Disputatio

Analyse critique du consentement : remise en question de l’idéal normatif du couple hétérosexuel amoureux et monogame[Notice]

  • Audrey Ghali-Lachapelle et
  • Sabrina Maiorano

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  • Audrey Ghali-Lachapelle
    Doctorante en philosophie féministe à l’UQTR et chargée de cours en philosophie féministe et de la sexualité, UQAM

  • Sabrina Maiorano
    Doctorante en sexologie et chargée de cours en sexologie et études critiques des sexualités, UQAM

Cinq ans après les mouvements #moiaussi et #agressionnondénoncée, La Conversation des sexes. Philosophie du consentement se pose en ouvrage incontournable, effectuant un tour d’horizon exhaustif et nuancé de la littérature juridique, philosophique, politique et des implications relationnelles du consentement. La quête de l’autrice est de savoir si le concept de consentement peut être un outil utile pour penser l’émancipation et l’égalité érotique des femmes. Au minimum, le consentement — réinterprété par l’autrice comme « conversation érotique » — devrait nous permettre de distinguer le rapport sexuel du viol, et au mieux, il devrait nous permettre d’envisager des « rapports amoureux et sexuels plus justes, plus égalitaires et, sans doute, plus plaisants », dans le respect de l’autonomie et de la dignité humaine. L’autrice consacre les premiers chapitres au développement d’une solide analyse du consentement comme concept politique, en mobilisant entre autres l’apport des débats féministes issus des sex wars et leurs retombées actuelles. Tout au long de l’ouvrage, Garcia nous invite au dépassement d’une vision individualiste et privée du consentement. Dans son dernier chapitre, l’autrice invite à réinvestir le consentement pour qu’il soit conceptualisé comme une conversation entre les partenaires. Il s’agit de normaliser le consentement comme un espace d’apprentissage du respect de l’intersubjectivité d’autrui. La notion de projet sexuel y est abordée : on nous invite à prendre le temps de construire notre projet sexuel, c’est-à-dire à établir clairement nos besoins, nos désirs, nos limites en matière de sexualité, afin de trouver un terrain commun d’expérimentation érotique avec l’autre. Or on ne peut imaginer l’élaboration des projets sexuels en dehors du contexte sociopolitique qui façonne nos existences. Afin de mettre en lumière les manières dont nos sexualités sont formatées, nous aimerions introduire le concept de scripts sexuels développé par les sociologues William Simon et John Gagnon. De façon générale, un script sexuel peut être défini comme un guide qui propose des points de repère, une marche à suivre plus ou moins flexible, dans un contexte donné, à propos de ce qui compte pour du sexe et à son actualisation. Bien que les scripts sexuels puissent être propres à un individu (intrapsychiques) ou coconstruits à partir de l’interaction avec un·e ou des partenaires (interpersonnels), ils sont également des produits de nos normes et schèmes culturels, ou du moins, n’en sont jamais entièrement indépendants. Les scripts culturels sont des scénarios dominants qui font office de prescriptions sociales dans l’apprentissage sexuel des individus. Ils permettent de saisir le déroulement typique d’une relation sexuelle : les pratiques sexuelles acceptables, leur enchaînement et les actions qui y mettent fin, en plus des rôles attendus des partenaires. Les scénarios culturels sont porteurs de scripts de genre, c’est-à-dire des attentes normatives à propos du rôle sexuel de l’homme et de la femme. Les travaux de Simon et Gagnon donnent à voir que le script sexuel traditionnel agit comme script culturel dominant et véhicule une vision essentialiste du genre et de la sexualité. En effet, les scripts de genre qui se jouent dans le script sexuel traditionnel sont les mêmes que ceux qu’on retrouve en danse sociale : l’homme se charge d’initier la relation sexuelle et dirige l’enchaînement des actes sexuels (rôle actif) tandis que la femme suit (rôle passif). Qui plus est, dans ce déroulement typique, après les préliminaires (baisers, sexe oral) vient le plat de résistance (sexe phallovaginal) qui se termine toujours par l’orgasme de l’homme. Si l’homme ne jouit pas à la fin, ce n’est culturellement pas codifié comme du « vrai » sexe. Cette vision androcentrée de la sexualité est notamment véhiculée par la pornographie hétérosexuelle commerciale, aussi dite mainstream. La sexualité …

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