Comptes rendus

Jean-Baptiste Fournier, Carnap et la question transcendantale, Paris : Vrin, 2021, 326 pages[Notice]

  • Anne-Marie Boisvert

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  • Anne-Marie Boisvert
    Université du Québec à Montréal

Encore aujourd’hui, le nom de Rudolf Carnap est communément associé au positivisme logique. Même ses oeuvres de jeunesse antérieures au Manifeste du Cercle de Vienne, tel l’Aufbau, ont été et sont trop souvent encore lues à la lumière rétrospective du programme phénoménaliste supposément canonique de ce mouvement (à savoir, pour le résumer rapidement, la réduction des énoncés théoriques de la science à des énoncés « protocolaires » portant sur les données sensibles (sense data) et l’adhésion à une théorie vérificationniste de la signification). Quine, le plus fameusement, a orienté la lecture des oeuvres de jeunesse de Carnap en ce sens. Les thèses de base du positivisme logique ont fait l’objet de critiques sévères (notamment de la part du même Quine), à la suite desquelles l’échec du programme de ce mouvement a été considéré comme avéré. Le problème est que le projet proprement carnapien, que l’on peut résumer par l’idéal d’une reconstruction rationnelle en un seul système unifié des concepts de la science au moyen des outils de la logique formelle — un projet que Carnap a pourtant envisagé puis poursuivi sous diverses formes avant et après le positivisme logique — a subi par contrecoup une dévaluation et une éclipse. Cependant, depuis la fin des années 1980, une réévaluation des travaux de Carnap a été entreprise, à commencer par la relecture de ses oeuvres de jeunesse. Des auteurs comme Michael Friedman et Alan Richardson (pour ne citer que les plus connus) ont eu le souci de resituer le jeune Carnap dans le monde philosophique et scientifique de l’Allemagne des premières décennies du xxe siècle, afin d’offrir une lecture selon eux plus riche et plus juste de ses travaux à cette époque, et surtout, du projet qui l’animait. Ces auteurs se sont notamment intéressés à l’influence que le néo-kantisme, ou encore la phénoménologie husserlienne, ont pu avoir sur le premier Carnap. Le riche ouvrage de Jean-Baptiste Fournier s’inscrit dans ce courant. L’auteur propose en effet une relecture minutieuse de trois oeuvres de jeunesse majeures de Carnap, à savoir sa dissertation sur l’espace intitulée Der Raum (1922), l’article de transition intitulé « Dreidimensionalität des Raumes und Kausalität » (1924) et enfin l’Aufbau (1928). Cette relecture a pour but de mettre en lumière la prégnance sur le jeune Carnap de la « question transcendantale ». Comme le rappelle Fournier, la question transcendantale est d’abord une question kantienne, celle des conditions de possibilité de l’expérience, mais elle est aussi une question néo-kantienne, celle de la possibilité de la connaissance objective. Elle subit en outre une « reformulation phénoménaliste » (p. 12) sous l’influence du positivisme du tournant du siècle et notamment du phénoménalisme machien. Cette reformulation vise à ancrer la condition de possibilité de la connaissance objective dans l’expérience d’un sujet. La connaissance objective d’un objet « revient à reconduire cet objet à une configuration des vécus autopsychiques par laquelle cet objet peut être reconnu » (p. 12). Mais le problème se pose alors d’expliquer la manière d’atteindre une connaissance objective à partir d’une « reconnaissance » subjective individuelle. Comment rebâtir sur ces bases l’édifice du savoir ? Plus largement, la question transcendantale est une question de justification et de légitimation de l’application du langage au monde (et plus spécifiquement du formalisme logique et mathématique) et reçoit sa réponse dans l’Aufbau avec le projet de l’édification d’un système de (re)constitution rationnelle du monde des concepts et des objets de la science (l’objet et son concept étant, pour Carnap, une seule et même chose exprimée dans deux langages différents). Fournier s’attache dans son ouvrage à retracer la manière dont le …

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