Issehnane à partir de son modèle économétrique confirme d’un côté l’existence de liens entre le type de stage et le type de formation d’enseignement supérieur suivie, et donc entre le type de stage et les caractéristiques sociales de l’étudiant-stagiaire, et d’un autre côté une forte relation entre le type de stage et ses effets différenciés sur l’insertion professionnelle ultérieure. L’existence de ces effets tend à générer un mécanisme de sélection voire de discrimination sur le « marché du stage » après avoir agi sur le « marché des formations » avant même l’entrée dans le système d’emploi. Cela signifie que l’un des effets probables de la multiplication des stages est de modifier l’ordre de la file d’attente pour accéder à l’emploi, ce qui peut d’ailleurs contrebalancer d’autres modalités de différenciation et permettre à des jeunes diplômés aux profils plutôt défavorables (origine sociale, consonance du patronyme, mauvaise réputation de l’école ou de l’université) de tirer bénéfice de cette étape de leur formation[6].
Non seulement les stages ne peuvent que contribuer à préparer l’insertion professionnelle, mais ce rôle n’est pas automatique, ce qui revient à dire que tous les stages ne sont pas de « bons » stages compte tenu des conditions qui doivent être réunies pour que leurs apports potentiels soient effectifs.
3. Comment réussir un « bon » stage ?
Il ne suffit pas qu’un étudiant aille en stage pour qu’il en tire profit. Il ne suffit pas qu’un cursus comporte des stages pour qu’il soit optimal. Pour atteindre ses objectifs pédagogiques et sociaux, un stage doit reposer sur une organisation pensée et maîtrisée, ce qui suppose des conditions exigeantes sur lesquelles nous (les chercheurs du Restag) avons travaillé dans une approche de recherche-action.
3.1 Précisions sur le statut des hypothèses caractérisant un « bon » stage
Nous avons construit des hypothèses sur la base de lectures, d’observations et d’entretiens que nous avons menés et autour desquels nous avons échangé non seulement entre chercheurs, mais aussi avec des praticiens du stage (du côté des établissements supérieurs et du côté des entreprises, des administrations, des collectivités et des associations accueillant des stagiaires) et des acteurs sociaux (associations et syndicats d’élèves, d’étudiants et de stagiaires, organisations d’employeurs et de responsables des ressources humaines, syndicats d’enseignants et de salariés).
Le Restag a ainsi organisé en mars 2012 une journée d’études intitulée « Qu’est-ce qu’un «bon» stage ? ». Durant la matinée, trois ateliers parallèles regroupant des intervenants relevant de chacune des trois catégories d’acteurs du stage ont réfléchi avec nous sur ce thème. Durant l’après-midi, une centaine de participants (chercheurs, praticiens et acteurs) ont débattu de ce qui est ressorti des ateliers et de nos hypothèses sur les conditions du « bon » stage (cf. Restag, 2012).
Nous n’entendons ni aboutir à un consensus général sur le sujet, chacun conserve son point de vue et ses positions, ni déboucher sur des prescriptions impératives que nous n’avons pas vocation à porter. L’objectif de notre recherche-action est plus modestement de construire des préconisations en espérant que les organismes et intervenants concernés y trouvent matière à réfléchir sur leurs pratiques, voire à les perfectionner.
3.2 Les conditions d’un « bon » stage
Nous distinguons six conditions nécessaires pour qu’un stage soit fructueux même s’il est rare que toutes puissent être simultanément réunies et même s’il est rare qu’une situation permette un résultat à la hauteur des attentes des différents protagonistes.
La première condition concerne le contenu en travail du stage. C’est un aspect essentiel puisque l’objet du stage est d’apprendre « en faisant » (learning by doing). Les missions ne doivent être ni trop, ni trop peu consistantes : pour progresser, un stagiaire a besoin de vivre une situation de travail, d’être confronté à des objectifs, des délais et des exigences, donc des difficultés, des imprévus et des obstacles comme chacun en rencontre au travail, mais auxquels le néophyte inexpérimenté qu’est le stagiaire puisse faire face. Un contenu suffisamment riche doit ainsi être associé à une mise en responsabilité telle que les succès et les difficultés vécus soient de véritables expériences, sources de leçons sur ses compétences comme sur ses manques, mais pas sources d’échec et de sanctions.
Ici, deux écueils sont à éviter : d’une part, le « stage photocopie » réduit à des tâches routinières qui peut permettre une observation intéressante, mais sans occasionner d’apprentissage ou de professionnalisation réels ; d’autre part, le stage fonctionnant comme un véritable emploi où l’on exige du stagiaire la productivité et la rentabilité demandées à un salarié, ce qui génère une pression temporelle et psychique niant la position d’apprenant du stagiaire à qui est imposé un stress hors de propos[7]. Ce dernier cas, fréquent dans les secteurs et entreprises « stagiophages », conduit à substituer des stagiaires à des salariés en leur imposant une contribution productive sans rapport avec la gratification qu’ils perçoivent.
Une deuxième condition concerne la proximité nécessaire entre les tâches du stagiaire et les apprentissages de l’étudiant. Elle est nécessaire pour que puisse s’opérer une articulation féconde entre les acquis de la formation académique et la confrontation aux problèmes d’une pratique professionnelle. L’approfondissement des apprentissages scolaires et universitaires d’une part et l’acquisition de savoir-faire utiles pour son avenir professionnel d’autre part ne résultent pas mécaniquement de l’expérimentation pratique. L’apport spécifique des stages suppose qu’ils soient en relation avec les activités professionnelles auxquelles les études préparent, cela fait la différence avec les « jobs étudiants » en général sans rapport avec la formation. Il ne s’agit cependant pas d’avoir une vision étroite qui tomberait dans les apories adéquationnistes, nous savons bien qu’une même formation débouche sur une diversité d’emplois, que ceux qui occupent un même emploi ont suivi des formations et obtenu des diplômés très variés et enfin que le jeune en cours de formation construit un projet professionnel qui évolue. Il ne s’agit donc pas d’enfermer prématurément les étudiants dans une professionnalisation hyperspécialisée. Le degré de proximité entre formation et contenu professionnel du stage doit en outre être adapté aux filières et aux niveaux de formation.
Ces deux premières conditions qui portent sur la nature du travail confié durant un stage intéressent les trois partenaires des stages même si elles concernent essentiellement la relation entre le stagiaire et l’organisation d’accueil. Cela ne signifie pas (ou ne devrait pas signifier) une absence de regard et de contrôle de l’école ou de l’université dont le stagiaire reste l’étudiant. Une coordination entre le tuteur de terrain et l’enseignant référent devrait ici intervenir et pas seulement en fin de stage, au moment du bilan et/ou de la soutenance orale du rapport de stage. Cela nous amène à examiner les conditions du tutorat sur le terrain et de l’encadrement pédagogique.
Troisième condition : il est crucial que le stagiaire soit accompagné, encadré, guidé par un tuteur de qualité, donc par quelqu’un qui sache ce que tutorer veut dire, qui ait été formé à cette tâche, qui ait le temps, les moyens et la volonté de le faire. Cette mission pédagogique n’est pas assimilable à l’encadrement de salariés ou à l’accompagnement d’un nouveau collègue ou subordonné. Ce tutorat passe par la fixation d’objectifs intermédiaires ne tenant pas seulement aux tâches à réaliser, mais aussi aux apprentissages à acquérir. Il suppose un suivi et des entretiens réguliers tout en laissant de l’autonomie au stagiaire dans ses missions car si un stagiaire n’apprend pas seul à partir de ses expériences, il a besoin de pouvoir en mener réellement.
Une quatrième condition concerne les informations et les contacts accessibles aux stagiaires. Pour être en mesure d’analyser ce qu’ils font et observent, il leur faut une vision large sur l’organisation et des liens multiples avec les personnes qui travaillent dans, pour et avec elle. Cette ouverture est importante pour saisir de quoi est faite la vie professionnelle qu’il s’agit de découvrir, de voir, de sentir et de comprendre. Un stagiaire a besoin que de nombreuses portes lui soient ouvertes et que de nombreux dossiers lui soient accessibles même si les contraintes de fonctionnement et de confidentialité créent des limites inévitables. Un stagiaire se formera au contact d’une diversité d’acteurs qui ne se réduisent ni à ses interlocuteurs quotidiens, ni à son tuteur. Il doit réaliser une participation observante comme la ferait un sociologue ou un ethnologue qu’il n’est généralement pas. Cette posture ne s’improvise pas, elle se prépare et cela suppose qu’on soit conscient de son importance, ce qui requiert un travail d’explication des enseignants encadrant les stages. C’est aborder la condition suivante.
La cinquième condition porte sur l’encadrement du stage et du stagiaire par les enseignants de l’établissement de formation. Au-delà de l’aspect administratif important pour éviter abus et dérives (signature et suivi d’une convention de stage respectant la réglementation en termes de d’horaires, de présence, de ponctualité, de gratification, de travail et de conditions de travail), c’est une exigence pédagogique pendant la durée du stage (pour encadrer le travail de construction du rapport de stage), mais aussi avant (pour guider la réflexion sur les objectifs du stage et la recherche d’un stage adéquat) et après (lors de la soutenance du rapport de stage puis du retour sur l’expérience). Cette condition essentielle révèle l’importance d’une clarification et d’une explicitation en amont des effets recherchés du stage (Qu’en attend-on ? Que va-t-on y chercher ? Qu’est-ce qu’un stage intéressant ?). Sans cet encadrement actif, les liens entre théorie et pratique, entre université et « terrain », entre apprentissages académiques et expérimentaux peinent à se concrétiser et à déboucher sur le recul réflexif critique indispensable à l’acquisition de savoirs et de compétences transférables. Nos observations nous ont montré que cet aspect est très souvent sous-estimé, en particulier l’exploitation pédagogique et didactique des stages et des rapports de stage.
Une sixième condition concerne la posture des stagiaires : il leur faut une disposition psychique et cognitive d’apprentissage liée à la conscience qu’ils restent des élèves ou des étudiants qui sont d’abord et avant tout en stage pour enrichir et élargir leur formation. Cela implique qu’ils veillent non seulement à « faire » mais aussi à observer et à réfléchir car leur travail de stagiaire ne se résume pas aux tâches confiées par l’entreprise. Le stage n’est qu’en apparence une période de vacance du statut estudiantin. En stage comme en cours, on apprend en étant acteur de la construction de ses savoirs, or adopter une posture d’apprenant est difficile quand on se retrouve dans une organisation qu’on ne connaît pas et qui n’est pas une structure de formation. Cela nécessite un travail sur soi pour être capable de résister aux pressions du quotidien qui souvent poussent le stagiaire à agir comme s’il était un salarié, surtout s’il pense d’abord à faire les preuves de ses compétences et de son employabilité.
Cet ensemble de conditions présente un haut niveau d’exigence pour chacun des acteurs des stages. Le coût en est élevé tant du point de vue organisationnel et cognitif qu’aux plans matériel et financier, il faut y consacrer du matériel et des heures de travail. Cela nécessite une gouvernance des stages rarement atteinte comme l’expliquent Jean-François Métral et Paul Olry :
L’hypothèse générale et abrupte des travaux que nous avons conduits est que les stages font l’objet d’une administration, mais pas d’une gouvernance. Ils sont administrés, prévus et planifiés, ils sont outillés par un contrat, une action ou un projet à conduire, et les étudiants sont évalués chacun pour ce qui le concerne par l’enseignant et le « maître de stage ». On notera ainsi que le stage n’est pas évalué, c’est l’étudiant qui l’est. Cet état de fait convient aux institutions, du fait précisément du faible coût de coordination requis tant de l’enseignant que du maître de stage
Métral, Olry, 2013
En appeler à une meilleure gouvernance des stages nous paraît essentiel si l’on veut qu’ils jouent un rôle utile et constructif et ne soient pas simplement un produit marketing au service de l’attractivité des établissements ou une facilité de gestion[8]. L’exigence des conditions que nous avons énumérées montre qu’il est irréaliste de penser organiser chaque année plusieurs centaines de milliers de « bons » stages. Or, même s’il est difficile de trouver un dénombrement précis, toutes les enquêtes concluent à une tendance à la multiplication des stages. Selon Julien Bayou (de Génération précaire), « le nombre de stagiaires a augmenté de 50 % entre 2005 et 2008. » (Bayou, 2010, p. 70) et l’estimation de Jean-Baptiste Prévost va au-delà : « Le nombre de stages en milieu professionnel est estimé aujourd’hui à environ 1,6 million par an contre 600 000 en 2006 » (Prévost, 2012, p. 27).
Une telle inflation ne peut que multiplier les stages sans contenu, les stages sans encadrement et les stages abusifs. Ce dernier aspect est particulièrement problématique puisqu’en se substituant à des emplois salariés, de tels stages contribuent à accroître les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes diplômés en les privant de postes de débutants qui leur conviendraient parfaitement mais qu’occupent des stagiaires sous-payés et souvent déclassés. On en vient donc non seulement à ne pas améliorer les conditions d’accès à l’emploi, mais à les dégrader par la réalisation d’un effet hautement pervers.
Conclusion
Un stage n’est pas intrinsèquement efficace, il importe que les acteurs et institutions concernés acquièrent la conscience, la volonté et la capacité de réunir les conditions exigeantes d’un « bon stage » tout en limitant leur nombre de façon à concrétiser leurs apports potentiels qui sont multiples et ne se limitent pas à faciliter la primo-insertion professionnelle des jeunes diplômés. Le stage fait partie des différents outils de nature à enrichir la formation, améliorer la socialisation et préparer la future insertion professionnelle des étudiants. Pour autant, les stages ne suffiront pas à résoudre les difficultés d’insertion et de stabilisation des jeunes dans l’emploi. Il serait illusoire de laisser croire que les stages aussi bien pensés et bien organisés soient-ils pourraient suffire à effacer les obstacles que rencontrent les jeunes diplômés non seulement pour trouver un premier emploi, mais pour se stabiliser dans l’emploi et construire leur carrière. La résorption du chômage, et plus particulièrement le recul substantiel du chômage des jeunes, dépasse largement les capacités et les responsabilités des organismes de formation.
Parties annexes
Notes
-
[1]
« Étymologiquement le mot stage semble avoir une double origine : féodale et canonique. Le stagium c’est en effet l’obligation pour le vassal de séjourner dans le château du suzerain ; et aussi celle pour le chanoine de résider dans son église. Le vassal est dit estagier ; le chanoine stagier. Or dans les années 1770-1780 le mot stage prend un sens plus étendu, à savoir une période d’études pratiques imposée pour l’exercice de certaines professions. » (Valet, 2013).
-
[2]
C’est aussi ce qui explique les appels récurrents à développer l’apprentissage et les formations en alternance, sujets proches, mais suffisamment différents pour que nous ne les traitions pas dans le cadre de cet article.
-
[3]
Cf. § 29 où nous précisons la nature de notre démarche et le statut des hypothèses que nous formulons.
-
[4]
Si les recherches sur les stages menées au sein du Restag sont collectives, ce texte n’engage que son auteur.
-
[5]
Nous évoquons ici les stages effectués par des étudiants diplômés qui espèrent convaincre un employeur de leur octroyer un contrat de travail en faisant un stage (et donc un travail sous-payé), en s’inscrivant dans des formations fictives pour obtenir une convention de stage (cf. Glaymann, Grima, 2010).
-
[6]
Même si cela relève d’une approche impressionniste très localisée, nous avons pu mesurer cet effet bénéfique pour certain(e)s étudiant(e)s de l’UPEC.
-
[7]
Nous n’en déduisons pas que le stress supporté par nombre de salariés serait légitime.
-
[8]
Envoyer des étudiants en stage permet de dégager des horaires d’enseignement et de libérer des locaux, ce qui aide à accueillir d’autres étudiants en dépit des pénuries budgétaires.
Bibliographie
- Bayou, J. (2010). Mieux encadrer les stages. Génération précaire en première ligne. Cadres CFDT, (440-441), p. 67-72.
- Berger, P. (2006). Invitation à la sociologie. Paris : La Découverte.
- Calmand, J., Epiphane, D., Hallier, P., (2009). De l’enseignement supérieur à l’emploi : voies rapides et chemins de traverse. Notes Emploi-Formation, 43, p. 58.
- Conseil d’orientation pour l’emploi, Diagnostic sur l’emploi des jeunes (2011). Téléacessible à : www.coe.gouv.fr.
- De Briant, V. & Glaymann, D. (éd.). (2009). Le stage. Formation ou exploitation ? Rennes : Presses universitaires de Rennes.
- Dubar, C. (2001). La construction sociale de l’insertion professionnelle. Éducation et sociétés, 7(1), p. 23-36.
- Emorine, J.-P. (2006). Rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires économiques sur les entreprises et les jeunes diplômés. Rapport d’information du Sénat. Téléacessible à : www.senat.fr/.
- Fourcade, B. (1992). L’évolution des situations particulières d’emploi de 1945 à 1990. Travail et Emploi, (52), p. 4-18.
- Giret, J.-F., Lopez, A., Rose J. (éd.). (2005). Des formations pour quels emplois ? Paris : La Découverte.
- Giret, J.-F., Issehnane, S. (2010). L’effet de la qualité des stages sur l’insertion professionnelle. Net.Doc, (71).
- Glaymann, D., Grima, F. (2010). Faire face à un déclassement social : le cas des jeunes diplômés précaires prisonniers des stages. Management et avenir, 36, p. 146-165.
- Greneche, G. (2011). Résultats de l’enquête Insertion des jeunes diplômés 2011, Conférence des grandes écoles, 2011. Téléacessible à : www.cge.asso.fr.
- Journal Officiel de la République française (2011). Loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels. Téléacessible à : www.journal-officiel.gouv.fr/.
- Lichtenberger ,Y. (1996). L’emploi des jeunes. Esprit, novembre 1996, p. 33-42.
- Métral, J.-F., Olry, P. (2013). Un stage formateur : pour qui ? Pour quoi ? Dans V. de Briant, & D. Glaymann (dir.), Le stage, formation ou exploitation ? Rennes : Presses universitaires de Rennes.
- Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2012). Plan pour la réussite en licence : 730 millions d’euros d’ici 2012. Communiqué de presse mis à jour le 10 mai 2011. Téléacessible à : www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/.
- Moncel, N. (2010). Quels emplois pour les débutants diplômés du supérieur ? Une analyse de la qualité des emplois au cours des trois premières années de vie active de la Génération 2004. Net.doc, 67.
- Nauze-Fichet, E., Tomasini, M. (2005). Parcours des jeunes à la sortie du système éducatif et déclassement salarial. Économie et statistique, 388-389, p. 57-83.
- Nicole-Drancourt, C., Roulleau-Berger, L. (2001). Les Jeunes et le travail, 1950-2000 Paris : PUF.
- Prévost, J-B. (2012). L’emploi des jeunes. Avis du Conseil économique, social et environnemental. Téléacessibel à : www.lecese.fr/.
- RESTAG (2012). « Compte-rendu de la journée du 23 mars 2012 : Qu’est-ce qu’un «bon» stage ? », dans La lettre du Restag, n° 3. TÉléacessible à : http://largotec.u-pec.fr/reseaux/restag/.
- Rose, J. (1998). Les Jeunes face à l’emploi. Paris : Desclée de Brouwer.
- Rose, J. (2006). Interview par Marie Raynal. Diversité Ville-École-Intégration, (146), p. 131-135.
- Tanguy L. (éd.), L’introuvable relation formation-emploi : un état des recherches en France, Paris, La documentation Française, 1986.
- Valet, S. (2013). Le stage : une invention de l’Ancien régime. Dans V. de Briant & D. Glaymann (dir..), Le stage, formation ou exploitation ? Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
- Vernières, M. (dir.). (1997). L’insertion professionnelle, analyses et débats. Paris : Economica.
- Villette, M. (1998). Le stage en entreprise peut-il devenir un programme d’apprentissage fort ? Recherche et formation, (29), p. 95-108.
- Walter, J.-L. (2005). L’Insertion professionnelle des jeunes issus de l’enseignement supérieur », Avis et rapports du Conseil économique et social. Téléacessible à : www.lecese.fr/)