Disputatio

Précis de La Conversation des sexes[Notice]

  • Manon Garcia

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  • Manon Garcia
    Freie Universität Berlin

Le concept de consentement est-il le concept adéquat pour penser nos vies sexuelles et les rendre plus justes et égalitaires ? Telle est la question à laquelle La Conversation des sexes entend répondre. Alors qu’on a tendance à tenir pour acquis que le consentement est un concept opératoire pour nous permettre de distinguer entre l’impermissible et le permis en matière sexuelle, la thèse centrale du livre est qu’il nous permet surtout, lorsqu’on le comprend de manière adéquate, de réfléchir à ce que pourrait être le bon sexe au sens d’une pratique sexuelle juste, heureuse et possiblement émancipatrice. Avant d’entrer en détail dans l’argumentation, qu’il me soit permis ici un bref excursus biographique qui, me semble-t-il, permet de préciser l’orientation méthodologique du livre. J’ai grandi et étudié en France, mais je vivais et enseignais aux États-Unis depuis sept ans lorsque j’ai commencé à écrire ce livre. Ma vie en France et mon expérience de philosophe féministe en particulier m’avaient montré à quel point les Français·es pensent que les États-unien·ne·s sont obsédé·e·s par le consentement et ont une vie sexuelle très pauvre, en raison d’un puritanisme qui les empêcherait de jouir sans entraves. Les États-unien·ne·s, de leur côté, pensent que les Français·es sont obsédé·e·s par le sexe au point de laisser libre cours au harcèlement sexuel et au viol. Comme souvent avec les clichés, il y a sans doute quelque justesse ici malgré l’outrance, mais, surtout, ma position d’entre-deux a fait du sexe et du consentement des objets de constantes interrogations. Dans mon premier livre, On ne naît pas soumise, on le devient, j’ai défendu l’idée que les femmes ne sont pas naturellement soumises, mais qu’elles sont amenées à se soumettre aux hommes par les normes sociales de féminité. Cela signifie, entre autres, qu’il est plus difficile pour les femmes que pour les hommes de dire « non », et que les femmes sont socialement invitées à donner la priorité aux désirs, aux plaisirs et au bien-être des autres plutôt qu’aux leurs. Face à un tel constat, on imagine bien qu’il est difficile non seulement de lutter avec succès contre les violences sexuelles, mais aussi, tout simplement, d’essayer d’avoir une vie sexuelle joyeuse. Comment les femmes peuvent-elles avoir une vie intime épanouie si le patriarcat les empêche de rechercher leur propre plaisir, voire leur propre désir ? Le concept de consentement s’est imposé comme prisme d’examen de cette question pour deux raisons : d’une part, ce concept est central dans la littérature philosophique sur l’agentivité et l’autonomie sur laquelle on s’appuie lorsqu’on s’intéresse, comme moi, à ce que les femmes peuvent choisir dans un contexte patriarcal. D’autre part, il est devenu l’outil standard pour penser les choix des femmes dans un contexte sexuel. Le consentement a en effet triomphé en tant que notion clé pour penser et mettre en oeuvre l’égalité sexuelle entre les hommes et les femmes. Si pendant longtemps il dominait surtout sur les campus étatsuniens — au moins depuis l’adoption de la première politique de consentement affirmatif à Antioch College, en 1991 —, le consentement est devenu dans la foulée de #MeToo le terme central du discours dominant sur l’amour et le sexe, non seulement en Amérique du Nord, mais aussi en Europe continentale et dans de nombreux autres endroits du monde où il était, jusqu’alors, surtout utilisé par des universitaires et des militantes féministes. Écrire un livre de philosophie sur le sexe et le consentement était une occasion d’essayer de tirer le meilleur parti de cette position franco-américaine dans laquelle je me trouvais, non seulement en ce qui concerne les perspectives apparemment opposées sur le sexe et …

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