En ce cinquantième anniversaire de la revue Philosophiques, le comité de rédaction a senti le besoin de souligner l’événement et s’est interrogé sur la bonne manière de le faire. Après réflexion, il est apparu qu’au terme d’un demi-siècle d’activité, la revue pouvait s’offrir à elle-même un hommage sous la forme d’un dossier traitant de l’histoire et des évolutions de la philosophie au Québec, avec une attention particulière à la contribution de la revue à notre discipline et à la vie des idées. Le dernier essai du genre sous forme écrite, à notre connaissance, est le livre La pensée philosophique d’expression française au Canada. Le rayonnement du Québec (1998) dirigé par Josiane Boulad-Ayoub et Raymond Klibansky, lequel proposait une réflexion sur la philosophie depuis la Révolution tranquille. Ce bilan survenait, en quelque sorte, au mitan de la période qui nous intéresse. Cela nous donne confiance dans le fait que notre initiative ne fait pas double emploi, d’autant que notre projet se focalise sur le rôle de la revue Philosophiques, qui illustre une caractéristique fondamentale de la pratique intellectuelle au Québec depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : l’effort permanent de la revue pour rayonner hors des institutions d’enseignement où la pensée est transmise comme matière d’enseignement, afin de stimuler le débat public et de constituer une force pouvant agir sur la société. En ce sens, on peut affirmer que la philosophie au Québec est entrée dans sa modernité, si on accepte avec Yvan Lamonde que, jusqu’en 1920, la discipline ait surtout été marquée par des tentatives pour la maintenir dans une pratique « de baccalauréat et de manuel » sous la tutelle de l’Église catholique qui en fixait le contenu. La revue Philosophiques, fondée en 1974, accompagne depuis ce temps cette modernité, ce dont notre numéro anniversaire témoigne. Plus précisément, nous cherchons à comprendre les formes de ce compagnonnage : tantôt actif, tantôt récepteur des changements qui affectent la discipline, ses matières autant que ses manières, les transformations de la revue elle-même servant d’indices à la vie philosophique québécoise, dont elle est un acteur autant qu’un reflet. Cette introduction retrace sommairement ces évolutions, laissant le soin aux contributions qui forment le numéro d’entrer dans leur détail, de poser un regard critique sur les questions qu’elles soulèvent et de paver la voie à celles qui s’annoncent. On peut prendre comme point de départ le constat d’Yvan Lamonde, suivant lequel « la philosophie est un objet construit dans le temps, marqué par des institutions ». Si tel est le cas, l’apparition d’une revue comme Philosophiques constitue un jalon important dans l’histoire de notre discipline. La « philosophie d’expression française », si l’on se fie à ce qu’en dit Raymond Klibansky, est déjà, en 1974, en bouleversement. Ceux qu’il nomme les « maîtres d’après-guerre » ont commencé à modifier le thomisme régnant en lui insufflant un « nouvel humanisme », dont on trouve l’écho chez Fernand Dumont ou dans la fondation de la revue Cité libre en 1950. L’arrivée des cégeps, en 1967, a un impact encore plus important puisqu’elle impose la philosophie comme une partie de la formation générale, obligatoire pour tous. Cette situation implique d’entretenir un corps professoral volumineux et stable, composé de la jeune génération qui se forme à l’aune de la Révolution tranquille. Cette cohorte de nouveaux professeurs et chercheurs désire politiser la discipline autour des problèmes de l’heure, notamment l’enjeu national, la question de la langue française et celle des classes sociales. Cette politisation percole tant sur le plan des pratiques pédagogiques (marquées par la participation étudiante) que sur celui de la recherche (où …
La revue Philosophiques : un panorama historiqueIntroduction au numéro spécial 50e anniversaire[Notice]
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Alexis Lafleur-Paiement
Université de MontréalMitia Rioux-Beaulne
Université d’Ottawa