Disputatio

Réponses aux critiques de La Conversation des sexes[Notice]

  • Manon Garcia

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  • Manon Garcia
    Freie Universität Berlin

Cette disputatio est le résultat d’un colloque organisé par Naïma Hamrouni à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Je voudrais ouvrir ces réponses en la remerciant très chaleureusement. Je garde un souvenir ému de ces deux journées et de la sororité universitaire qui s’y est manifestée. J’ai eu la joie de retrouver dans ces textes un peu de l’atmosphère bienveillante, studieuse et stimulante de ce colloque. Je remercie beaucoup Lila Braunschweig, Amandine Catala, Marie-Hélène Desmeules, Audrey Ghali-Lachapelle, Anne Iavarone-Turcotte et Sabrina Maiorano pour leurs lectures précises et exigeantes de La Conversation des sexes. Il n’y a pas de plus grande récompense aux longues années de recherche et d’écriture solitaire que ces échanges. Je vais concentrer mon propos ici sur les objections que leurs lectures soulèvent, mais j’ai vraiment aimé que des aspects cruciaux de ce que j’essaie de faire dans ce livre aient été soulignés, voire mieux exprimés par les autrices que par moi-même, qu’il s’agisse par exemple de « défaire le sexe de son aura silencieuse » (Braunschweig) ou de proposer une « conception relationnelle du consentement » (Ghali-Lachappelle et Maiorano). Dans la mesure où leurs objections se rejoignent sur certains points ou gagnent à être traitées ensemble, je vais répondre de manière thématique. Il me semble que la première critique qu’il me faut prendre au sérieux est celle qui concerne le cadrage : Audrey Ghali-Lachapelle et Sabrina Maiorano critiquent l’hétéronormativité et l’amatonormativité de mon approche, et Amandine Catala, son manque d’intersectionnalité. Ces deux critiques me paraissent justifiées dans une certaine mesure, mais je vais tout de même tenter de justifier le cadrage qui est le mien. Une des thèses qui traversent l’ouvrage est la conviction que les normes sexistes et binaires de genre et la façon dont elles sont articulées au sein de ce que Nicola Gavey appelle l’« échafaudage culturel du viol » fonctionnent d’une manière telle qu’hommes, femmes et personnes non binaires sont façonnés par elles et qu’hétérosexuels, homosexuels, bisexuels et asexuels voient leurs scripts dictés ou critiqués par elles. Comme le rappellent à juste titre Ghali-Lachapelle et Maiorano, la possibilité même de formuler ce constat provient du travail des théoriciennes lesbiennes que sont Monique Wittig, Adrienne Rich, Colette Guillaumin (même si je ne fais que la mentionner en note dans le livre) et Gayle Rubin. Leurs travaux pris ensemble montrent bien — je cite Ghali-Lachapelle et Maiorano — que l’hétérosexualité est un « mode d’organisation sociale où les femmes deviennent propriété d’un homme tout en devenant des outils de reproduction sociale (…) par l’entreprise de la famille nucléaire monogame ». Elles mettent en lumière l’hétérosexualité comme une des composantes du patriarcat. Cela justifie, à mon avis, de concentrer l’analyse de la sexualité en contexte non idéal sur l’hétérosexualité, non pas au sens où les analyses ne pourraient pas concerner tout autant les personnes non hétéro, mais au sens où le sexe hétéro est une loupe de ce qui, dans le sexe, est oppressif, injuste et fait obstacle au bonheur. Elles ont raison sur le fait que La Conversation des sexes n’interroge peut-être pas de manière suffisamment frontale le lien entre sexe, consentement sexuel et valorisation d’un modèle hétéronormé de l’amour. Cela s’explique certes parce que j’ai écrit un premier livre dans lequel je prends au sérieux l’impact des mythes de l’amour romantique hétéro sur l’oppression des femmes, mais aussi sans doute par « l’amatonormativité », soit « la centralité et le privilège de l’amour romantique dans les relations interpersonnelles » qui rend difficile cette « déhiérarchisation des relations interpersonnelles » que Ghali-Lachapelle et Maiorano recommandent. Pour autant, je ne suis pas certaine que le consentement …

Parties annexes