Comptes rendus

Johann Michel, Qu’est-ce que l’herméneutique ?, Paris : Presses universitaires de France, 2023, 384 pages[Notice]

  • Maxime Tremblay

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  • Maxime Tremblay
    Université de Sherbrooke

Force est d’admettre que l’herméneutique, proclamée « langue commune » de notre temps par Gianni Vattimo il y a une trentaine d’années, n’occupe plus de nos jours le coeur de la conversation. Dans Qu’est-ce que l’herméneutique ?, Johann Michel ambitionne de faire vibrer à nouveau cette discipline. Or cela ne saurait s’accomplir sans en proposer en même temps un renouvellement de fond. Plus qu’une définition stricte, Michel esquisse donc, au fil des neuf études qui composent cet ouvrage — toutes placées sous le signe d’un verbe d’action — ce qu’on pourrait appeler une « définition vive » de l’herméneutique, qui cible de nouveaux objets, élargit son terrain de jeu, procède par hybridation de nouveaux savoirs et qui, surtout, trouve chez les maîtres fondateurs un « appui pour de nouvelles aventures de pensée » (p. 22). L’auteur préfère par ailleurs le terme d’« études » à ceux de leçons ou de chapitres, afin de signaler le caractère exploratoire des recherches réunies dans ce livre. Cette ambition se décline en trois grands axes. Primo, sur un plan anthropologique, Michel reprend le dessein, déjà présent dans Homo Interpretans (2017), de réinscrire l’interprétation et la compréhension, à titre de facultés fondamentales de l’être humain, au coeur de la vie ordinaire. Secundo, cette herméneutique sera de facture pragmatiste, c’est-à-dire qu’elle doit être saisie en acte : comme un faire, un procès. Tertio, sur un plan épistémologique, il s’agit d’ouvrir l’herméneutique à de nouveaux objets, en marge du paradigme du texte. À ce titre, la proposition de cet ouvrage est caractérisée par un « double mouvement paradoxal, à la fois d’élargissement et de rétrécissement de l’herméneutique » (p. 31). Si cette dernière reçoit une extension prodigieuse — tout signe, qu’il soit indiciaire, iconique ou linguistique, naturel ou social, durablement fixé ou évanescent, appelle une possible herméneutique —, il est entendu en revanche qu’elle trouve son objet privilégié dans l’interprétation des significations problématiques, c’est-à-dire lorsque le sens ne va pas de soi. La première étude (« Saisir un signe ») a pour objectif de délimiter le champ disciplinaire de l’herméneutique. Il ressort en effet des traits rapportés ci-haut que ce champ, parce qu’il couvre le vaste domaine des signes, recoupe ceux de la sémiotique et de la sémantique. De la première, elle se distingue par l’intérêt qu’elle porte au sens des signes, c’est-à-dire en tant qu’ils pointent vers un monde, et non aux systèmes clos qu’ils forment entre eux. Cela la place davantage dans le voisinage de la sémantique. De cette dernière, l’herméneutique se démarque par l’attention qu’elle accorde non seulement au sens du discours, mais aux troubles qui peuvent l’affecter. Michel appelle « régimes de problématicité » les différentes sources possibles de mécompréhension, et « interpretatio » les techniques interprétatives mises en oeuvre pour les surmonter : clarifier, contextualiser, expliciter, catégoriser, traduire, dévoiler, etc. Or, que les discours soient oraux ou écrits, de nature courante ou savante, l’herméneutique ne saurait s’astreindre à leur seule étude. Dans cette optique, la deuxième étude (« Déchiffrer la nature ») se penche sur le domaine de la nature et du vivant. Sont exemplaires de ce type de signes les traces, déchiffrées par le chasseur, ou encore les symptômes d’une maladie, décryptés par le médecin. Toutefois, ce type de signes, étant donné leur nature non discursive, menace de retomber dans le domaine de la sémiotique. Le problème consiste dès lors à déterminer si un signe naturel peut bel et bien être « compris » et si, le cas échéant, il peut donner lieu à quelque problématicité du sens. Ce à quoi Michel répond par l’affirmative, à condition que …