Disputatio

De la conscience des dominé·e·s : pour la sophistication dans l’articulation du lien entre choix et patriarcat[Notice]

  • Anne Iavarone-Turcotte

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  • Anne Iavarone-Turcotte
    Université du Québec à Trois-Rivières et City University of New York

L’introduction de La Conversation des sexes se termine par la phrase suivante : « [c]e livre a pour ambition de montrer qu’on ne peut espérer aimer mieux et plus librement qu’en étant conscient·e·s de la façon dont les normes sociales de genre façonnent nos vies, y compris les plus intimes ». On a là une formulation concise d’une des thèses centrales de l’ouvrage, qui traverse l’ensemble des chapitres présentant la critique ou « problématique » proposée par Manon Garcia : celle d’une relation entre le patriarcat (les « normes sociales de genre » — Garcia parle aussi de « domination masculine ») et nos choix en matière sexuelle (nos « vies […] les plus intimes »). D’emblée, il me faut préciser que je suis d’accord avec l’idée qu’il faut étudier cette relation, et qu’aucune analyse féministe du consentement ne peut en faire l’économie, en matière sexuelle comme ailleurs. Mon désaccord tient dans une certaine (hypo)thèse formulée par Garcia dans l’exploration de cette idée, et, plus précisément encore, dans certaines formulations de cette (hypo)thèse spécifique. On pourra y voir un point de détail et arguer que j’ai tort de m’y pencher en priorité, m’éloignant ainsi de l’essentiel du propos de Garcia, en particulier de sa proposition originale de repenser la sexualité comme « conversation » et le consentement sexuel comme « sentir ensemble ». Mais pour moi, l’essentiel est là : dans la critique plutôt que dans la « solution ». J’entends par là que la dimension la plus importante (et la plus difficile) des discussions sur le consentement sexuel tient à mon avis à la façon dont on aborde la question de l’effet de l’oppression sexiste sur la formation et l’exercice du consentement. À ce chapitre, Manon Garcia argue en substance qu’il ne peut y avoir consentement véritable là où il y a oppression sexiste ou, en d’autres termes, que la domination masculine empêche ou annule le consentement. C’est ainsi qu’elle écrit, suivant Catharine MacKinnon : « les normes de genre et la domination masculine structurelle qui les sous-tend créent une inégalité telle entre les hommes et les femmes qu’il n’est pas certain que les femmes puissent véritablement consentir à quoi que ce soit ». Dans le même esprit, elle retient de Carole Pateman l’idée qu’il est « [difficile] pour les femmes de véritablement consentir dans le contexte de la domination masculine ». Cette idée générale prend différentes formes dans l’argumentaire de Garcia. Ainsi, elle signifie par endroits que parfois, les normes sociales sexistes pèsent si lourd que c’est un non-sens de parler de consentement. C’est le cas par exemple pour la femme qui accepte le BDSM (« bondage et discipline, domination et soumission, sadomasochisme ») parce qu’elle se sent obligée d’obéir à son mari, par l’effet d’une puissante norme sociale, sexiste et oppressive, qui lui enjoint de le faire. Ailleurs, l’idée d’« impossibilité » du consentement en contexte d’oppression sexiste renvoie au fait que certains choix sont faits par peur de subir un préjudice, qui lui découle de cette oppression. C’est ce qui se produit dans le cas classique de la femme qui consent à un rapport sexuel avec un homme parce qu’elle craint sa réaction à un éventuel refus, réaction qui peut être violente (voire mortelle) ou simplement désagréable. Par endroits encore, Garcia élabore l’idée que la domination masculine empêche le consentement en remarquant qu’étant donné que cette domination est constante, certaines femmes sont à ce point habituées au fait qu’on ignore leur choix qu’elles n’en font plus, et plutôt consentent comme on se résigne. J’appuie en substance l’ensemble de ces hypothèses et des thèses qui y …

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