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Introduction

La notion d’inclusion scolaire appliquée aux enfants handicapés est une notion à la mode qui connaît une grande diffusion internationale (voir p.ex. article 24 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU de 2006) et se trouve plus ou moins utilisée dans des contextes nationaux, mais avec de grandes variations dans les interprétations. Parallèlement, la notion de handicap a tendance à être supplantée par d’autres expressions telles que « situation de handicap » ou « besoins éducatifs particuliers ». Ces transformations actuelles sont révélatrices de tensions qui s’expriment à la fois dans la définition des finalités éducatives et dans la mise en oeuvre des pratiques pédagogiques, elles-mêmes en confrontation avec différents partenaires, parmi lesquels les professionnels du « handicap » et les parents ainsi que les enseignants ordinaires. Ainsi, on relève ces questions majeures qui font débat, voire qui suscitent des polémiques : socialisation séparée ou non des enfants handicapés, priorité à l’acquisition de connaissances ou à leur développement personnel, perspectives de simple « occupation » à l’âge adulte ou de formation professionnelle qualifiante.

Il serait présomptueux de vouloir traiter l’ensemble de ces questions de manière exhaustive, car chacune d’entre elles réclame une analyse détaillée qui doit reposer sur un bilan historique qui ouvre vers une meilleure compréhension de l’actualité et vers l’interprétation contextualisée de données empiriques. C’est pourquoi, de manière plus modeste, nous nous fixons comme objectifs, d’abord, de procéder à une analyse historique plus globale des dispositifs législatifs, réglementaires et institutionnels qui ont été mis en place en France pour la scolarisation des enfants actuellement dénommés « handicapés ». Ensuite, nous allons rendre compte d’une enquête de terrain, de type ethnographique, qui a été menée dans une école parisienne pratiquant l’accueil conjoint d’enfants handicapés et valides, et qui soulève la question de savoir si cette scolarisation est le signe d’une évolution pragmatique vers l’intégration ou s’oriente vers une éducation inclusive bien plus ambitieuse. Nous allons tenter de montrer les tensions éducatives qui se créent à partir de la présence des enfants handicapés dans les écoles, et comment les différentes étapes ont essayé de réduire ou de résoudre ces tensions.

1. Approche socio historique de la scolarisation des enfants en situation de handicap : quelles grandes étapes ?

Une manière utile de restituer historiquement l’évolution de la scolarisation de ces enfants est de distinguer des étapes majeures. Grosso modo, trois grandes étapes sont repérables : l’éducation spéciale ; l’éducation intégrative ; l’éducation inclusive. Parallèlement, les désignations des enfants concernés se sont modifiées : de l’anormal et de l’arriéré, on est ensuite passé au déficient et à l’inadapté et, plus récemment, au handicapé. De telles étapes sont sans aucun doute repérables de manière assez semblable dans plusieurs pays fort différents, mais avec des périodisations qui ne concordent pas, du fait de leurs histoires institutionnelles, de leurs cultures, de leurs types de professionnels engagés dans l’éducation ou dans les soins. Certains pays peuvent être encore largement dans la phase de l’éducation dite « spéciale », d’autres, au contraire, se situer pleinement dans une politique et des pratiques « inclusives ». Cependant, nous préférons mettre l‘accent sur la situation française pour éviter des panoramas trop généraux et qui présentent souvent l’inconvénient de négliger les contextualisations historiques particulières aux différents pays.

1.1 L’éducation spéciale

Contrairement à une opinion hâtivement formulée aujourd’hui, la scolarisation des enfants handicapés n’est nullement une chose nouvelle, elle a été l’objet d’attention depuis longtemps et elle a même été soutenue par des innovations pédagogiques dont certaines trouvent encore leur application aujourd’hui, par exemple l’écriture en braille pour les aveugles. Toutefois, elle s’est située d’emblée dans le cadre d’une scolarisation séparée, justifiée par le fait que les caractéristiques particulières de ces enfants, génériquement considérés comme anormaux, ne pouvaient permettre une scolarisation partagée avec les autres. Le spécial était la seule voie envisagée, tant les différences entre enfants, soit sensorielles, soit motrices, soit mentales, étaient exacerbées au point d’ignorer les similitudes des êtres humains.

L’éducation spéciale s’enracine d’abord dans les expériences éducatives avec des enfants déficients sensoriels (sourds et aveugles) au XVIIIe siècle.[1]Elle s’est traduite concrètement par la création d’écoles qui leur étaient destinées et qui deviennent ensuite des « instituts nationaux » sous la Révolution française. C’est la question des enfants « arriérés » qui suscite des initiatives nouvelles au XIXe. Au tout début de ce siècle, la figure emblématique des médecins éducateurs est celle de Jean Itard qui avait recueilli un garçon trouvé dans une forêt du sud du Massif central, dans l’Aveyron (Malson, 1964). Il avait fait le pari de la « curabilité »[2] de ce garçon qui a été dénommé Victor. En fait, la question fondamentale qui était ainsi soulevée par cette expression était celle de l’éducabilité d’enfants déclarés « anormaux » et du lieu de leur formation. À cet égard, le moment charnière du débat sur le type de scolarisation est sans doute le passage du XIXe au XXe siècle, où la scolarité en milieu scolaire ordinaire commence à être envisagée pour ces enfants. Ainsi, Bourneville, comme médecin-chef de l’hospice de Bicêtre en 1879, avait cherché à améliorer l’accueil et l’éducation d’enfants dans les asiles d’aliénés, d’une part, en développant au sein de l’asile des activités pédagogiques dont certaines pouvaient être semblables à celles de l’école primaire, d’autre part en proposant la création de classes spéciales au sein même des écoles primaires ordinaires pour l’accueil de certains enfants dits « améliorés » (Gateaux-Mennecier, 1989). Il ne trouva pas un écho favorable à cette dernière proposition auprès de l’Assistance publique de Paris, mais, d’une certaine manière, et avec des mots différents, c’était déjà un projet d’intégration scolaire, c’est-à-dire la présence en milieu scolaire ordinaire d’enfants en provenance d’un lieu spécialisé extérieur. Certes, cela était formulé sous le label du « spécial », mais dans le cadre d’un projet fondamentalement novateur qui aurait impliqué le développement de rapports entre asile et école.

Mais ce sont les clivages institutionnels qui vont l’emporter. À la même époque, les deux célèbres défenseurs de la psychologie de l’intelligence, Binet et Simon, vont renverser le projet du médecin aliéniste en affirmant les ruptures entre types d’enfants et entre types d’institutions. Seuls les anormaux dits « anormaux d’école » retiennent leur attention, car ils les considèrent comme « perfectibles », au contraire des « anormaux d’asile » dont, selon eux, on ne peut guère attendre autre chose qu’une attention médicalisée. Selon leur formule célèbre de 1907, il faut faire l’essai des écoles et classes spéciales pour les « anormaux » repérés dans les écoles, car « les enfants anormaux et arriérés sont des enfants dont l’école ordinaire et l’hôpital ne veulent pas ; l’école les trouve trop peu normaux et l’hôpital ne les trouve pas assez malades » (1907, p.10). D’où la légalisation en 1909 des classes dites « de perfectionnement », annexées aux écoles primaires, précisément pour des débiles perfectibles. Notons que le programme d’instruction préconisé par Binet et Simon pour ce type de classe était défini comme devant être plus proche d’une initiation à l’atelier que d’un apprentissage avancé dans les matières de l’école primaire, bien que des notions de base, par exemple en lecture et en calcul, aient été considérées comme souhaitables : « … l’atelier doit, dans l’enseignement des anormaux, devenir un lieu d’instruction plus important que la classe » (Ibid., p. 48). En réalité, il s’agissait de préparer au travail manuel : « Toute l’instruction à donner aux anormaux est dominée par la question de leur utilisation professionnelle. » (Ibid. p.51). Les instructions pédagogiques issues de la loi de 1909 restent sur la même ligne : un enseignement concret, orienté vers la vie pratique et vers l’insertion professionnelle, doit permettre que ces enfants ne restent pas à la charge de la société et se suffisent par eux-mêmes. L’aspect positif de ces préconisations est l’insistance sur une pédagogie active, sur la mise en valeur du contact direct des enfants avec les objets et les êtres, sur l’utilisation des images et des activités qui motivent l’attention.

L’éducation spéciale est finalement une éducation qui s’exerce dans des lieux séparés, qu’il s’agisse de classe annexée ou d’établissement autonome. La mise à l’écart est la règle, elle s’appuie sur la représentation d’une rupture radicale entre le normal et l’anormal, et cette anormalité est le plus souvent référée, comme chez Binet et Simon, aux critères de l’instruction destinée aux enfants qui fréquentent l’école primaire. Est anormal, celui que l’on considère inapte aux enseignements de l’école. En d’autres termes, cette approche est totalement dépendante des normes scolaires, elle présuppose une nécessaire adaptation à celles-ci pour être déclaré appartenir au champ du « normal », à l’opposé d’une approche clinique de l’anormalité qui serait attentive aux éventuelles particularités pathologiques individuelles.

Ces orientations sont longtemps passées pour évidentes. Paradoxalement, elles se sont même renforcées dans des périodes relativement récentes, au cours des années 1960, lors des transformations générales du système d’enseignement où les pouvoirs publics s’inquiétaient des « inadaptations scolaires » et cherchaient à définir des moyens pour y remédier. Les classifications en vigueur officiellement à la fin des années 60 maintiennent la distinction entre plusieurs niveaux de déficience et leur font correspondre des types d’institutions. Ainsi, les arriérés ou débiles profonds sont considérés comme « inéducables » et doivent logiquement relever de la seule compétence du Ministère de la Santé ; les débiles légers sont attribués au Ministère de l’Éducation et peuvent être accueillis dans les classes de perfectionnement, car ils sont déclarés « éducables ». Pour les débiles moyens, qui se situent à des degrés intermédiaires de déficience, les institutions se situent au chevauchement de la santé et de l’éducation. C’est la période où se développent à la fois des classes spéciales à l’initiative de ministère de l’Éducation et des instituts dits « médico-éducatifs », le plus souvent créés par des associations de parents sous l’égide du Ministère de la Santé. Le souci de rationalisation institutionnelle cherchait à s’appuyer sur une logique classificatoire des populations qui prenait les allures de la justification scientifique.[3]

Pourtant, les premières fissures du spécial apparaissent aussi à la fin des années 1960 et surtout au cours des années 1970. Les analyses critiques se développent, parfois avec la diffusion des expériences italiennes sur l’ouverture des asiles (celles de Basaglia, par exemple). C’est la critique des lieux thérapeutiques fermés, la remise en cause de l’asile, mais aussi la critique de l’école, accusée de perpétuer les inégalités sociales et de favoriser la reproduction sociale : d’où les expressions d’école conservatrice ou encore celle d’école - caserne. Parallèlement aux institutions officielles ou associatives accueillant les enfants que l’on nomme alors « inadaptés », des lieux innovants sont même créés, par exemple l’école expérimentale de Bonneuil-sur-Marne, à l’initiative de la psychanalyste Maud Mannoni. On se doit aussi de rappeler les expériences pédagogiques menées en classe de perfectionnement par Aïda Vasquez et Fernand Oury sous le nom de « pédagogie institutionnelle ». Ces initiatives et ces remises en cause du modèle traditionnel du spécial annoncent d’autres conceptions qui vont se traduire par des mesures institutionnelles nouvelles.

1.2 L’éducation intégrative

Les mesures prises sous le signifiant de « l’intégration scolaire » sont lancées officiellement au début des années 1980, même si auparavant des initiatives de ce type avaient été menées à titre expérimental. Elles se situent dans le cadre de l’application de la loi de 1975 dite « d’orientation en faveur des personnes handicapées » qui énonce « l’obligation éducative » pour tous types de handicap, en opposition aux affirmations précédentes de niveaux différenciés d’éducabilité.[4] Rien ne s’oppose donc en principe à ce que tous les enfants handicapés bénéficient de mesures éducatives adaptées à leurs particularités. Pourtant, deux nuances doivent être apportées. D’une part, il s’agit d’obligation éducative dans un sens très général et non d’obligation scolaire. Au moment des débats parlementaires sur la loi, certains députés ou sénateurs avaient réclamé des positions plus explicites, mais les représentants des pouvoirs publics (en fait, du Ministère de la Santé dans le cadre de l’« action sociale ») avaient défendu l’idée que l’éducation devait englober la scolarisation et non s’y réduire. On peut y percevoir un élément très significatif de l’opposition entre ministère de la Santé et ministère de l’Éducation. D’autre part, selon les termes de la loi, l’obligation éducative peut être mise en oeuvre soit dans l’éducation ordinaire soit dans l’éducation spéciale. Cette dernière est définie comme associant « des actions pédagogiques, psychologiques, sociales, médicales et para médicales, soit dans des établissements ordinaires, soit dans des établissements ou par des services spécialisés ». Le spécial ne disparaît donc pas et fait partie des dispositifs reconnus sous forme de classes ou d’établissements. De plus, l’articulation entre l’école ordinaire et ces dispositifs reste le point noir de cette période.

Pourtant des orientations novatrices en faveur de l’intégration scolaire sont formulées, non dans la loi elle-même, mais, plus tardivement, dans des circulaires d’application en 1982 et 1983. L’intégration scolaire est précisée sous différentes formes. Il peut s’agir soit d’intégration individuelle, c’est-à-dire de la présence d’enfants handicapés en classe ordinaire, soit d’intégration collective, c’est-à-dire d’un regroupement d’enfants selon leur type de handicap dans une classe particulière insérée dans une école commune. Enfin, des intégrations peuvent s’effectuer à temps partiel, ce qui sous-entend qu’en principe des enfants peuvent passer d’un type de scolarisation à un autre, voire passer du spécial à l’intégratif. C’est dans le même sens que la volonté de permettre des décloisonnements des institutions est énoncée, ouvrant de la sorte aux problématiques plus actuelles de la « désinstitutionnalisation ».[5] Les réalités restent néanmoins très marquées par les solidifications héritées du passé et les trajectoires des enfants se déroulent au sein des mêmes filières institutionnelles, par exemple sans retour vers le circuit scolaire ordinaire pour ceux qui ont été placés dans des classes spéciales ou des établissements médico-éducatifs. Un autre indicateur très clair de ces enkystements est le fait que les intégrations diminuent régulièrement au fur et à mesure que l’on « monte » dans le système scolaire : les acceptations des enfants « irréguliers » au début de l’école primaire, souvent à l’école maternelle, deviennent rarissimes dans l’enseignement du second degré. Les normes d’enseignement et les cadrages des programmes dominent alors l’affirmation de principe de l’intégration et toute velléité de socialisation commune, qui serait conforme à la même classe d’âge, devient factice. De fait, le bilan chiffré des intégrations dites « individuelles » en classe ordinaire s’est révélé décevant (moins de 10 % sur l’ensemble des enfants reconnus comme handicapés, en 1989). On a pu dénoncer quasi officiellement que les intégrations scolaires étaient souvent effectuées « à l’essai », sans véritable continuité éducative. La politique d’intégration s’est révélée être un processus fragile, soumis à la fois aux aléas administratifs et aux différents obstacles révélant les peurs des acteurs du système scolaire.[6]

Les évolutions ultérieures sont progressivement révélatrices de changements dans les références théoriques et les conceptions éducatives et permettent d’envisager de nouvelles mesures pratiques. Ce sont les références aux droits des personnes handicapées et, plus particulièrement, au droit à la scolarisation. Les parents se sont de plus en plus manifestés dans la revendication de ce droit pour leurs enfants, et beaucoup d’entre eux ont interprété ce droit comme le droit à la scolarisation en milieu ordinaire. De plus, les pouvoirs publics ont fait place à ce droit pour tenter de faire évoluer les acceptations d’accueil dans les écoles. En 2001-2002, plusieurs textes officiels sur l’éducation vont mettre en exergue que la scolarisation est un droit, que l’accueil est un devoir, et même déclarer de manière plus contraignante, au moins sur le plan civique, qu’un établissement scolaire qui n’intégrerait aucun élève handicapé ne remplirait pas totalement sa mission de « service républicain ». Toutefois, l’alternative de « l’environnement spécialisé », c’est-à-dire celle des établissements médico-éducatifs, était toujours envisagée. La politique intégrative s’articule ainsi avec le maintien du spécial, extérieur aux établissements scolaires ordinaires, à cette nuance près que les actions de coopération et de coordination des services sont vivement encouragées.

Dans le cadre de cette politique, qu’en est-il des représentations de l’enfant ? À coup sûr, il ne s’agit plus de l’enfant anormal qui ne pouvait être que scolarisé dans un milieu séparé. Selon la loi, il s’agit principalement de l’enfant handicapé, mais plusieurs précisions sur les aides nécessaires ont recours à des notions plus larges telles que celle de « besoin éducatif particulier », expression nouvelle en français et héritée de la langue anglaise. Désormais, un ensemble de dispositifs est en principe disponible et ouvre à plusieurs types de solutions. L’enfant handicapé peut être « intégré » dans le milieu ordinaire selon plusieurs modalités, allant de la classe ordinaire jusqu’à sa présence en classe spéciale dite « d’intégration scolaire ». Dans le meilleur des cas, la socialisation peut désormais s’opérer dans un espace commun, partagé avec les autres. Reste que l’enfant doit être reconnu comme « intégrable » et les commissions scolaires spécialisées sont chargées à la fois d’apprécier le handicap, les capacités individuelles de scolarisation, et d’orienter vers tels ou tels types de structure, parmi lesquelles l’établissement médico-social demeure une option possible en fonction des « besoins » de l’enfant.[7] L’accueil en milieu ordinaire est certes encouragé officiellement et l’argumentation des droits a maintenant sa place. Mais on perçoit que ces mesures intégratives se situent dans un kaléidoscope de solutions où le milieu ordinaire n’est qu’un aspect parmi d’autres.

Sur le versant de la formation scolaire et professionnelle, là encore les représentations traditionnelles jouent encore dans la foulée du spécial. L’école primaire élémentaire et la formation de base qui s’y rattache sont souvent considérées comme les seuls horizons possibles de la formation pour nombre d’enfants handicapés, y compris pour ceux qui ne présentent pas de déficits intellectuels. Par exemple, il faut la puissance de conviction de certains responsables pédagogiques pour que soit mises pratiquement en place des scolarisations dans le second degré pour des adolescents handicapés moteurs ou déficients sensoriels. Les représentations dominantes reposent sur l’assimilation des enfants ou des adolescents handicapés à des enfants plus jeunes dont les capacités ne pourraient permettre des scolarisations plus avancées. Les formations professionnelles ne débouchent que rarement sur des qualifications permettant des emplois dans le monde du travail. Que dire alors des plus handicapés, par exemple sur le plan mental, pour lesquels les perspectives offertes dans les Centres d’aide par le travail relèvent plus de l’occupationnel ou de la sous-traitance sur des tâches répétitives que d’une activité motivante ?

1.3 Vers l’éducation inclusive ?

Les analyses critiques les plus fortement argumentées de l’étape intégrative et les argumentations en faveur d’une autre étape proviennent d’auteurs anglophones, par exemple de la part de Felicity Armstrong (1998). L’intégration est considérée comme une réforme dans la continuité du spécial, un aménagement technique ou pédagogique, mais non comme une manière radicalement différente de considérer les enfants concernés par différents types de déficiences ou de difficultés. Accueillis dans une classe ordinaire ou dans une école ordinaire, ils ont un statut comme de « visiteurs » et non celui de membres à part entière de l’institution. Ils restent en quelque sorte sur le seuil, dans un entre-deux. [8] Au contraire, dans une situation d’inclusion scolaire, les enfants concernés sont membres à part entière de l’établissement, ils appartiennent à la communauté scolaire, au même titre que les autres, au nom de leur droit d’appartenance et de l’égalité de leurs droits. Cette autre étape signifie par conséquent que la tâche d’adaptation n’est plus prioritairement du côté des enfants, mais du côté des responsabilités des établissements scolaires et des adultes qui s’y trouvent. En bref, ce ne serait plus aux enfants de s’adapter aux normes scolaires, mais au contraire aux dispositifs scolaires de s’adapter aux différences présentées par les élèves. Le renversement de l’intégration vers l’inclusion serait ainsi exprimé prioritairement en termes de renversement des conceptions de rapports entre les enfants les institutions ordinaires d’accueil (voir Hinz 2002).

Ces distinctions étant posées, on perçoit aisément que nous sommes plus ici sur le plan des aspirations normatives reposant sur la revendication des droits pour tous, que sur le plan de la description de réalités qui seraient déjà en phase avec ces aspirations. Si nous nous penchons à nouveau sur l’évolution des dispositifs scolaires pour enfants handicapés en France, nous sommes confrontés aux perspectives ouvertes par la loi du 11 février 2005 intitulée « Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».

Première observation d’importance : la référence à la notion d’éducation spéciale n’est plus présente dans ce texte qui met en valeur l’affirmation générale de la formation nécessaire des personnes handicapées. Le service public est tenu d’assurer « une formation scolaire, supérieure ou professionnelle aux enfants, aux adolescents ou aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant ». C’est même l’inscription de l’enfant dans l’école la plus proche du domicile qui devient la règle : c’est l’école « de référence ». Toutefois, en fonction de ses « besoins », l’enfant peut être inscrit dans une autre école et accomplir sa formation dans des dispositifs désormais appelés « adaptés », éventuellement situés en dehors des écoles ordinaires.

Sommes-nous alors sur la voie d’une politique et de pratiques d’inclusion ? Des éléments administratifs ponctuels permettent de le penser. Car si la loi de 2005 n’utilise nullement cette expression, des textes ultérieurs sur les dispositifs scolaires la reprennent explicitement : les classes d’intégration scolaire, situées dans l’école primaire élémentaire, deviennent des classes pour l’inclusion scolaire ; les unités pédagogiques d’intégration, situées dans l’enseignement du second degré, deviennent des unités localisées pour l’inclusion scolaire. Certes, on peut y voir une référence purement formelle aux évolutions de vocabulaire en provenance de la langue anglaise. Plus généralement, l’utilisation prudente du « pour » (et non du « de ») dans la dénomination des dispositifs précédents montre bien qu’il y a débat et que les choses ne suivent pas nécessairement les mots utilisés. Les avis divergent donc fortement entre, d’une part, ceux qui estiment qu’une voie nouvelle est tracée et que, malgré les obstacles, des évolutions sont en cours et, d’autre part, ceux qui assimilent la notion d’inclusion à un usage purement rhétorique. Citons par exemple Jean-Marie Gillig (2006) qui dénonce le « paradigme artificiel » de l’inclusion et le danger d’une application du droit commun qui aboutirait à nier la différence de l’élève handicapé et à lui faire perdre le droit à un soutien particulier.[9] À l’opposé, pour Bernard Gossot (2005), le cadre législatif adopté s’inscrit en grande partie dans la démarche d’inclusion, car, selon lui, il doit « permettre à chaque sujet porteur d’un handicap de trouver sa place ainsi que d’exercer ses droits dans un environnement qui lui sera ouvert, moyennant les adaptations nécessaires » (p.33). Toutefois, le même auteur considère qu’une politique inclusive ne peut s’exercer par la seule force d’un texte de loi, mais requiert des engagements plus profonds, d’ordre éthique, politique et social. De fait, les évolutions se traduisent par les augmentations significatives des scolarisations en classes ordinaires et corrélativement, les diminutions des accueils en instituts médico-éducatifs.

La discussion reste encore ouverte sur un autre plan, car il y a un risque d’utiliser le terme d’inclusion comme un « mot valise » ou comme un simple slogan. Son extension mondiale donne lieu à une hétérogénéité considérable d’interprétations et d’utilisations. La vigilance critique est donc de mise, par exemple sur l’opposition schématique entre exclusion et inclusion qui soutient plus ou moins clairement la justification de l’inclusion scolaire. Dans ses analyses des politiques sociales et de l’évolution du salariat, Robert Castel (2009) a mis en garde contre l’usage abusif et trompeur de la notion d’exclusion qu’il considère comme une notion écran ou pis encore, comme une notion piège. Car elle recouvre des situations très hétérogènes et laisse croire que l’on a seulement à faire à des états, à des positions limites, alors que les situations observées révèlent des « processus de désaffiliation » (2009, p.63).[10] Une autre conceptualisation en termes d’affiliation et de désaffiliation permet de concevoir des situations évolutives, des différenciations et non plus au des oppositions radicales entre l’exclu et l’inclus. Appliquée à la scolarisation « inclusive » des enfants handicapés, cela signifierait l’attention à la construction de trajectoires et de parcours différenciés, nécessairement variables selon les évolutions des individus, au lieu des destins fixés par des filières institutionnelles préconstruites.

1.4 Conclusions de l’évolution historique

Le bilan de cette évolution historique retracée à grands traits permet de formuler une hypothèse. L’éducation spéciale a fonctionné en cohérence interne : l’accueil entre semblables à l’écart du milieu scolaire ordinaire est en phase avec la limitation des ambitions éducatives, au mieux restreinte aux acquisitions de base de l’école primaire et en l’absence de formation qualifiante sur le plan professionnel, permettant au mieux d’effectuer des tâches répétitives. Le passé du spécial montre même une socialisation qui était une contention, une marginalisation qui a préservé à la fois l’ordre scolaire et le contrôle social.

Mais l’aspect idéologiquement rassurant du spécial n’est plus. L’éducation intégrative et, plus encore, les perspectives actuelles vers l’éducation inclusive renversent la situation antérieure. Elles sont moins visibles sur tous ces plans, car, par principe, elles désarticulent l’homogénéité précédente, à la fois sur le plan de la diversité des dispositifs institutionnels et sur le plan de la multiplicité des trajectoires individuelles. Elles constituent des ères plus instables, plus difficiles à gérer. Les voies définies avec une fixité apparemment rassurante dans le spécial font place à des voies multiples de scolarisation, même si les orientations inclusives postulent le droit à la présence dans les lieux vécus en commun.[11] C’est alors que précisément les tensions entre les orientations éducatives se font sentir avec force et suscitent inquiétudes pour les acteurs de l’éducation. Un trait caractéristique de ces tensions est l’inquiétude manifestée par les professeurs qui voudraient accueillir dans leur classe (ou que l’on pousse à accueillir !) des enfants handicapés ou en difficulté. Comment concilier leur présence parmi les autres et la nécessité d’assurer des apprentissages qui conviennent à tous ? Comment faire pour qu’un rythme différent d’acquisition ne nuise pas à la progression de la majorité ? Comment faire pour que des comportements dérangeants soient compatibles avec la vie commune ? Certes, des réponses pédagogiques, éventuellement soutenues par des aides particulières pour certains élèves, restent possibles. Elles reposent, pour l’essentiel, sur la différenciation des approches éducatives, mais beaucoup de professeurs estiment encore qu’une telle mise en oeuvre est problématique, précisément lorsque les différences entre enfants sont trop importantes. Malgré cet accent porté par les professeurs sur les obstacles difficiles à surmonter, on peut néanmoins penser que de telles tensions sont aussi productives, car elles contraignent aux remises en question et, à plus long terme, elles ouvrent des pistes de renouvellement des représentations et une inventivité de pratiques non normalisées a priori.

Pour résumer, nous avons tenté la construction d’un tableau qui trace l’évolution de l’éducation spéciale vers l’éducation inclusive. Comme on peut l’apercevoir, les lieux et les objectifs de socialisation ont clairement changé menant à la participation accrue des personnes handicapées dans la vie sociale et professionnelle. Il y a aussi la notion d’accessibilité qui renvoie plus directement à la responsabilité socio-politique de créer une société ouverte et accessible pour tous.

Tableau 1

Évolution de l’éducation spéciale vers l’éducation inclusive

Évolution de l’éducation spéciale vers l’éducation inclusive

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2. Enquête de type ethnographique dans une école élémentaire de la ville de Paris : quelles représentations, quelles pratiques chez les professionnels de l’éducation ? [12]

La deuxième étape qui est privilégiée ici est celle de l’approche de terrain de type ethnographique qui présente l’avantage de montrer les représentations et les pratiques des acteurs dans la vie quotidienne. L’exemple qui est développé est celui d’une école élémentaire de la ville de Paris qui cherche à relever le défi de l’accueil de la différence tout en maintenant l’objectif de « l’excellence scolaire ». Dans cette tension, comment se situent les enseignants, les spécialistes, les parents, les enfants handicapés parmi leurs pairs ? Quelles sont enfin les perspectives d’évolution ? Nous allons voir que ce que nous avons tenté d’élaborer dans le chapitre précédent se retrouve sur le terrain, dans cette école : la négociation des tensions et des évolutions socio-historiques au niveau des pratiques pédagogiques : entre des approches spécialisée, intégrative et inclusive.

Nous avons choisi une école qui nous paraissait intéressante du point de vue des pratiques intégratives françaises, et qui, en même temps, est dans une situation un peu particulière puisqu’elle est une école élémentaire privée catholique sous contrat avec l’Education Nationale dans le 20e arrondissement de Paris. Cette école accueille les enfants dans onze classes, dont une classe pour sept enfants autistes. En tout, la population de l’école représente 400 élèves, dont 19 enfants handicapés accueillis dans diverses classes.

Notre approche méthodologique reposait sur une méthodologie qualitative de type inductif et ethnographique. Il faut cependant remarquer que notre enquête contenait seulement des éléments ethnographiques, à cause du temps limité. Néanmoins, nous avons été régulièrement présents sur le terrain, au sein de l’école pendant environ trois mois. Nous avons conduit des observations quotidiennes dans l’ensemble de l’école (y compris dans la salle des maîtres) et plus particulièrement dans quatre salles de classe (dont la classe spécialisée pour enfants autistes). Puis nous avons mené des entretiens avec les professionnels de l’éducation et de l’aide spécialisée ainsi qu’avec quelques parents d’enfants avec ou sans handicap. Finalement, une enquête sociométrique auprès des élèves de trois classes a complété les données pour obtenir davantage le point de vue des élèves.

2.1 L’équipe pédagogique et l’implication des parents

Les professionnels de l’éducation revendiquent une alliance entre une culture de la différence et culture de l’excellence. La directrice déclare « mener de front deux objectifs » pour justifier cette ouverture renforcée vers des populations handicapées, pendant que les enseignants insistent sur le développement d’une pédagogie différenciée. On peut constater fortement que leur démarche n’est pas une démarche idéologique sur l’intégration, mais une démarche plutôt pragmatique, basée sur les expériences et le niveau de satisfaction des différents enseignants dans l’intégration des enfants handicapés. Toute l’équipe sait qu’il fait partie des obligations professionnelles d’accueillir des enfants handicapés dans les classes, mais on observe des niveaux de compétences et de familiarité variables. Comme la plupart des enseignants sont arrivés dans cette école sans expériences approfondies des pratiques intégratives, on peut également observer un processus d’intégration professionnelle pour les nouveaux enseignants dans la culture intégrative de l’école. Ceux qui sont arrivés en dernier apprennent progressivement des démarches, des stratégies, des méthodes appropriées pour l’intégration tout en étant soutenus par les plus anciens qui sont passés par cette voie-là.

L’équipe des enseignants de l’école insiste lourdement sur le fait que l’intégration des enfants handicapés soit présentée comme un fait qui fait partie du projet de l’école. Tous les parents, avec enfants handicapés ou non, sont bien au courant de ce fait, et l’ont accepté dans leur prise de décision de scolariser leurs enfants dans cet établissement-ci. Evidemment, les parents sont impliqués à des niveaux différents, certains « tolèrent » les pratiques intégratives, pour d’autres l’intégration est essentielle, notamment pour les parents ayant un enfant handicapé. Pour certains de ces parents, les pratiques intégratives se situent dans une alliance nécessaire entre l’éducation et les soins, et ils considèrent que l’école enquêtée répond pleinement à ces demandes.

2.2 Observations en classes et des enfants entre eux

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, nous avons également observé de façon prolongée trois classes ordinaires qui accueillent « en intégration » des enfants handicapés. Nous avons constaté que les enseignantes observées manifestent une grande diversité dans l’adaptation de leur enseignement à des pratiques intégratives. Nous avons pu ainsi repérer une diversité des objectifs et des pratiques : une classe à l’enseignement frontal et peu différencié ; une classe à l’enseignement en tension entre le collectif et l’aide individualisée ; une troisième classe représentant un enseignement qui vise à la fois les apprentissages et la participation sociale. Les différences semblaient non seulement dépendre de l’ancienneté des enseignantes, mais aussi de l’époque où elles avaient reçu leur formation d’enseignants, ainsi que leurs expériences personnelles (une des enseignantes à a un enfant handicapé qui est lui-même scolarisé à temps partiel dans la classe spéciale pour enfants autistes de l’école). Ces observations ont montré que les enseignantes se familiarisent à leur niveau, avec leurs compétences et leur expérience professionnelle, avec la présence des enfants handicapés au sein de leurs classes. Les approches ne sont pas monolithiques, mais variées, et correspondent à leur négociation personnelle des tensions créées par la diversité au sein de leur classe.

Pour obtenir le point de vue des enfants, nous avons mené une enquête sociométrique auprès des enfants, car nous nous sommes aussi intéressés aux questions suivantes : quel est le statut des enfants handicapés parmi leurs pairs ? Quels sont leurs liens amicaux ?

Les trois classes enquêtées ont montré des situations diverses, par exemple en fonction du handicap ou de la difficulté. Néanmoins, le type de handicap n’est pas la seule raison pour une « bonne » ou une « mauvaise » intégration de l’enfant. Il y a aussi une différence en fonction du lieu de vie : certains enfants handicapés n’habitent pas le quartier de l’école et n’ont ainsi que peu d’opportunité d’interagir avec leurs pairs en dehors de l’école. On peut également observer que le rôle donné à l’enfant handicapé dans la classe influence massivement les perceptions des pairs, p.ex., s’il est toujours dans la position de l’assisté, les autres vont le percevoir sous la lumière d’un enfant qui a toujours besoin d’aide au lieu de considérer aussi comme quelqu’un qui apporte son soutien au réseau de la classe. Comme dans des études précédents, on peut faire l’hypothèse de la situation « liminale » de beaucoup d’enfants handicapés (Schneider 2007 et 2011) : les enfants ne sont ni complètement intégrés, ni simplement exclus, mais sur le seuil de la communauté de la classe.

2.3 Les conditions favorables à l’accueil scolaire d’enfants handicapés

Ainsi, nous avons pu identifier les conditions favorables pour développer les pratiques intégratives et pour négocier les tensions éducatives dans cette école. On observe que l’école dispose de forts garants institutionnels qui sont les piliers des pratiques : la directrice qui donne des impulsions administratives et des projets institutionnels pour développer progressivement l’intégration et, au niveau concret des pratiques, l’enseignante spécialisée qui « suit » les élèves en intégration et rassure les enseignants. Il faut également insister sur le volontarisme plutôt exceptionnel de l’équipe enseignante qui accepte activement les orientations de cette école. La présence des aides spécialisées, depuis les enseignants spécialisés jusqu’aux assistants d’éducation, soutient l’accueil des enfants handicapés. Finalement, il y a aussi la démarche d’accueil prudente et pragmatique qui dépend beaucoup du rapport aux parents – on peut s’interroger si cette démarche est particulière à une école privée catholique privée qui repose davantage sur l’engagement des parents.

En guise de conclusion

Une telle enquête de terrain, menée sur plusieurs semaines auprès de la diversité des acteurs, présente d’abord l’avantage, traditionnellement invoqué, de la confrontation entre les orientations officielles de l’éducation des enfants handicapés et les réalités scolaires observables. Mais, dans le cas présent, elle permet surtout de tester la pertinence de notions comme celles d’intégration et d’inclusion, qui impliquent, selon la formule de Durkheim, des théories pratiques, c’est-à-dire des pistes pour l’action, des orientations et pas seulement des cadres d’analyse. Quelles en sont les avancées et les limites, à la fois au regard des transformations en cours qui dépassent l’époque du spécial et de la culture de la séparation, et en fonction de ce qu’en perçoivent et ce qu’en vivent aujourd’hui les acteurs ? C’est dans ce sens que nous avions posé la question de savoir si la situation actuelle de cette école qui présente un compromis encore instable entre l’attention à la différence et la volonté d’excellence scolaire pouvait être dépassée vers des pratiques plus inclusives. Une première réponse évoquait le travail d’accueil déjà mené dans cette école élémentaire et les obstacles qui persistaient au-delà, dans l’école secondaire qui maintient les normes académiques traditionnelles et pénalise fortement les enfants handicapés ou en difficultés. Pour certains d’entre eux, le risque est donc de retourner vers les structures de l’enseignement spécial. Les perspectives inclusives à plus long terme s’éloignent d’autant. Une seconde réponse portait sur la réalité de cette école elle-même : peut — elle prolonger les évolutions actuelles et dans quel sens ? Peut-elle aller résolument vers des pratiques inclusives plus radicales ? Une stratégie pragmatique était bien formulée par l’enseignant de la classe pour autistes (Classe dite CLIS). Il s’appuyait sur son expérience dans le système scolaire, mais aussi sur sa culture acquise en psychologie dans ses études universitaires : « Il faut faire attention pour que les classes n’aient pas trop d’élèves venant de CLIS, car ces classes ont déjà des enfants intégrés qui sont suivis. De fait, les enfants de CLIS ne sont pas toujours présents dans cette classe, car ils vont dans d’autres classes et certains aussi en hôpital de jour. L’inclusion totale ? Oui, certains enfants pourraient rester toute la journée en classes ordinaires et donc il y a la possibilité de basculer de l’intégration à l’inclusion, mais il faut d’abord passer par l’intégration pour aboutir à l’inclusion. La nécessité, c’est l’accord de l’équipe et de la direction de l’établissement. »

Une telle prise de position fait explicitement référence aux contraintes quotidiennes qui pèsent sur les praticiens et praticiennes des classes ordinaires et sur la prudence requise pour modifier plus profondément encore les pratiques. On est tenté de dire que cela implique aussi des transformations des représentations et un engagement de type éthique, attentif aux conséquences de l’action. Comment alors ne pas évoquer ici la référence au sociologue Max Weber et sa distinction célèbre entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité (1959, p. 172) ? L’éthique de la conviction conduit à agir sans tenir compte des conséquences possibles de son engagement. La personne convaincue de la justesse de ses positions affirme des impératifs, des exigences. Elle veille « sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas ». Dans ce cas, l’agent se comporte rationnellement, mais seulement par référence à une valeur qu’il tient pour essentielle. Au contraire, l’éthique de responsabilité est la caractéristique de celui qui se préoccupe des conséquences de ses choix, des résultats de son action.

Quelles conséquences en tirer sur la question de l’inclusion scolaire des enfants porteurs de difficultés particulières ? Il convient sans aucun doute de dépasser le moralisme abstrait, le pur discours de conviction, qui présente le risque de déboucher sur de nouvelles exclusions. Et avancer clairement dans le sens d’une éthique concrète qui permet d’aborder la question des moyens d’accueil et d’éducation de ces enfants, en repérant les obstacles présents dans les différentes situations.