Disputatio

Conversation érotique et normes de genre : pour une éthique de l’inconfort[Notice]

  • Lila Braunschweig

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  • Lila Braunschweig
    Professeure assistante en littérature et culture française Université d’Utrecht

L’ouvrage de Manon Garcia, La Conversation des sexes. Philosophie du consentement propose une analyse critique bienvenue dans le paysage de la philosophie francophone portant sur la question du consentement sexuel. En s’intéressant aux limites des conceptions du consentement traditionnelles — libérale ou grand public —, elle entend renouveler notre compréhension d’une sexualité éthique. Renvoyant dos à dos en particulier la vision du consentement comme contrat entre individus — la version libérale — de même que la conception genrée de ce dernier, fondée sur l’adage sexiste selon lequel les hommes proposent et les femmes disposent, Garcia suggère de concevoir le consentement comme une conversation érotique à partir d’un « sentir ensemble », qui permettrait des échanges sexuels épanouissants et moralement bons. C’est sur cette proposition singulière de la conversation érotique que je souhaiterais revenir dans ce commentaire, à la fois pour en souligner les potentialités au regard des objectifs du livre, mais aussi les points qui restent en suspens une fois la lecture achevée. Je m’interrogerais en particulier sur les conditions d’une conversation érotique qui puisse remplir réellement les fonctions que l’autrice lui donne, et sur les critères permettant de déterminer le caractère suffisamment bon ou constructif d’une telle conversation. La question des normes de genre, de leur persistance et des manières possibles de contrer durablement leurs effets dans les relations sera au coeur de mon propos. Aux termes de sa réflexion critique sur le consentement, Manon Garcia formule la proposition suivante : « le consentement conçu comme conversation érotique est sans doute l’avenir de l’amour et du sexe ». Si Garcia propose de penser le consentement à partir d’un idéal de conversation, et non d’un simple accord verbal explicite comme d’autres l’ont suggéré, c’est que, pour elle, cette conception est mieux à même de répondre à ce qu’elle nomme les « deux fonctions normatives du consentement ». Garcia soutient en effet que, lorsque nous parlons de consentement sexuel, nous ne cherchons pas seulement à déterminer un critère adéquat pour distinguer « entre le sexe permis et le sexe interdit », afin « de reconnaître (et de punir) les violences sexuelles ». Nous souhaitons aussi généralement que le critère du consentement permette de « déterminer positivement ce que seraient des rapports sexuels moralement bons ». Ainsi, pour Garcia, une conception adéquate du consentement doit pouvoir non seulement déterminer le type d’interaction sexuelle qui devrait être autorisé, mais aussi celui qui serait souhaitable, désirable et encouragé. Autrement dit, Garcia vise à définir un critère de distinction pour une sexualité non seulement illégitime, que l’on voudrait voir collectivement interdite, par exemple par l’intermédiaire de la loi, mais aussi une sexualité non éthique, c’est-à-dire qui pourrait poser un problème d’un point de vue moral, mais que nous ne voudrions pas nécessairement collectivement interdire. La distinction est subtile, mais il suffit de penser à quelques exemples pour constater qu’elle répond à certaines intuitions morales désormais partagées à propos du sexe. Ainsi, les interactions sexuelles qui ont lieu sous la contrainte sont généralement considérées comme moralement illégitimes. Elles constituent ainsi un délit de viol, d’agression, de harcèlement ou d’atteinte sexuelle et sont légalement prohibées dans beaucoup de démocraties constitutionnelles. En revanche, les interactions sexuelles adultérines n’y sont plus pénalement répréhensibles. Et peu de gens jugent encore qu’elles devraient l’être. Ce qui n’empêche pas de penser qu’il est immoral de tromper son partenaire. Ou bien que l’on considère que cela porte atteinte à l’idéal du couple monogame qui a un sens pour nous. Ou bien qu’on estime que cela rompt un accord existant avec notre partenaire principal·e, et donc nuit à son consentement à entretenir …

Parties annexes